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4.1 – La danse, quelle danse ? Une éducation par un travail du corps.

II – I NTÉRÊTS PÉDAGOGIQUES DE LA DANSE CONTEMPORAINE POUR L ’ INDIVIDU

II. 4.1 – La danse, quelle danse ? Une éducation par un travail du corps.

La danse est la manifestation d’un dialogue poétique entre le visible et l’invisible. Elle permet, par le mouvement du corps (phénomène visuel perceptible), de communiquer une pensée intime et invisible. Véritable langage corporel poétisé, la danse offre à chacun l’opportunité d’exprimer autrement que par des mots un imaginaire singulier et de le développer jusqu’à la nécessité de le nommer.

Il est important ici de considérer la danse en tant que processus créatif. C’est le mouvement comme création (processus et non forme fixe) qui est considéré comme ayant le potentiel d’être bénéfique à la construction de la personnalité de l’enfant. La danse doit alors être vécue comme un chemin à parcourir, un moment de vie, même si l’exigence des propositions faites à l’enfant demeure centrale.

Pour opérer, la danse utilise les différentes composantes du mouvement.

« Etre danseur, c’est choisir le corps et le mouvement du corps comme champ de relation avec le monde, comme instrument de savoir, de pensee, et d’expression »65

65 Laurence Louppe, Poetique de la danse contemporaine, deuxième édition complétée, éditions Contredanse, Bruxelles, 2000, p.61.

La pratique de la danse permet une approche nouvelle de l’instrument du danseur : son corps.

« Dans notre societe le corps est surexpose, on en parle beaucoup, on le montre et l'image qu'il renvoie est preponderante, on l'exhibe, on le corrige, on le transforme, on l'utilise et paradoxalement on ne l'eprouve guère.

Ma presence et mon action dans les ecoles cherchent à mettre le corps, la multiplicite des corps au centre du travail. Je propose aux enfants de construire leur corps dans « l'eprouver », c'est-à-dire en l'experimentant, l'observant et le considerant. Toutes ces etapes se partagent avec les autres, on cherche à construire son corps dans la specificite et la differenciation de chacun. Comment eprouver son corps et le corps des autres sans l'utiliser ni le manipuler.

J'essaie d'amener les enfants à ne pas se satisfaire d'avoir un corps, mais de travailler à « être » son corps. »

Agathe Pfauwadel, danseuse et pédagogue.66 Redécouvrir son corps à travers le mouvement, c’est tenter de comprendre son fonctionnement, c’est le travailler pour l’affiner et pousser plus loin sa maîtrise. Ce travail permet à l’enfant de prendre ou reprendre contact avec son corps pour progressivement étendre la conscience qu’il a de cette partie de lui-même avec pour objectif une maîtrise de soi, tout entier, à la fois corps et esprit.

Selon Merce Cunningham : « La technique permet de discipliner l’énergie par l’exercice physique et de la libérer à volonté sous sa plus haute forme physique et spirituelle. ».67

« Parce qu’il travaille avec son corps, l’instrument68 le plus solide et le plus

66 Agathe Pfauwadel, danseuse et pédagogue, encadre ce projet mené à l’école Gaston Bachelard, au Mans. Agathe Pfauwadel est une danseuse interprète qui durant son parcours chorégraphique a travaillé notamment avec Christian Bourrigault, Xavier Leroy, Georges Appaix et Alban Richard. Elle rencontre Odile Duboc en 1996 pour la création de trois boléros, suit son travail et son enseignement. Elle l'accompagne au cours des trois dernières années comme formatrice sur La pierre et les songes. Titulaire du Diplôme d'Etat, Elle mène parallèlement un travail de sensibilisation auprès de différents publics, amateurs, scolaires, personnes déficientes (pour lesquelles elle a suivi la formation de psychomotricité).

67 Cunningham Merce, La fonction d’une technique en danse (1951) in Merce Cunningham, un demi-siècle de

danse, Chronique et commentaire de David Vaughan, Editions Plumes / Librairie de la Danse, Paris, 1997,

p.60.

68 Ici, Merce Cunningham parle du corps en tant « qu’instrument » en comparaison avec le travail du musicien et de son instrument. Il ne s’agit en aucun cas « d’instrumentaliser » le corps. Bien au contraire, Merce Cunningham considérait l’être humain comme un tout, corps et esprit étant indissociables, et la danse travaillant à montrer cette indissociabilité.

fragile à la fois, le danseur doit imperativement organiser et comprendre sa manière de bouger. »

Merce Cunningham, 1951. Travailler à connaître et maîtriser son « instrument » permet à l’enfant de canaliser et de libérer son énergie porteuse d’un imaginaire singulier. Cependant, découvrir les potentiels de son corps c’est aussi faire face à ses limites. En effet, « vivre son corps n’est pas seulement s’assurer une maîtrise ou affirmer sa puissance, mais aussi découvrir sa servitude, reconnaître sa faiblesse »69.

Durant les ateliers, l’enfant est sans cesse mis face à la réalité de son corps, à son potentiel mais aussi à ses limites. Grâce à cela, il apprend à se dépasser, à persévérer et, en même temps, à accepter les réalités sur lesquelles il ne peut pas agir. A travers cela, l’enfant- danseur se découvre et se construit à la fois physiquement et psychologiquement, persévérant de défis en défis pour atteindre les objectifs qu’il se fixe avec le groupe.

Ce qui prime dans la danse que nous proposons n’est pas la performance physique mais la qualité qui habite le geste, qui donne son sens et son identité. Et c’est dans cette qualité là, dans l’imaginaire qu’elle porte, que s’exprime la singularité du danseur.

II.4.2 – Pourquoi la danse contemporaine à l’école ? II.4.2.1 – L’expérience esthétique.

Dans son ouvrage L’art pour eduquer ? La tentation esthetique, 2004, Alain Kerlan nous explique que l’apport de l’artiste à l’école est, en premier lieu, une expérience esthétique avec toute la richesse et la singularité qu’elle comporte. Nous parlons ici d’expérience esthétique et non d’expérience artistique, l’expérience esthétique étant plus large et antérieure à celle artistique. Elle est, en effet, déjà présente dans la vie ordinaire quand l’homme s’émerveille devant le spectacle du monde. Comme le disait Dewey, il existe donc une continuité entre l’expérience ordinaire et le monde de l’art. Kerlan nous rappelle alors que l’esthétique est bien « une composante essentielle du mental humain » sollicitant conjointement nos capacités cognitives, appréciatives et sensorielles. L’expérience esthétique

a donc une valeur fondamentale et fondatrice qui justifie sa place à l’école. Elle est « une modalité d’être au monde » et ouvre la porte à l’instruction en apportant au monde une lisibilité.

En apportant au monde cette lisibilité, l’expérience esthétique devient une véritable porte d’entrée pour l’acquisition des fondamentaux qui permettent à tout être de grandir et de se structurer dans la société. Et ses effets se font d’autant plus ressentir chez des enfants en difficulté. L’œuvre d’art donne alors à l’élève l’occasion de dépasser la barrière du discours traditionnel, de l’écrit, pour entrer dans une autre forme de communication, que ce soit par le corps ou l’oral où sa parole est réellement prise en compte.