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La reformulation à caractère paraphrastique

SOIT INTRAPHRASTIQUES SOIT TRANSPHRASTIQUES

1.1. L’ÉVOCATION D’AUTRES TERMES : “IN OTHER WORDS”

1.1.4. L’altérité au cœur de la reformulation

“In other words” présente une grande compatibilité avec la mise en relation de discours attribuables à des énonciateurs différents.

Il est ainsi fréquent qu’un énonciateur rapporte les propos d’un autre, pour ensuite les reformuler dans ses propres termes. “In other words” est alors employé pour marquer la transition entre les deux discours. Cette compatibilité semble liée à la notion d’altérité véhiculée par la séquence.

- lorsque les propos sont rapportés au discours direct :

En discours direct, un énonciateur ε1 est supposé citer littéralement les propos d’un autre énonciateur ε2. Si le contenu de cette citation est, dans un second temps, reformulé par ε1, on a donc nécessairement affaire à des « mots différents » : d’une part, les propos de ε2

(énonciation citée) et, d’autre part, ceux de ε1 (énonciation citante).

On sait par ailleurs qu’en discours direct, le changement d’énonciateur est marqué par des signes de ponctuation spécifiques (les guillemets, éventuellement précédés de deux points), et qu’un verbe introducteur de paroles explicite l’opération de citation.

Dans ce contexte, l’emploi de “in other words” est-il fondé ?

(34) For an Italian tenor, Othello is the big one, demanding a voice which can scale for subtlety, “You never know where the booby traps lie”, Pavarotti says. In other words, it’s a killer.100

(FLOB 26150)

Le journaliste ε1 évoque le point de vue de ε2 (“an Italian tenor”), puis cite ses propos (“You never know…”), en identifiant précisément ce ε2 (“Pavarotti”) suite à la citation.

1

ε reformule ensuite les propos de ε2, en introduisant cette reformulation par “in other words”. Les repérages énonciatifs sont donc effectués successivement par :

1

ε →ε2→ε1.

Ces changements de prise en charge101 peuvent être représentés ainsi :

(34’) For an Italian tenor, Othello is the big one, demanding a voice which can scale for subtlety, “You never

Origine des repérages:...

ε

1... ...

know where the booby traps lie”, Pavarotti says. In other words, it’s a killer.

...

ε

2... ...

ε

1...

Comme le discours cité est encadré de guillemets, le retour au discours citant (et donc à ε1) s’effectue sans ambiguïté dès le segment suivant leur fermeture (“Pavarotti says”). En l’absence de “in other words”, la reformulation ne serait toutefois pas attribuable à ε1. Le segment explicitant l’attribution des propos (“Pavarotti says”) apparaîtrait quant à lui comme un retour ponctuel à ε1 au cours des propos de ε2. “In other words” s’avère donc indispensable à la bonne attribution du segment reformulé. L’altérité marquée par cet introducteur favorise en effet la perception d’une transition.

- lorsque les propos sont rapportés au discours indirect :

En discours indirect, un énonciateur ε1 est supposé modifier le moins possible le contenu, ainsi que les mots employés par un autre énonciateur ε2. Seuls les repérages énonciatifs sont modifiés, et rapportés à la sphère de ε1. Si ce même ε1, après avoir rapporté les propos de ε2, les reformule par la suite, les repérages sont donc effectués par rapport à la même origine (ε1). “In other words” est-il nécessaire à l’interprétation ?

(78) He was greatly concerned, too, with getting the correct scale of things; emphasizing that the eye can only see at one glance an object which in size is one third of the distance between the object and that eye ; in other words, if you are painting a man six feet high you could be 18 feet away from him.

( BNC-The Artist. Tenterden. The Artist Publishing Company Ltd, 1992)

Dans cet énoncé, ε1 décrit la situation d’un individu (“he”, c’est-à-dire ε2) puis rapporte ses propos au discours indirect, en les introduisant par un verbe de parole (“emphasizing”). Il reformule enfin les propos cités. Bien que les repérages énonciatifs soient cette fois homogènes, les propos sont à attribuer comme suit : ε1→ε2→ε1. On le visualise ainsi :

(78’) He was greatly concerned, too, with getting the correct scale of things; emphasizing that the eye can

Origine des propos:...

ε

1... ...

only see at one glance an object which in size is one third of the distance between the object and

...

ε

2...

that eye; in other words, if you are painting a man six feet high you could be 18 feet away from him.

...

ε

1...

Contrairement au cas du discours direct, aucun signe de ponctuation n’indique le passage d’un énonciateur à l’autre. Si la première transition (de ε1 à ε2) est signalée par un verbe introducteur (“emphasizing”), en revanche, le retour à ε1 n’est indiqué par aucun signe linguistique. C’est “in other words” qui, signalant une altérité, permet de déceler ce retour à

1

ε . Sa suppression rendrait R attribuable à ε2, modifiant ainsi profondément l’interprétation.

