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Précision sur la définition d’un jeu 95

5.   Résultats et interprétations 93

5.1   Le language, témoin de l’évolution des concepts 93

5.1.2   Précision sur la définition d’un jeu 95

Qu’est-ce qu’un jeu ? On pourrait penser que dans l’expression « casual game », seul le premier terme mérite notre attention. Mais les designers que nous avons rencontrés nous ont rappelé que la nature ludique de certaines œuvres labellisées comme casual est questionnable. Lorsqu’il essayait de définir son rôle sur les projets casual, le participant 4 a précisé ne pas vouloir être considéré comme un designer d’application :

Participant 4 : La chose sur laquelle j’avais peut-être une vision un peu plus négative, du moins ce que je n’avais pas envie de faire, c’est un non-game. Donc d’arriver sur un jeu qui n’est pas vraiment un jeu, mais plus près d’une application ; par exemple on a fait un jeu de cuisine... c’est pas vraiment un jeu de cuisine, mais un livre de cuisine sur DS […] Donc, ce genre de projet-là moi ça ne m’intéressait pas, c’est plus près d’une application.

Le participant 5 a exprimé la même idée, en utilisant un langage identique : « C'est pas un jeu parce que tu n’as pas de challenge qui vient avec. C'est plus une application tactile ».

Au fait qu’un jeu n’est pas uniquement une application tactile s’ajoute le constat qu’il ne s’agit pas non plus simplement d’un ensemble de mécaniques. Le participant 4 continue à définir son rôle et estime qu’il n’est pas un designer d’interactions ; le participant 5 donne un exemple de jeu qu’il a réalisé où le manque de challenge rendait l’expérience de jeu peu intéressante :

Participant 4 : Dans le contexte de l’œuvre, pour moi il n’y a pas de gameplay dans ces mécaniques-là, parce que finalement on pointait vers des trucs puis ça s’animait. Ce n’était pas « je pointe des trucs sur le rythme donc ils s’allument ».

Participant 5 : En fait, tu as une vue de haut qui est une autoroute avec plusieurs voies, et ce ne sont que des automobiles qui se promènent. Toi tu en contrôles une, et ce qui est le fun c'est que tu rentres dans les autres automobiles et tu

crées des carambolages. Et elles s'entrechoquent. On a une mécanique, mais il n’y a pas de challenge qui vient avec ... c'est plate.

Le participant 4 souligne que la définition de la mécanique se limite à l’action de pointer, tout comme le participant 5 restreint la mécanique à l’action de déplacer les voitures (pour créer des carambolages). Cette définition des mécaniques est un autre problème de langage du jeu vidéo : qu’est-ce qu’une mécanique ? Dans son article Defining game mechanics (2008), Miguel Sicart s’est penché sur cet épineux problème. Sa définition est la suivante « game mechanics are methods invoked by agents, designed for interaction with the game state. ». D’après l’auteur, cette définition permet de contourner un certain nombre de limitations constatées dans d’autres travaux sur les mécaniques de jeux (Sicart, 2008). En particulier, cette définition n’assujettit pas les mécaniques au challenge : « Game mechanics are often, but not necessarily, designed to overcome challenges, looking for specific transitions of the game state » (Sicart, 2008). Cela correspond bien à la vision de nos designers : des mécaniques peuvent être créées sans être nécessairement des réponses à un challenge. Dès lors que les mécaniques peuvent être indépendantes du challenge, on comprend mieux qu’elles ne sont pas suffisantes pour donner le statut de jeu à un programme informatique.

Finalement, le participant 4 termine la définition de son rôle en nous rappelant qu’il est un designer de systèmes de jeu :

Participant 4 : Je voulais faire quelque chose de plus systémique, donc j'ai vraiment proposé des systèmes d'interactions […]. Je pense que l'expérience la plus intéressante dans un jeu ce n’est pas nécessairement les interactions que tu fais, mais c'est vraiment le gameplay. Donc ce qui est important dans un jeu c'est vraiment ça, c'est vraiment le gameplay, donc on parle vraiment d'un système de règles avec un but. Et une façon de voir à quel point tu l'as bien réussi.

Sa vision correspond globalement à la définition d’un jeu donnée par Salen et Zimmerman : « a game is a system in which players engage in an artificial conflicts, defined by rules, that results in quantifiables outcome » (Salen & Zimmerman, 2003, p. 80), qui met l’emphase sur le système de règles et les buts à atteindre. D’autres participants ont aussi insisté sur les règles et les buts dans la description qu’ils faisaient de leur pratique.

L‘expression « jeu casual » est donc plus riche de sens qu’il n’y parait au premier abord. La vision que le participant 4 possède de son rôle montre qu’un jeu casual n’est pas simplement un programme informatique divertissant avec lequel l’utilisateur interagit. Le programme doit comporter des règles et des buts, et la présence de mécaniques n’est pas un élément suffisant. Cela implique que des mondes virtuels comme Second Life ou les programmes informatiques de divertissement tels que Tom le chat qui parle sur iPhone, pour ne citer qu’eux, ne devraient pas être considérés comme des jeux casual. De plus, les programmes de type sandbox (bac à sable), où le joueur n’a pas d’objectifs précis à remplir, ne seraient pas non plus des jeux casual.