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Intérêt des éléments apportés par rapport aux définitions antérieures 144

6.   Discussion 143

6.1   Apports du modèle du praticien réflexif 143

6.1.2   Intérêt des éléments apportés par rapport aux définitions antérieures 144

En utilisant le modèle du praticien réflexif et l’épistémologie qui y est rattachée, notre étude propose un éclairage différent sur des notions déjà traitées dans la littérature.

Ainsi, les quatre valeurs développées par Kultima, l’acceptabilité, l’accessibilité, la simplicité et la flexibilité pourraient être un cadre d’analyse valable de nos entrevues, puisque différentes solutions de design viennent confirmer ces valeurs. Cependant lorsque nous avons mis à jour le système d’appréciation des designers, le challenge et la progression les ont clairement supplantées. Par exemple, l’accessibilité n’est pas une fin en soi. Les solutions d’accessibilité, telle que l’utilisation de compétences du joueur issues de la vie quotidienne, ont pour but de permettre la mise en place de challenge bien équilibré.

L’intérêt des valeurs présentées par Kultima réside dans le clivage qu’elles instaurent avec les valeurs du jeu vidéo hardcore. Mais nos participants ont affirmé que ce clivage est en passe d’être obsolète : il semble nécessaire de créer de nouvelles solutions de design casual qui ne soit pas uniquement un remâchage des solutions de design préexistantes, et de cesser d’envisager le jeu casual comme le rejet édulcoré du jeu hardcore. Le participant 1 a ainsi estimé que certaines leçons apprises avec le jeu casual sont transférables au jeu hardcore et non l’inverse. Par exemple, les designers de jeux hardcore pourraient reconsidérer l’importance de la simplicité, car les jeux sont parfois inutilement compliqués. Les valeurs mises en avant par nos participants sont le challenge et la progression, qui n’ont rien de révolutionnaire. Plutôt que d’un changement drastique des valeurs et des systèmes d’appréciation, il s’agit d’une évolution. Le modèle du praticien réflexif nous a permis de prolonger et préciser certains éléments de la littérature. Tout d’abord, il semble important de réexaminer certains concepts (la fiction, le challenge, etc.) et les présuppositions qui y sont attachées pour montrer les apports de notre étude. Ensuite, nous verrons que nos résultats confirment l’idée selon laquelle les contextes de jeu et de création sont à prendre en considération pour comprendre le phénomène casual.

a. Revisiter les concepts de fiction, de boucle de gameplay, de challenge et de difficulté

L’utilisation du modèle de Schön a permis à notre étude d’apporter des éléments nouveaux concernant le gameplay.

Tout d’abord, du fait que le modèle du praticien réflexif n’est pas spécifique au design de jeux vidéo et encore moins au design casual, aucun thème n’a été imposé aux participants. Nous avons ainsi pu obtenir une vision nouvelle du rôle de la fiction (thème du jeu et graphisme) dans les jeux casual : il ne s’agit pas d’un élément déterminant. Cela constitue une forte divergence comparativement à la littérature, en particulier avec la définition de Juul.

Certains concepts ont bénéficié de l’utilisation du modèle, car ils ont été abordés différemment. Parmi les nombreuses solutions de design que nous avons répertoriées, certaines étaient déjà présentes dans la littérature, telle que la possibilité d’avoir des sessions de jeu courtes. Cependant, nous avons pu approfondir cet élément, puisque nous avons constaté que les boucles de gameplay courtes n’étaient pas seulement reliées aux sessions de jeu courtes, mais aussi à un meilleur contrôle du challenge de la part des designers. Dans la littérature, la principale justification donnée pour expliquer la présence de boucles de gameplay courtes est le faible temps passé par les joueurs devant le jeu, menant ainsi à l’équivalence entre boucle de gameplay courte et session de jeu courte. Mais nos participants ont montré qu’il ne s’agissait pas uniquement de cela. En effet, il est rare que les joueurs ne restent que le temps d’une seule boucle. Le but des boucles courtes est plutôt de bien contrôler le niveau de challenge du jeu, pour qu’à tout moment celui-ci corresponde aux compétences du joueur. Des boucles de jeu courtes et modulaires permettent ainsi un meilleur contrôle de l’expérience que des boucles longues où le risque de perdre le joueur est plus grand.