- lorsque les propos sont rapportés sous la forme d’un discours narrativisé :

Lors d’un discours narrativisé, ε1 reprend les propos de ε2 et les retranscrit de façon synthétique. Parce qu’il s’agit d’une synthèse, cela implique que l’énonciateur citant (ε1) emploie ses propres termes. S’il reformule ensuite ce discours narrativisé, il reformule alors sa propre énonciation. Est-il alors légitime d’employer “in other words” ?

(77) From that moment on, the Kremlin saw him as a realistic politician –in other words, as one who urged

the people to accept the invasion.

(BNC- Guardian Electronic Edition, Guardian Newspaper Ltd, 1989)

Cette fois, le journaliste ε1 rapporte, en les narrativisant, les propos d’un ε2 collectif (“the Kremlin”). Le discours narrativisé est introduit par un verbe (“saw... as”), qui n’est pas un introducteur de parole. Le choix de ce verbe tient à la fonction du discours narrativisé, qui n’est pas de rapporter formellement les propos du locuteur d’origine, mais simplement le point de vue exprimé. Le discours narrativisé est ainsi repéré par rapport à ε1 (l’énonciateur

citant), et les propos sont cette fois, eux aussi, attribuables à ε1. Seul le point de vue est attribuable à ε2. Dans cet exemple, le discours narrativisé est ensuite reformulé par ε1. En dépit de repérages énonciatifs homogènes, les points de vue sont donc attribuables comme suit :

(77’) From that moment on, the Kremlin saw him as a realistic politician –in other words, as one who

Origine des points de vue:...

ε

1...

ε

2...

ε

1...

urged the people to accept the invasion. ...

“In other words” s’avère, ici aussi, indispensable à la bonne compréhension de l’énoncé. Lorsqu’on le supprime, il se produit le même phénomène que dans l’exemple précédent : le point de vue exposé en R ne peut plus être correctement attribué.

Bilan

“In other words” s’avère fréquent lorsqu’un discours rapporté est suivi d’une reformulation par l’énonciateur. Il permet de signaler les changements de prise en charge, d’origine des propos ou des points de vue. Sans lui, ces changements ne seraient pas nécessairement perceptibles. “In other words” constitue, de fait, un outil précieux dans le domaine du discours rapporté.

Remarquons également que ces exemples présentent une orientation précise. L’attribution des propos est à chaque fois la suivante : S= discours rapporté et R = discours rapportant. On commence ainsi par rapporter les propos d’autrui, pour ensuite les traduire dans ses propres termes.

“In other words” favorise donc l’interprétation de propos prononcés par autrui.

“In other words” présente également une grande compatibilité avec la mise en relation de différents types de discours. Les « autres » mots ne correspondent pas cette fois à des

énonciateurs différents, mais à un seul et même énonciateur, qui fait varier son registre discursif. Si chaque locuteur se caractérise par un idiolecte, il est néanmoins susceptible de s’adapter à diverses situations d’énonciation, et de mettre en œuvre des discours plus standardisés, plus objectifs, plus simples ou plus complexes que celui qu’il emploie spontanément.

- passage du factuel au conceptuel :

Passer d’un discours factuel à un discours conceptuel suppose la réorganisation des premiers éléments, sous forme de représentations mentales (c’est-à-dire sous une forme plus abstraite). L’objectif est de dégager des principes universels ou, du moins, des règles générales, à partir d’éléments factuels. “In other words” favorise la transition entre ces deux modes :

(89) Saddam has found little difficulty persuading many Iraqis to give their approval for his “final solution to the Kurdish problem”. Moreover, many Iraqis of Sunni faith will support their leader’s massacre of the Shias in the South.

In other words, a tyrant’s capacity to play off the tribal hatred of his own society to his own advantage is just as important to his survival as the secret police, the torture chambers and the execution squads.

(FLOB B15178)

S expose des faits, ce que révèlent conjointement ses sujets grammaticaux (“Saddam” et “many Iraqis”, qui réfèrent à des individus identifiables) et les procès employés (“find difficulty” et “support”). R réfère ensuite à de l’abstrait, comme en témoigne son sujet grammatical (“capacity…”) ainsi que l’appréciation subjective exprimée par le biais du comparatif (“just as important”).

La transition entre le factuel et l’abstrait se manifeste également, sur le plan linguistique, par l’évolution d’une situation spécifique (traduite, au début de S , par un “present perfect”) à une situation générique (le présent simple employé en R lui confère une valeur générale).

Ce passage du spécifique (S) au générique ( R ) pourrait créer une sensation de rupture s’il n’était introduit par “in other words”. En signalant l’altérité, cette locution avertit le co-énonciateur d’un changement de plan, tout en indiquant la permanence du thème. Elle favorise ainsi la perception d’un parallèle entre “Saddam” et “a tyrant”, de même qu’entre “many Iraquis” et “his own society”.

