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Progression et augmentation de la difficulté 110

5.   Résultats et interprétations 93

5.3   Concepts centraux des designers de jeux casual (2) : la progression 109

5.3.1   Progression et augmentation de la difficulté 110

Au cœur du modèle du flow se trouve une idée de progression, de transformation de l’être. Dans une expérience optimale, une forme de complexité se met en place:

It provided a sense of discovery, a creative feeling of transporting the person into a new reality. It pushed the person to higher level of performance, and led to previously undreamed-of state of consciousness. In short it transform the self by making it more complex. (Csikszentmihalyi, 1991).

Nous avons vu dans la section 2.3.3 que l’augmentation du challenge dans un jeu est souvent liée à l’idée d’augmentation de la difficulté. « L’augmentation du challenge » est alors utilisée comme un synonyme de « progression ». Cependant, dans certaines activités décrites par Csikszentmihalyi pouvant mener à un état de flow, telles que la lecture, il est peu probable que le challenge augmente, et que les compétences de l’usager soient sans

cesse mises à l’épreuve : il n’est pas plus difficile de lire un livre à la fin qu’au début. Pourtant il est possible d’atteindre cet état de complexification de l’être, de progression.

Des études récentes dans le domaine du jeu vidéo montrent que le challenge n’est pas uniquement lié à la difficulté. C’est ainsi la conclusion d’une étude sur le lien entre challenges et difficulté dans les RPG, réalisée par Bostan et Öğüt: « Designers should keep in mind that game challenges are determined by various factors and they cannot be explained solely with difficulty curves » (Bostan & Öğüt, 2009a).

De la même façon, le designer Mike Lopez a expliqué sur Gamasutra.com que la difficulté n’est que l’un des aspects de l’expérience de jeu, et se focaliser uniquement sur ce point est probablement une erreur :

Most people who play games are probably familiar with the concept of difficulty progression, at least at a subconscious level - that games should get harder over time. Most designers presumably know to build increasing difficulty into successive levels, missions, worlds, or courses (usually the single player experiences). But difficulty is only one portion of the overall game experience, and there are several other elements that need to be structured, managed and revealed carefully in order to provide the user with a truly compelling and enjoyable experience throughout gameplay.(Lopez, 2006).

Parmi nos participants, plusieurs designers ont ainsi montré que le challenge peut être renouvelé sans pour autant faire appel à la difficulté. Le participant 8 décrit les challenges dans Flower et sous-entend qu’ils ne sont pas forcément liés à la difficulté, mais plutôt à un intérêt pour la découverte, ou pour une forme de beauté :

Participant 8 : En fait un jeu c'est quoi s’il n’y a pas de challenge ? Dans Flower, même, il y a un challenge, pour moi… J'ai trouvé mon challenge dans Flower. Mon challenge c'est d'avoir le plus de fleurs possible et de créer quelque chose de plus grandiose et beau possible. C'est ce que je veux, je veux une espèce de métaphore de la beauté. Il y a des personnes qui vont trouver un challenge dans le fait de trouver toutes les fleurs cachées, ce qui fait que ta fleur va se développer à la fin dans ton menu. Moi j'aime bien faire ça aussi ! Les trophées, les achievements, c'est un autre sujet, mais ça reste un autre challenge qui de fait va rejoindre d'autres personnes. Donc il faut des challenges. Et même dans les jeux casual.

Ce participant montre qu’il existe différentes solutions de design (objets à collecter, récompenses visuelles, achievements) pour créer un challenge. Un autre participant fait

bien la différence entre challenges et difficulté. Une situation est un challenge si le joueur est content de l’avoir jouée, mais cela n’implique pas forcément d’avoir surmonté une difficulté :

Chercheuse : J’aime bien cette idée de challenge... Tu penses qu’il faut quand même que ce soit : difficile ? «Challengeant », comment tu gères ça?

Participant 5 : Il faut que tu sois content de le réussir peu importe si ça faisait

référence à la difficulté ou si c’est juste le reward qui est intéressant.

De plus, la difficulté ne semble pas être valorisée dans le système d’appréciation de nos participants. Ils dénoncent ainsi certains précédents, tels que Gran Theft Auto IV, où la difficulté les a empêchés de profiter pleinement de l’expérience, et ce, même s’ils étaient conscients qu’il s’agissait de titres hardcore. Le participant 1 a aussi exprimé cette idée que la difficulté n’est pas un but en soi, en estimant que dans son jeu : « Il n’y avait pas un besoin d'aller plus loin en difficulté ». Visiblement, le jeu aurait pu devenir de plus en plus ardu, mais ce n’est pas la voie qu’il a choisie de suivre, car ce n’était pas nécessaire pour conserver le challenge.

Il n’est peut-être pas nécessaire d’augmenter la difficulté pour renouveler le challenge ; il est indispensable de proposer un nouveau challenge, mais ce dernier n’a pas nécessairement à être plus difficile. L’équilibre challenges/compétences est soumis à une progression au sens de transformation, de variation.

Un jeu casual serait donc un jeu où l’on constate une progression, mais celle-ci n’est pas uniquement dépendante de la difficulté du jeu, il s’agit plutôt d’une variation des challenges.