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- S’agit-il de phrases, ou peut-il s’agir de termes lexicaux, de syntagmes, de propositions, de paragraphes, de textes entiers ?

- Quelle est la fonction de R par rapport à S ?

1. CARACTÉRISTIQUES DU LIEN ENTRE

LE SEGMENT SOURCE (S) ET LE SEGMENT REFORMULÉ (R)

Quels liens particuliers observe-t-on entre les contenus propositionnels de S et R ?

1.1. PARAPHRASE ET ÉQUIVALENCE DES CONTENUS

La paraphrase est généralement considérée comme un cas de reformulation. Sont spontanément perçus comme paraphrastiques des exemples tels que :

(29) I never quite knew. I remained ignorant of it. (BBC- 18-12-04)

La paraphrase, telle qu’elle est illustrée, a été définie par les premiers transformationalistes comme une synonymie de phrases. Or la synonymie était alors abordée comme une identité de sens. Ceci est montré par C. Fuchs54, qui s’appuie notamment sur R. Smaby :

« Une séquence est une paraphrase d’une autre si elles signifient la même chose. » (Smaby R., Paraphrase Grammars, 1971, traduit par Fuchs C.)

Selon cet auteur, la paraphrase se caractériserait donc par une identité des contenus propositionnels.

Cette identité est toutefois impossible.

Cela tient au fait qu’il n’existe pas de vrais synonymes en langue. Des synonymes possèdent en effet la même dénotation, tout en présentant des connotations différentes.55 Prenons par exemple les termes “grin” et “smile” : ils sont reconnus comme synonymes, car ils sont substituables sans que le contenu de l’énoncé soit altéré.

54 Fuchs C., Paraphrase et énonciation , Paris, Ophrys, coll. « L’Homme dans la langue », 1994, p. 48-52.

Cependant, ils ne peuvent être considérés comme strictement identiques car “grin” évoque un sourire plus large que “smile”.56 Cette impossible identité sémantique est liée à l’une des caractéristiques majeures de la langue : son organisation sous forme de système. Les signes ne se définissent que les uns par rapport aux autres.

Un segment R qui serait élaboré à partir de S par substitution synonymique57 ne pourrait donc présenter un contenu identique à celui de S, même en cas de modification minime. Prenons cet exemple :

(30) L1 : “She is very sweet.” L2: “Yes, she is very nice.”

La différence de connotation entre “sweet” et “nice” (“sweet” évoquant une douceur plus prononcée que “nice”) implique une légère différence de contenus entre SE1 et SE2. Ainsi, on ne peut pas dire qu’ils « signifient la même chose ».

Qu’en est-il lorsque la paraphrase consiste, non plus en une substitution synonymique, mais en un changement de thème58 ?

(31) L1 : you are Mary’s sister, aren’t you ?/ L2 : is Mary my sister ?/

(conversation- 05-05-04)

Ces deux interventions véhiculent globalement la même information (le lien de parenté entre deux personnes). Toutefois, le fait que deux sujets différents (“you” ou “Mary”) soient successivement pris comme thème témoigne d’une appréhension différente de la réalité extralinguistique par les deux énonciateurs. En effet, la personne qui est prise comme thème est ensuite repérée (“be”) par rapport à une autre personne (“Mary’s sister”, “my sister”). Sachant que l’élément-repère est généralement considéré comme plus important que l’élément repéré, on en déduit qu’une différence de point de vue caractérise ces segments.

On ne peut donc pas parler d’identité des contenus dans les cas de paraphrases obtenues par changement de thème.

La paraphrase semble en revanche pouvoir être décrite en terme d’équivalence. Adopter ce point de vue revient à reconnaître d’inévitables différences entre les contenus, ces différences étant liées à l’altérité formelle des segments.

56 “Grin” est défini par “smile broadly” dans le Concise Oxford Dictionary of English.

57 Une substitution synonymique consiste à remplacer un terme par un autre, donné comme synonyme.

58 Le thème est ici compris, non comme le sujet du discours, mais comme le repère constitutif primaire de l’énoncé. Cette fonction est assurée, dans la majorité des cas (et ici notamment), par le premier argument de la relation prédicative.

En définitive, la transformation définissant la paraphrase se caractérise par : - une altérité formelle (entre S et R ),

- une équivalence de leurs contenus propositionnels.

1.2. REFORMULATION ET SEUIL DE DISTORSION

Si l’élaboration d’une reformulation s’accompagne nécessairement d’une modification du contenu propositionnel, quel est donc le seuil au delà duquel un énoncé second n’est plus reconnu comme une reformulation ? Autrement dit, quel est le seuil critique de distorsion entre les contenus des segments source ( S ) et reformulé ( R ) ?

- En l’absence d’introducteur (cas de la paraphrase), les contenus doivent présenter une forte équivalence, faute de quoi les segments sont perçus comme simplement consécutifs. Le seuil critique de distorsion est donc très rapidement atteint. Ainsi :

(32) Six months ago, I had never been to England and, certainly, I had never sounded the depths of an English heart. I had known the shallows.

