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1.6 – Projection de la vision intérieure.

II – I NTÉRÊTS PÉDAGOGIQUES DE LA DANSE CONTEMPORAINE POUR L ’ INDIVIDU

II. 1.6 – Projection de la vision intérieure.

Citant Max Ernst, Maurice Merleau-Ponty ajoute que :

« De même que le rôle du poète depuis la celèbre lettre du voyant consiste à ecrire sous la dictee de ce qui se pense, ce qui s’articule en lui, le rôle du peintre est de cerner et de projeter ce qui se voit en lui. »37

C’est bien de cette projection de l’intériorité de l’artiste que vient la fascination que la danse exerce sur le public. Passage de l’intérieur vers l’extérieur que le philosophe Jose Gil qualifie de « sorte de révélation de tous les instants […] qui implique aussi un autre temps,

36 Samuel Beckett cité par Régine Detambel, Petit eloge de la peau, coll. folio, Editions Gallimard, 2007, p.13. 37 Max Ernst cité par Maurice Merleau-Ponty, Op.cit., 1964, p.30.

non linéaire, le temps de la révélation »38. Cette fascination semble renforcée par le fait que cette « projection » atteint directement le spectateur dans son propre corps. En effet, le corps du danseur toucherait le corps du spectateur dans un dialogue entre leur deux kinésphères respectives, celle du danseur se dilatant dans l’espace de la danse jusqu’à entrer en contact avec son audience. Laurence Louppe rajoute que cela se produit même « à l’insu » du spectateur, « à condition que ne soit pas bloqué et durci l’espace de réception où ces contacts aboutissent. »39 A travers cette kinésphère, ce sont les tensions, les transferts de poids, ainsi que le tonus postural que le spectateur percoit, lui transmettant sous forme de sensations corporelles, cet intérieur rendu lui-même par la perception d’une poétique du corps.

La vision intérieure, que le danseur développe en adoptant un état contemplatif de lui- même, se trouve par la suite entraînée dans un double mouvement extérieur, s’incarnant une première fois dans son propre corps pour atteindre, dans un second temps, celui du spectateur. II.1.7 – Vers une connaissance intuitive de l’être au monde.

La mise en mouvement du corps, engendrée par la danse, facilite la mise en mouvement d’une pensée intuitive. L’activité du corps permet à l’esprit une libre vacance qui l’installe dans une grande disponibilité psychique. C’est dans cette libre vacance de l’esprit que peut apparaître la connaissance intuitive. A travers l’expérience de la danse, la conscience que l’individu acquiert est de l’ordre d’un sentiment de présence, un contact avec l’être saisi dans son existence qui dépasse aussi le langage et l’intellection. La danse, comme toute expérience est une expérience à vivre pour en saisir toute l’essence.

Elle est également d’autant plus active qu’elle se vit dans une démarche consciente de l’individu qui choisit volontairement de se placer dans les conditions d’une « oisiveté active », comme la nomme Emmanuel Kant. Par la danse, le danseur quitte un espace-temps quotidien en affirmant sa présence au monde et à son être intérieur.

Cette disponibilité à soi-même et au monde s’expérimente également, selon Henry David Thoreau40, dans la pratique de la marche, autre activité dont l’oisiveté permet une

38 Jose Gil, Le corps abstrait in La danse, naissance d’un mouvement de pensee, ou le complexe Cunningham, réalisé par la Biennale Nationale de Danse du Val-de-Marne, sous l’égide du conseil Général du Val-de- Marne, Arman Colin, 1989, p.105.

39 Laurence Louppe, Le corps comme poetique in Danser sa vie, ecrits sur la danse, Editions du Centre Pompidou, 2011, p.223.

40 Les écrits de Henry David Thoreau eurent une grande influence chez de nombreux membres du Black Mountain College, notamment John Cage et Merce Cunningham.

disponibilité de l’esprit. Dans De la marche41, Thoreau raconte son goût de la marche et ses promenades, mais à travers cela, c’est de ses réflexions sur le monde, la société et l’homme dont il nous fait véritablement part. La marche crée une atopie, un lieu à la fois à l’écart et au cœur du monde, un retranchement de l’espace-temps objectif, de l’activité productrice quotidienne. Cette démarche contemplative, au cœur de la nature, peut également être associée à une démarche politique, une facon de sortir de l’utilitarisme, d’accéder à une voie menant à l’éveil de soi.

La marche, contemplation de la nature, convoque l’œil physique, la vision extérieure, celle du monde qui va pénétrer notre intérieur. La danse partage avec la marche cette atopie permettant d’affirmer sa présence au monde tout en s’éveillant à soi-même. Mais c’est de l’œil intérieur dont elle se sert pour contempler l’être pris dans le monde, entre le visible et l’invisible.

Dans l’espace temps poétisé par le danseur, celui-ci prend le temps de se placer à l’intérieur de son propre corps pour trouver la justesse du geste. Dans ce lieu hors du temps et de l’espace, ou plutôt au cœur du temps et de l’espace, le danseur accède à une autre état de conscience. Se développe alors une connaissance intuitive de l’être au monde, une connaissance vécue, éprouvée plutôt que pensée. Cet état de connaissance intuitive vécue par le danseur permettrait alors de penser la danse comme une philosophie, une philosophie qui s’éprouve plutôt qu’elle ne se pense, une philosophie d’un corps « pensant ».

II.2 – Existe-t-il une philosophie ou pensée de la danse qui complèterait ou justifierait