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CHAPITRE 3 RÉCIT DE TRANSFORMATION

3.2 R ENCONTRER L ’ APPROCHE SOMATO PÉDAGOGIQUE DE L ’ ACCOMPAGNEMENT

3.2.3 À l’école du corps sensible par la médiation d’une pédagogie somatique

3.2.3.2 L’accompagnement introspectif

L’introspection sensorielle est un des cadres d’expérience de l’approche somato- pédagogique de l’accompagnement. C’est une pratique qui se réalise dans une posture assise, immobile et dans une attitude contemplative qui favorise la saisie de l’animation interne. Elle sollicite donc l’intelligence sensorielle (Bourhis, 2011) et la perception d’un mouvement interne qui anime les tissus du corps humain. Pour Martine Rapin (2012), cette pratique est dite introspective, car elle exige une conversion du regard qui se tourne vers l’intériorité corporelle. Elle est par ailleurs dite sensorielle dans la mesure où elle mobilise les sens tels que : l’audition, la vision, le sens proprioceptif par le tact intérieur, mais aussi notre capacité à nous laisser toucher et bien sûr, transformer.

Cette mobilisation introspective constitue donc un mode opératoire qui sollicite avec justesse et efficacité les ressources attentionnelles, perceptives et cognitives de l’apprenant, tout en lui permettant de faire des liens entre sa subjectivité corporelle et sa vie. Ce qui permet au sujet en formation de cheminer vers lui-même, comme le précisent Hélène Bourhis et Danis Bois (2010, p. 8). La pratique introspective transforme ainsi la qualité du rapport à soi à travers un effort attentionnel orienté vers le corps, ce qui permet de construire un sentiment d’évidence intérieure.

À travers mes pratiques somatiques, dans mes cours optionnels en psychosociologie, je réalisais que l’introspection sensorielle me permettait de ressentir des effets différents dans mon corps. Je ne savais pas encore comment l’expliquer, mais il m’apparaissait intéressant d’aller vers la nouveauté puisque mes stratégies habituelles ne semblaient plus fonctionner. Choisir de passer par le corps pour m’adresser aux thèmes importants de ma vie a été une alternative pour déjouer ma manière de réfléchir ma vie. À cet effet, Jeanne-Marie Rugira et Marc Humpich précisent que :

Le projet [de ces cours] avait comme visée globale de permettre aux étudiants en cours de formation en psychosociologie d’avoir accès à de nouveaux outils, nécessaires au déploiement de la présence à soi, aux autres, au groupe et au monde, en vue de favoriser une écoute inédite des personnes, des processus et des situations en contexte de formation, de recherche et d’intervention. (Rugira et Humpich, 2013, p. 15)

Ces cours ont donc été pour moi une introduction importante à l’approche somato- pédagogique de l’accompagnement et m’ont permis de développer ce rapport à mon corps. J’ai découvert, non pas dans l’instant, mais a posteriori, de nouvelles manières de réfléchir les événements de ma vie. Je découvrais une manière surprenante de penser, comme si un sens nouveau s’introduisait et contrecarrait des schèmes habituels de pensées, de vision.

J’apprenais en effet à poser mon attention dans mon corps et à accorder une valeur à mon expérience. J’apprenais à laisser une présence se construire en moi, un rapport au silence s’installer, une proximité à moi se révéler, et ce, dans une curiosité ainsi qu’un désir de

percevoir et d’apprendre. J’apprenais à poser mon attention et à laisser une volonté autre en moi me révéler une nouvelle manière d’entrer en relation avec moi-même, avec les autres et à me renouveler pour découvrir qui je deviens. Jeanne-Marie Rugira et Marc Humpich nous rappellent par ailleurs que :

Dans ces cours laboratoires, les étudiants venaient entrainer leurs compétences attentionnelles et perceptives par le biais de la relation d’aide manuelle, du travail gestuel et d’une pratique introspective centrée sur le développement du rapport à l’éprouvé des processus subtils qui signent l’expression du principe du vivant à l’œuvre dans le corps humain (Rugira et Humpich, 2013, p. 15-16).