(Ford Madox Ford, The Good Soldier, p. 9)

On peut considérer que les segments soulignés sont en relation de paraphrase, car ils véhiculent globalement la même information. Toutefois, l’identification d’une relation paraphrastique n’est pas assurée car le premier segment est à la forme négative, tandis que le second est une affirmation : il peut ainsi être considéré comme le complémentaire du premier. Une équivalence pourra, de fait, être perçue par certains locuteurs, tandis que d’autres y verront une complémentarité.

- Lorsque la reformulation est introduite par une locution spécifique, le seuil critique de distorsion (entre les contenus) semble en revanche repoussé.

Des locutions telles que “in other words” ou “that is to say” marquent en effet une équivalence entre les segments qui les encadrent. L’identification d’une reformulation peut alors s’effectuer indépendamment des contenus.

Examinons :

(33) Between 1973 and 1983 the real national product of the United Kingdom –in other words, the total output of goods and services- rose by something like ten per cent.

(SEC- cpt- 01-01)

ainsi que :

(34) For an Italian tenor, Othello is the big one, demanding a voice which can scale for subtlety, “You never know where the booby traps lie”, Pavarotti says. In other words, it’s a killer.

(FLOB 26150)

ou encore :

(35) The distinction between the household and the family is one which is continually blurred in much of the literature of this area. In other words, Erikson has no adequate basis on which to determine whether there was, or not, a stronger definition of the moral and social boundary of the community.

(FLOB J29208)

en (33), les contenus des segments sont équivalents ( R fournit en effet une définition de

S), ce qu’annonce explicitement “in other words”.

Tous les éléments concourent à la lecture d’une reformulation paraphrastique, ce qui n’est pas le cas le plus fréquent. Ainsi :

en (34), R est une condensation du contenu de S : il le synthétise. En témoigne la possible substitution de “in short” à “in other words”. L’introducteur est donc responsable de l’identification d’une reformulation. De fait, sa suppression modifierait l’interprétation.

en (35), R consiste en une implication de S , sur le plan factuel. L’écart entre leurs contenus est tel qu’il permettrait la substitution de “in fact” (signalant une plus grande pertinence de

R) à “in other words”.

En (34) et (35), les contenus de S et R présentent donc un écart tel qu’en l’absence de “in other words”, la perception d’une reformulation paraphrastique n’irait pas de soi. Grâce à cet introducteur, la reformulation est en revanche incontestable.

S’agit-il d’une spécificité de “in other words” ou d’autres introducteurs présentent-ils la même caractéristique ?

Examinons le cas d’énoncés en “that is to say” :

(36) In England, institutionalized locations for science in academy and industry sprang up at approximately the same time, that is to say, during the period from the mid-nineteenth century to the first World War.

(FLOB G 63204)

(37) They can tolerate less effective workers. Hence they specify contracts paying a lower wage.

That is to say the heterogeneity in the required performance standards of different firms can also provide a theoretical rationale for the existence of a wage distribution for labour of homogenous potentiality.

(FLOB J 45176)

(38) David Jablonski of the University of Chicago has shown that a large geographic range correlates with the ability to survive for a long time in marine molluscs of the Cretaceous prior to the mass extinction.

Another aspect of the record of extinction is that it is highly episodic.

That is to say, extinctions are far more clustered in time than would be predicted if each extinction were independent of the other.

(FLOB F 3215)

en (36), il y a équivalence entre les contenus propositionnels (S réfère en effet à une certaine période, que R permet d’identifier), si bien que “that is to say” n’est pas seul responsable de l’interprétation.

en (37), R consiste en une variation sur le thème abordé en S (l’efficacité des travailleurs).

R traite néanmoins ce thème sous un angle plus conceptuel (le sujet de S est “they” qui réfère à des animés humains, tandis que celui de R est “the heterogeneity…”, qui évoque une notion abstraite). Ce changement de point de vue permettrait la substitution de “in fact” à “in other words”. Toutefois, en la présence de “in other words”, c’est l’interprétation « reformulation » qui est retenue.

en (38), R exprime la conclusion de S mais il s’agit d’un rapport conclusif particulier : R permet de réexaminer une certaine proposition (à laquelle réfère le segment “than would be predicted” ) à la lumière du contenu de S. Une synthèse d’éléments hétérogènes est opérée, ce qui se vérifie par la possible substitution de “on the whole” à “that is to say”.

En (37) et (38), les contenus de S et R présentent donc des écarts tels que la suppression de “that is to say” compromettrait la lecture d’une équivalence.

En présence de cette locution, tous types d’écarts sont en revanche possibles car elle (im)pose la reformulation.

Une reformulation paraphrastique se caractérise en définitive par : - une altérité formelle (entre S et R ),

- l’indication d’une équivalence entre les contenus propositionnels, au moyen d’un introducteur spécifique (marqueur ou locution introduisant R ).

Une équivalence propre aux contenus propositionnels peut, ou non, doubler cette indication d’équivalence. D’après nos exemples, S et R se caractérisent fréquemment par

d’importants écarts.

1.3. REFORMULATIONS