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La reformulation à caractère paraphrastique

2. LES INTRODUCTEURS INTRAPHRASTIQUES

2.1. LA NOMINATION EN QUESTION : “NAMELY”

2.2.2. Profil syntaxique

“i.e.” est l’abréviation d’une locution adverbiale et peut, à ce titre, remplir diverses fonctions.

Il joue fréquemment le rôle de connecteur interpropositionnel (contrastant ainsi avec

“namely”, qui ne peut pas jouer ce rôle). Il relie alors des propositions séparées par divers signes de ponctuation, hormis le point (qui sépare des phrases distinctes). Ces propositions peuvent être autonomes (il s’agit, autrement dit, de reformulations globales) ou subordonnées (les reformulations étant en ce cas partielles).

Dans cette fonction, “i.e.” est-il un concurrent pour les introducteurs précédents ?

En tant que connecteur interpropositionnel, “i.e.” semble effectivement pouvoir permuter avec “in other words”, “that is” et “that is to say” :

(136) But the handlebars are graced with hard rubber grips, similar to some recently discovered on stone age cave paintings, i.e. they’re dated and uncomfortable.

(FLOB E1779)

Les substitutions par chacune des trois locutions seraient ici possibles. Toutefois, la reformulation ne serait pas interprétée de la même manière selon le type de locution employé. En raison des instructions sémantico-pragmatiques de ces introducteurs, on peut dresser le contraste suivant :

“in other words” (altérité)

“that is to say” (visée) DISSOCIATION interprétative de S et R

that is” (équivalence)

“i.e.” (équivalence) ASSOCIATION interprétative de S et R

16- Rapprochement de “i.e.” et “that is”, par contraste avec deux autres introducteurs

“i.e.” peut également jouer le rôle de relateur intrapropositionnel, reliant alors des

syntagmes de fonctions variées (compléments circonstanciels, compléments d’objet, sujets grammaticaux).

- En ce cas, il est en concurrence avec les trois connecteurs ci-dessus, mais également avec “namely”. Cette substitution est ainsi possible dans des exemples tels que :

(137) Alternatively, each gate could have its own power source, i.e. a hydraulic pump driven by an electric motor.

(FLOB J7344)

Ce sont cette fois des segments de même fonction syntaxique, mais de fonctions discursives différentes (une désignation et la description de son référent) qui sont mis en relation. Ce cotexte est favorable à l’emploi de “namely” comme de “i.e.”, qui s’avèrent concurrents dans cet emploi.

- Une des caractéristiques notables de “i.e.”, en tant que relateur intrapropositionnel, tient à ce qu’il peut également relier des syntagmes de fonctions syntaxiques différentes. En première

analyse, “i.e.” serait donc comparable à “namely” :

(138) Such approaches to reading a play as were generally on offer did not significantly differ from the ways in which students were called upon to read a poem or work of prose or fiction, i.e. as literary projects.

(FLOB G3646)

S et R présentent une dissymétrie syntaxique (on a un complément prépositionnel, d’une part, et un complément circonstanciel de manière, d’autre part). Bien qu’étant tous deux compatibles avec la dissymétrie des segments, la substitution de “namely” à “i.e.” semblerait incongrue dans cet exemple.

Pour quelle raison ?

On rappelle (cf. 2.1.3.) que, dans les énoncés en “namely” présentant des dissymétries, R consiste toujours en une complétive en “that”. L’identité syntaxique de S et R peut, en outre, être résolue par une interprétation elliptique :

(139) I think this is one point we agree on / namely that the Homicide Act is extremely anomalous/ (llc- 05- 5355970012w)

Dans cet énoncé, typique de l’emploi de “namely”, la symétrie des fonctions syntaxiques peut être rétablie si l’on énonce “the fact” au début de R (“namely the fact that…”). Or cette manipulation vaut pour tous les cas où “namely” relie un syntagme et une proposition.

On en déduit que “namely” n’est compatible qu’avec un type particulier de dissymétries : celles qui sont compatibles avec une interprétation elliptique.

L’abréviation “i.e.” permettrait, en revanche, tous types de dissymétries syntaxiques.

Dans les cas où “i.e.” relie des segments dissymétriques (cf. 139 ci-dessus), on remarque que

R n’est pas syntaxiquement substituable à S : il ne peut occuper une place structurale dans l’énoncé. R semble en conséquence détaché de cet énoncé-cadre. En ce cas précis, la reformulation en “i.e.” peut être représentée de la même façon qu’une reformulation en “namely” :

Rel P S i.e. R

Schéma de reformulation possible avec “i.e.”

Dans la majorité des cas, la suppression de l’ensemble [ S + i.e.] est toutefois possible. Prenons cet exemple :

(140) A society becomes more prosperous, the economic rent for opera singers rises and, in justice, their rising value, i.e. economic rent should also be taxed.

(FLOB B 23 89)

La suppression conjointe de S et de “i.e.” étant possible, R s’avère au service de l’énonciation entière, et non du seul segment S . Le segment reformulé peut en effet occuper une place structurale dans l’énoncé-cadre, ce qu’illustre le schéma suivant :

Rel P S i.e. R

Schéma de reformulation le plus fréquent avec “i.e.”

