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CHAPITRE 4 RÉCIT DE PRATIQUE

4.1 M ON PARCOURS PROFESSIONNEL

4.1.1 L’auto-accompagnement : une pratique de soi

4.1.1.2 Être avec soi et avec les autres

Je me souviens, je suis dans une journée de ressourcement à Rimouski avec un formateur en approche somato-pédagogique de l’accompagnement. L’animateur nous propose un exercice en accompagnement gestuel14. Je suis accompagnée par deux collègues. Les accompagnés sont couchés sur une table, les yeux fermés et ils sont invités à entrer dans un mouvement libre. Le projet de l'atelier est d’apprendre à se fier à ses propres élans intérieurs tout en s’appuyant sur les autres qui veillent sur notre sécurité et nous guident au besoin avec leurs mains, pour bouger en toute liberté sans risquer de tomber du haut de la table.

14 La gymnastique sensorielle est constituée d’un ensemble d’enchainements de mouvements structurés

selon des lois bien précises, permettant la mise en action des impulsions données par le mouvement interne ; d’autre part, elle constitue un sas nécessaire entre intériorité et sphère comportementale. (Berger, 2006, p.58)

Choisir la conversion du

regard

Entrer en proximité avec soi

Accueillir son expérience La reconnaitre La valider Se laisser inspirer S'actualiser

Dans ce contexte, j'ai le projet d’apprendre à bouger à partir de mon désir intérieur. Je suis d’emblée étonnée de découvrir l’abondance des possibles qui m’habitent lorsque je me mets à l'écoute de mes propres impulsions. Mon premier mouvement est volontaire, puis je m’apprivoise petit à petit dans mon mouvement. Mes perceptions s'éveillent. J'explore donc mes mouvements, ma posture. Je roule, je rampe, je me retourne à la fois curieuse des sensations qui m'habitent et du contact de mes collègues accompagnateurs. Au sein de cette exploration, je suis dans une évolutivité, qui me fait visiter toutes mes possibilités articulaires. Je roule et roule encore sur moi-même dans cet espace réduit en faisant confiance non seulement à mon propre mouvement, mais aussi à l’autre qui veille sur moi et qui m’offre son appui. Je deviens de plus en plus curieuse de suivre mon élan vital. Je gagne en rythmicité. Je me sens de plus en plus proche de moi, dans le moment présent. Je réalise qu'à l'instant où je me sens profondément reliée avec ma vie telle qu’elle m’apparaît dans mon intériorité corporelle et que je me sens concernée jusque dans le creux de mes organes, il devient possible pour moi de me relever et de me tenir debout. Je suis bouleversée de me découvrir dans cette qualité de confiance en ce qui m’anime, et par ailleurs, dans cette qualité de confiance en l’autre. Je m’accueille dans ma nouvelle capacité à me poser sur cette confiance et à savourer ma vie reliée.

Extrait de journal de recherche, Myra-Chantal Faber, 2014

Cette expérience a été marquante pour moi à plusieurs égards. Bien que mes yeux soient fermés et que je sois dans un espace limité, j’étais étonnée d'aller librement dans cette exploration, tout en gardant un sentiment d'équilibre. Je sentais ma créativité se déployer dans toutes les formes de mouvement, dans toutes les orientations possibles. J’étais stable, en mouvement certes mais solide, curieuse et confiante. J’étais surprise de découvrir la qualité du lien, d’abord avec moi-même, puis avec les deux femmes qui m’accompagnaient. Je ne les voyais pas, mais je les sentais. Avec du recul, je réalise que le fait d’avoir les yeux fermés, d’être centrée sur ce qui me guide du dedans me libérait de toutes mes appréhensions face au regard de l’autre. Je me sentais réellement en relation avec ces deux femmes qui me regardaient, me soutenaient, me contenaient et m’encourageaient tout en veillant sur chacun de mes mouvements. Dans cette forme de réciprocité incarnée, je nous sentais toutes les trois, ensemble dans une confiance mutuelle, en train de nous offrir une expérience commune.

Nous dansions les trois ensembles, moi sur la table et elles, debout de chaque côté, telles des sages-femmes m’assistant dans l’accouchement de moi-même. Comme le nomme bien Christiane Singer, nous goûtions le fruit de notre rencontre :

Ce ne sont plus deux êtres qui se retrouvent face à face avec leur histoire et le bataillon de mercenaires qui les constituent (soient les mille aspects de leur personnalité réciproque), mais deux espaces abolis - deux corps de résonance, deux corps conducteurs. Une double absence claire et lumineuse dans laquelle la Présence s'est engouffrée. (Singer, 2001, p. 56)

Je découvrais avec enchantement que j’étais amplement capable de faire confiance à ce corps que je découvrais entièrement libre du regard de l’autre et animé d’une force de croissance, d’une intelligence qui me semblait non seulement cohérente mais aussi transformatrice. Je pouvais avancer sans jugement, sans peur en assumant chacun de mes pas. Mon corps sachant faire, je pouvais me mettre à l’écoute et suivre ce chemin vers mon émancipation.

L’accompagnement de ces femmes a été salvateur pour moi. Cette expérience m’a permis de sentir la présence bienveillante de l’autre, alors qu’elles étaient d’abord étrangères à moi-même. Elles se sont mises au service de mon déploiement, avec la croyance que ce que nous libérions ensemble, nous le libérions pour les trois, et plus encore... Nous étions en train d’inventer dans l’instant même une manière de se solidariser entre femmes pour se libérer réciproquement.

J’étais étonnée de voir ma capacité à leur accorder ma confiance et me laisser reconnaître dans ma vulnérabilité. J’ai le sentiment qu’elles m’ont rassurée, qu’elles m’ont attendue, qu’elles m’ont désirée grandie. Elles m’ont aidée à contenir et à accueillir ces parts de moi qui n’étaient pas encore nées, jusqu'à ce que je puisse sentir la solidité nécessaire pour me tenir debout, droite et moelleuse, depuis ma dignité. J'ai le sentiment qu'à cet endroit, elles m’ont accompagnée à me laisser voir. Elles m’ont permis de naître au monde. En prenant le risque d'être vue dans ces espaces de moi qui ont besoin de multiples regards bienveillants, j’ai vécu une expérience significative qui a transformé mon rapport à l’autre.

J’ai senti que nous avions trouvé un chemin vers une source d’eau pour que ces parts de moi asséchées par la peur du regard de l’autre puissent s’abreuver. Je ne sentais plus ni le doute, ni la peur, ni la méfiance. Il n'y avait que l'amour et j’étais moi-même portée par cet amour.

L’intelligence de ce travail en approche somato-pédagogique de l'accompagnement m’a beaucoup impressionnée. Ce moment étonnant et profondément enseignant m’a permis de voir que l’effort de se rapprocher de moi-même et de donner authentiquement accès à mes propres élans permettait d’accéder à une forme d’autorité intérieure soignante et reliante. Je pouvais ainsi entrer dans ma propre souveraineté. Je constatais que plus on gagne en qualité de rapport à soi, plus le chemin de la relation aux autres devenait fluide et stable.

Figure 6 : Le rapport au corps comme terrain de construction de la confiance

Confiance

dans

l'autre

Confiance

dans mes

élans

Confiance

dans mes

gestes

4.1.2 L’intervention de crise et en prévention du suicide : une pratique