- passage de l’analytique au synthétique :

Passer d’un discours analytique à un discours synthétique consiste à adopter successivement deux perspectives contraires : analyser une situation, c’est en examiner toutes les composantes, tandis que la synthèse les ramène à une description globale. Bien que “in other words” ne soit pas un introducteur spécifique de l’opération de synthèse, il permet toutefois de signaler l’écart entre deux énonciations :

(90) Should EC standards be set high, to drag up conditions in Greece, Portugal, and the other poorer states, or act simply as a floor to prevent competitive down-bidding under the Single Market? If they are high, how will this affect European states wishing to join? In other words, can we deepen as well as widen?

(FLOB F1768)

Le caractère analytique de S se mesure à sa complexité argumentative et syntaxique : une principale, à laquelle se subordonne une infinitive, est ensuite coordonnée à une proposition offrant une alternative (par “or”). Cet ensemble complexe constitue une interrogative, suivie d’une seconde interrogative, elle-même complexe.

R est en revanche synthétique, ce qui est dû à sa concision et à sa composition : il s’agit d’une interrogative simple. Les sujets grammaticaux de ces segments n’étant pas identiques, “in other words” s’avère nécessaire pour signaler que l’on reprend, en R , le thème qui a déjà été développé en S.

- passage d’un discours technique à un discours vulgarisé :

Une vulgarisation est une médiation entre deux communautés discursives, dont l’une est spécifique (le plus généralement, il s’agit d’une communauté scientifique) et l’autre ordinaire. La première se caractérise, de fait, par un registre discursif particulier et souvent peu accessible, tandis que la seconde est une moyenne d’idiolectes, dont on ne retient que ce qui est connu de tous. Une différence lexicale peut donc révéler le passage d’un discours technique à un discours vulgarisé. “In other words” permet alors de relier ce qui est autre :

(91) By the familiar statistical rule, a doubling in the required precision requires a quadrupling in the number of test-items. This rule applies if the observations are independent ; if they are correlated and, so to speak, to some extent they test the same capability in another way, then more than a quadrupling will be necessary.

In other words, the way the first ten questions or ten tasks are dealt with by the candidate tells us a great deal about him.

(FLOB J47200)

S réfère à des règles statistiques, et évoque une précision chiffrée (“doubling”, “quadrupling”), contrastant avec le caractère vague de R ( “a great deal”, expression d’une approximation quantitative).

La seconde partie de S fournit d’autre part des précisions (sous forme de deux hypothétiques), qui ne sont pas retranscrites en R .

Comme S correspond à un discours technique et R à un discours simplifié,

Bilan

Dans tous ces exemples, “in other words” permet de signaler un changement de type de discours qui, sans cet introducteur, semblerait incongru : il paraîtrait enfreindre le principe de cohérence discursive.

Les contenus présentent en outre des écarts significatifs, si bien qu’en l’absence de “in other words”, on pourrait y lire des segments consécutifs. Reprenons l’exemple (90) pour effectuer cette suppression en (90’) :

(90’) Should EC standards be set high, to drag up conditions in Greece, Portugal, and the other poorer states, or act simply as a floor to prevent competitive down-bidding under the Single Market? If they are high, how will this affect European states wishing to join? Can we deepen as well as widen?

R serait ici vraisemblablement interprété comme la suite logique du développement fourni en

S, car leurs contenus ne sont pas intrinsèquement équivalents.

Cet écart entre les contenus se retrouve dans un grand nombre d’exemples. Dans tous les cas, “in other words” introduit une interprétation (voire un étirement de la signification) du segment source.

Remarquons d’autre part que le passage du segment source au segment reformulé ne se caractérise pas par une orientation donnée. Ainsi, si l’on trouve en (90) et (91) l’orientation : discours complexe discours plus simple, l’énoncé (89) se caractérise par l’orientation inverse (la reformulation y est plus conceptuelle). Cette observation confirme la valeur de “in other words”, qui marque simplement l’équivalence et l’altérité.

Ces exemples permettent également de soulever la question du « recyclage » des mots et des discours. Nous ne cessons, en parlant ou en écrivant, d’emprunter des mots, des formulations ou encore des styles. Ces emprunts sont nécessaires afin de créer des communautés d’entente. Il est ainsi naturel que des personnes appartenant à une même catégorie professionnelle adoptent un certain nombre de termes communs, qui ne nécessitent plus alors d’être redéfinis. Dès lors que l’on veut élargir le champ de ses co-énonciateurs, il peut être nécessaire de reformuler ses propos, afin d’employer des mots qui leur sont plus familiers. L’exemple le plus représentatif de ce phénomène est certainement celui de la vulgarisation. Mais cette adaptation au discours de l’autre, ou encore l’emprunt de discours autres, requièrent que l’on signale un changement de plan, faute de quoi ce changement semblerait abrupt, incongru, ou encore ne serait pas perçu. “In other words” est alors particulièrement adapté pour effectuer ce type de transitions.