J’ai donc patiemment et résolument appris à percevoir mon corps sensible. Je découvrais avec joie que j’avais la possibilité infinie d’accéder au fond de moi à ce que Ève Berger et Danis Bois (2011) appellent les contenus de vécu du Sensible. La perception de mon corps sensible me permettait alors de percevoir des sensations, des états d’âme ou du corps, des sentiments, des émotions, des pensées et des images. Je les ressentais comme des effets directs de cette nouvelle capacité de percevoir consciemment le mouvement interne dans mon propre corps ou encore comme les simples manifestations de ce premier. En plus de ces cours au sein desquels je me formais aux théories et pratiques du Sensible, j’ai décidé de participer à des stages de formation et à des ateliers de groupe en gymnastique sensorielle hebdomadairement, en vue de mieux m’auto-accompagner.

Je me souviens, nous sommes en stage de formation en approche somato- pédagogique de l’accompagnement. Nous sommes en train de faire un exercice de thérapie manuelle. Je suis couchée sur une table de traitement et mon amie me traite le ventre. Je suis dans ma tête, peu présente à ce qui se passe, plus ou moins consciente de la densité émotionnelle qui est contenue dans mon ventre. Je me sens nerveuse, je suis préoccupée de devoir offrir à mon tour une séance de soin. J’en étais à mes premières expériences d’accompagnement manuel et cela m’intimidait. Je me sentais si maladroite et cela me faisait peur. À un certain moment, un des formateurs vient accompagner le processus d’apprentissage de cette amie qui me soigne. La présence de ce formateur et son toucher éveille mon attention. Dans sa guidance, il pose ses mains sur les siennes et l’invite à entrer au plus creux de mon ventre. Il dit alors d’un ton ferme et à la fois plein de délicatesse, presque comme un chuchotement grave : « OK ! Vas-

y, doucement, vas-y, encore et encore… » J’ai senti les mains de mon amie s’enfoncer loin, loin, loin, au cœur de mes entrailles où était conservé tout ce que je n’avais pas encore élucidé, accueilli, vu. J’ai dû apprendre à cet instant à respirer autrement. Puis, le formateur a précisé l’importance d’aller dans l’amplitude du mouvement pour m’offrir les conditions de rencontre avec moi-même. Il a précisé : « Elle a besoin d’être plaquée contre elle-même ». Sa phrase m’a d’abord surprise, interrogée, avant de sentir ce dont il parlait. Je me suis sentie vue, dans un face à face avec moi- même, sans dentelle, sans confettis, et pourtant dans une complexité d’expérience à la fois belle, féconde et vulnérable. Je me suis vue là où je n’avais jamais pu m’apercevoir auparavant.

Extrait de journal de recherche, Myra-Chantal Faber, 2009

Tout au long de ce stage, je découvre une volonté qui s’efface pour laisser place à une autre nature de volonté, une forme d’autorité douce qui me guide sans effort. Je saisis mieux ce que Danis Bois et Didier Austry (2007) appellent la neutralité active :

La part de neutralité correspond à un « laisser venir à soi » les phénomènes en lien avec le mouvement interne, sans préjuger du contenu précis à venir. Dans ce cadre d’observation, le mouvement interne « prend corps » pour le sujet qui perçoit et imprègne tout autant sa matière, sa conscience et sa pensée. Le « laisser venir à soi » est un « savoir attendre » qui consiste d’abord à ne pas anticiper ce qui va advenir. C’est grâce à la suspension de toute anticipation que le « savoir attendre » est en mesure de donner sa pleine mesure. C’est aussi ce qui permet de respecter le principe d’évolutivité du Sensible qui se déploiera à la mesure des capacités perceptives du sujet. (Bois et Austry, 2007, p. 6)

Je me rendais compte que dans ce laisser-faire, je ne contrôlais pas du tout ce que je vivais dans l’instant. Pourtant, je me sentais très active dans la qualité de mon attention et dans cette manière inédite de me laisser faire. J’étais active en restant ferme dans mon intention de m’ouvrir et de me laisser mouvoir, dilater, rencontrer. Je demeurais à la fois dans une forme de vigilance relâchée, sans pour autant être volontaire. Lorsque j’avais tendance à anticiper et maitriser ce qui m’arrivait, je me voyais transposée dans un univers différent où il me fallait d’abord apprendre à être dans la confiance que cette vie qui me traverse est plus pure et bienveillante que je ne peux le concevoir. Je m’apercevais du chemin que j’avais à

parcourir pour éduquer mon attention à ce mode de vie que je voulais plus fréquent afin de me sentit plus créative. À ma grande surprise, je découvrais que la perception du Sensible affectait, influençait et modulait mes manières habituelles de réfléchir les événements de ma vie. Sans conteste, ce qui m’anime influençait mon rapport et ma vision du monde.