Rel P désigne la relation prédicative

Ces schémas témoignent d’un fonctionnement souple de “i.e.”, qui permet deux types différents d’intégration de la reformulation :

- dans le premier cas, le segment reformulé se présente comme une simple complémentation du segment source,

- dans le second, le segment reformulé peut jouer un rôle dans l’énoncé-cadre. Remarques

L’environnement de “i.e.” renseigne également sur son fonctionnement : ainsi, dans aucun

exemple, cet introducteur n’est suivi d’une expression métalinguistique référant au discours en train de se faire (ex : “in the sense of”). Comme “i.e.” n’est pas explicitement métalinguistique (raison qui, pour d’autres introducteurs, bloque cette compatibilité) nous émettons l’hypothèse que l’incompatibilité tient à ses connotations scientifiques. L’emploi d’une expression métalinguistique suite à “i.e.” impliquerait en effet un regard réflexif sur son énonciation, favorisant ainsi l’expression de la subjectivité énonciative. Or “i.e.” figure majoritairement dans des textes scientifiques, et qui sont donc supposés objectifs. Généralement, les événements y sont repérés les uns par rapport aux autres, ou par rapport à des points de repère indépendants de l’énonciateur. Ces textes se caractérisent ainsi par la très faible présence de déictiques.

“i.e.” semble, en somme, peu compatible avec les manifestations de la subjectivité énonciative.

2.2.3. Une équivalence ontologique

”i.e.” s’emploie lorsque les contenus des segments source et reformulé présentent une réelle équivalence (on ne trouve pas de distorsion entre les contenus, contrairement à ce qui se produit avec “in other words”, ou “that is to say”). L’équivalence peut donc être qualifiée d’ontologique, car elle est inhérente aux segments, et non seulement posée entre les formulations. Cette caractéristique s’observant également dans le cas de “namely”128, on se demande si leurs emplois se recoupent.

Deux principaux cas de figure peuvent être relevés :

les fonctions discursives de S et R peuvent être identiques

- équivalence de deux désignations :

(141) I definitely ought to be settling on the subject for my second –actually more desirably from my point of view a subject in the plural, i.e. subjects. (FLOB K139)

S et R sont deux désignations. En raison de cette fonction discursive commune, la substitution de “namely” à “i.e.” serait incongrue (on sait que “namely” relie des segments de fonctions discursives différentes). “i.e.” peut en revanche conjoindre des unités fonctionnellement homogènes, car il marque l’équivalence de S et R .

Remarquons d’autre part que S comporte un déictique, de même qu’un adverbe appréciatif (“desirable”). En dépit de ses connotations scientifiques, “i.e.” n’est donc pas totalement incompatible avec l’inscription de la subjectivité énonciative.

- équivalence de deux descriptions :

(142) Dickens was noted for his vivid description of Dickensian (and hence Victorian) London […]. His books are very well written (i.e., in a Copperfield hand).

(FLOB R 03209)

Ici, S (“very well”) et R (“in a Copperfield hand”) sont deux syntagmes adverbiaux modifiant un même participe passé (“written”, qui n’est pas répété en R ). Puisque les segments ont la même fonction, la substitution par “namely” est à nouveau exclue.

Remarque

Si l’on peut parler d’une réelle équivalence entre S et R dans ces deux exemples, il semble toutefois qu’une distinction puisse être établie :

- en (141), on a une équivalence en langue (elle est toujours valable, quel que soit le contexte d’énonciation),

- en (142), les segments présentent une équivalence en discours (elle ne pourrait être conservée dans une autre situation d’énonciation).

les fonctions discursives peuvent être différentes

- passage d’une désignation à une description :

(143) Similarly, in telephone networks, rigid guidelines demand that double or treble satellite hops or excessive delay paths( i.e. those of 400 ms one-way propagation time or longer) are avoided whenever possible.

(FLOB J70195)

S est une désignation abstraite puis, en R , le même référent est décrit en termes concrets. On a donc affaire à une spécification, car le référent est progressivement saturé. Comme les

segments n’ont pas la même fonction discursive, la substitution de “namely” à “i.e.” serait

cette fois possible. L’interprétation serait toutefois différente, car avec “namely”, la

reformulation semblerait orientée vers le segment source ( R serait présenté comme un apport sémantique pour S ) tandis qu’avec “i.e.”, l’équivalence est simple.

- passage d’une description à une énumération :

(144) Although many of the above exhibited a decidedly English sensibility (i.e. played tennis, wandered lonely as a cloud, lost things –Paradise, Love’s Harbour, etc...) often they drew their subject matter from Renaissance Europe.

(FLOB R03188)

Dans cet énoncé, un premier prédicat ( S ) est relié à une série de prédicats ( R ). La substitution par “namely” est bloquée pour des raisons syntaxiques, car ce marqueur n’introduit que des syntagmes nominaux. L’abréviation “i.e.” se caractérise quant à elle par

un fonctionnement syntaxique beaucoup plus souple.

- passage d’une description à une explicitation :

(145) Thus the whole may be divided into these two parts in the sense the two do not overlap each other – i.e they have no common part- [...] (FLOB J53116)

Cette fois, ce sont des propositions entières qui sont reliées par “i.e.”, si bien que “namely” n’est pas un concurrent (il ne peut pas jouer le rôle de connecteur interpropositionnel). La locution “that is” pourrait en revanche se substituer à “i.e.”. Ces deux introducteurs présentent de grandes similitudes, tant syntaxiques que discursives.