Nous souhaitons aussi réaffirmer l’importance du challenge, importance mise en doute dans certaines études. Le concept n’est pas encore bon à jeter. C’est Kultima qui remet le plus drastiquement en cause cette notion, en se demandant si un jeu casual doit obligatoirement être « higly challenging », car elle souhaite montrer qu’il s’agit d’une expérience fort différente du jeu hardcore et des concepts qui lui sont rattachés. Ici, c’est le qualificatif highly qui nous intéresse : si Kultima se demande si un jeu doit offrir beaucoup de challenges, la réponse de notre étude est oui. Un jeu sans challenges est un jeu fade. Cependant, si comme dans de nombreuses études, Kultima estime que l’augmentation du challenge est liée à celle de la difficulté, sa question devient : est-ce qu’un jeu casual a besoin de devenir extrêmement difficile, comme c’est le cas des jeux hardcore ? Est-ce la seule façon de renouveler les challenges ? Dans ce cas, notre réponse est non. Un jeu n’a pas besoin d’être « higly challenging », seulement « challenging». Affirmer que le challenge est uniquement lié à la difficulté est une présupposition de beaucoup d’études, alors même que les chercheurs et les designers (voir section 5.3.1) se sont élevés contre

cette hypothèse.

Concernant les définitions qui insistent sur le fait qu’un jeu casual doit être facile (ou difficile), la réponse apportée par notre étude est la suivante : la difficulté n’est pas une valeur de design, mais simplement un outil, une solution parmi d’autres. Un jeu casual peut être facile par moments et difficile à d’autres, et il est incongru de qualifier la totalité du jeu comme étant facile ou difficile. Il reste cependant beaucoup à faire pour mieux comprendre l’utilisation de la difficulté dans les jeux. Quels sont les paramètres à modifier pour rendre un jeu plus difficile ? Certains paramètres sont-ils plus efficaces (comme la vitesse) ? Comment évaluer la complexité qui émerge de la combinaison de mécaniques ? Répondre à ces questions pourrait permettre de préciser notre vision du jeu casual.

b. Apporter des informations sur le contexte

Le modèle de l’EGE est censé être un modèle permettant au designer de prendre en compte les diverses phases de l’expérience de jeu. Nous avons pu constater que nos participants ont déjà conscience de l’importance d’une expérience étendue pour le joueur, puisque l’avant-jeu et l’après-jeu ont été évoqués, ce qui constitue un prolongement et une confirmation de la théorie de Kultima et Stenros.

Notre étude ne se limite cependant pas au contexte de jeu : nous avons collecté des données sur le contexte de design, ce qui était l’un des principaux objectifs lorsque nous avons choisi de nous tourner vers un modèle relié aux sciences de la conception. Une composante fondamentale du contexte de design est le poids de l’économie. Dans le cadre de la pratique professionnelle, le jeu doit générer des profits. Cette dimension peut avoir un fort impact sur le design, en particulier sur la qualité de celui-ci.

De plus, le rôle du designer de jeux casual présente des aspects inédits : de plus en plus, le designer est amené à être un intermédiaire, un mandataire. Sa compagnie lui demande de créer un jeu pour un public qu’il connait mal ou peu, et il doit réussir à faire le lien entre ce public et une expérience de jeu intéressante. Ce rôle est différent de celui d’un

designer de jeux plus hardcore, où le designer et le public cible se superposent : le designer créer un jeu pour lui-même, en fonction de ses gouts, car ils sont les mêmes que ceux du public. Dans un jeu casual, cette superposition n’existe plus. Dès lors, la confiance entre le mandant (le commanditaire du jeu) et le mandataire (le designer) peut être rapidement perdue. Notre étude montre que pour éviter des tensions sur les projets casual, il serait intéressant de revoir les moyens d’expérimentation utilisés par le designer, et de modifier les processus de travail. Par exemple, nous pouvons conseiller au designer de faire davantage circuler l’information, et d’éviter de s’enfermer dans des positions défensives. Pour cela, il ne devrait pas réaliser le document de game design de façon isolée pendant plusieurs semaines, mais devrait au contraire essayer de dialoguer fréquemment avec d’autres membres du projet afin de construire une vision commune forte.