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Cette recherche s’intéresse à la production politique-culturelle autochtone contemporaine au Québec, qui constitue un corpus en développement depuis une trentaine d’années (Gatti, 2004; Giroux, 2008, 2009; Papillon, 2017). En effet, il existe aujourd’hui au Québec une littérature autochtone contemporaine considérable, comprenant des essais politiques, des travaux d’histoire, de la philosophie, mais également une littérature de fiction (poésie, dramaturgie, roman et nouvelle). Il existe également une production culturelle, incluant des arts plastiques, mais aussi une cinématographie (fiction et documentaire). On trouve aussi une multiplication des récits de vie: dans la littérature ethnographique habituelle, mais aussi dans le développement d’une forme d’auto-ethnographie. Cette production discursive s’articule à une variété de pratiques politiques, qui incluent bien sûr des confrontations judiciaires, appelant elles aussi des productions discursives qui leur sont propres, concernant les territoires et les pratiques traditionnelles, mais aussi des occupations de territoires, des barrages, des sit-ins et autres manifestations politiques qui sont autant d’occasions de mettre en récit les luttes innues. Cette production discursive forme un corpus d’étude trop volumineux pour envisager l’aborder de manière exhaustive. Toutefois, à la lumière du cadre théorique déployé, il demeure difficile d’ignorer les résonances importantes qui existent entre ces productions. Je concentrerai néanmoins mon intérêt sur la littérature innue francophone, et plus particulièrement des poèmes d’auteures innues. Je situerai essentiellement cette recherche dans le champ de l’étude des idées politiques autochtones. Ce choix est basé sur le constat que ces idées se construisent à travers une diversité de discours. Le caractère politique du regard autochtone sur le monde contemporain, exprimé dans la « fiction » et ce qu’il peut nous apprendre sur ce monde, sera mon fil conducteur.

Les frontières linguistiques du corpus visé se sont ainsi délimitées: explorer la littérature innue francophone du Québec, c’est-à-dire la production écrite en français par les auteures innues qui demeurent au Québec, tout en gardant à l’esprit l’intertextualité possible avec

des productions dans d’autres langues (autochtones ou anglophone). Je considère comme auteure innue francophone, une auteure parlant et écrivant le français, mais dont l’expérience ne se limite pas uniquement à cela. Francophone ne désigne donc pas nécessairement une auteure de langue maternelle francophone ou qui s’identifie à celle-ci, mais une auteure qui s’exprime aussi dans cette langue et participe dans le champ littéraire francophone du Québec. Les auteures innues concernées dans cette étude ne se limitent effectivement pas au seul français et usent régulièrement de l’innu-aimun. Le choix de la langue n’a pas été prioritaire dans la sélection du corpus, c’est davantage une condition résultante d’autres paramètres — femme, poétesse et s’identifiant, entre autres, en tant qu’Innu et vivant au Québec.

2.2.1 Littérature autochtone francophone au Québec

Les Premières Nations ont connu l’écriture dès l’arrivée des peuples européens et surtout des missionnaires, mais le corpus littéraire date seulement des années soixante-dix (Gatti, 2004). Ce corpus demeure donc jeune, produit d’une tradition orale et d’auteures et auteurs métissés biologiquement et culturellement. La mise en réserve géographique (littéralement) a établi le modèle idéologique du régime colonial qui a suivi et qui continue de caractériser les conditions sociales et le rapport au monde d’un grand nombre des membres des Premières Nations. D’après Gatti (2004), « c’est cette partie de l’histoire et du rapport à l’Autre qui marque le plus les Amérindiens aujourd’hui et dont on retrouve les échos dans leur littérature. » (p. 22) Le premier ouvrage consacré à l’étude de cette littérature est Histoire de la littérature amérindienne au Québec de Diane Boudreau en 1993, suivi en 2004 de l’anthologie préparée par Maurizio Gatti, puis de son essai Être écrivain amérindien au Québec en 2006. On peut questionner l’usage du terme « littérature » et sa délimitation. Il existe, pour plusieurs, une « littérature orale » très importante dans les sociétés autochtones. Cependant, dans le contexte de la présente recherche et considéré à l’égard du concept de champ (Bourdieu, 1998), le passage à l’écrit implique davantage qu’un médium, mais aussi toute un mode de production, un passage à l’édition de livres,

qui inscrit les auteures du corpus dans une volonté de s’exprimer sur un mode particulier et dans un champ de production particulier : celui du champ littéraire.

Au début des années soixante-dix, les récits de vie et les essais historiques ont prédominé. À la parution de l’essai-manifeste d’An Antane Kapesh, Je suis une maudite Sauvagesse/ Eukuan nin matshimanitu innu-ishkueu en 1976, une prise de conscience de l’existence d’une littérature autochtoneémerge. Cependant, les textes publiés en français par des membres des Premières Nations à cette époque demeurent isolés, peu connus et peu étudiés, et ce n’est que dans les années 2000 que la littérature d’auteurs et d’auteures autochtone de langue française prend réellement son essor (Papillon, 2017). On peut regrouper An Antane Kapesh, Bernard Assiniwi, Michel Noël et Yves Sioui Durand dans cette première génération d’auteures et d’auteurs autochtones au Québec (Gatti, 2004; Papillon, 2017). Ces écrits partent de la nécessité de défaire l’histoire telle qu’elle est racontée par les historiens et historiennes non autochtones, dans le but de se réapproprier les représentations historiques qui s’y jouent (Giroux, 2008; Gatti, 2004). Le sentiment d’urgence face à la tâche de réappropriation des représentations s’enracine dans l’expérience personnelle des auteures et des auteurs: « Cette manière d’écrire « avec son sang » est le signe d’une pensée politique qui se développe comme réflexion du vécu, comme une multiplication du sensible » (Giroux, 2008 : 37).

Il s’agit de la mise en œuvre, sur le mode littéraire, de ce qu’on pourrait appeler une « historiographie critique » (Papillon, 2017): elle permet de cerner l’effet dévastateur d’une certaine manière de faire l’histoire, de souligner la déresponsabilisation qu’elle entraîne dans la société dominante par rapport aux peuples autochtones et d’y montrer une cause de l’incompréhension entre les deux cultures — incompréhension qui aggrave la marginalisation chronique des peuples autochtones. Aujourd’hui, de nombreux poèmes et contes viennent témoigner d’une évolution de la littérature d’auteures et d’auteurs autochtone au Québec. Née de la révolte, elle a tendance à devenir de plus en plus créative et soucieuse d’esthétique (Gatti, 2004).

Alors que la « première vague » s’inscrivait nettement dans la tradition du témoignage politique et dénonçait les injustices créées par les pratiques coloniales québécoises et canadiennes ainsi que par le racisme institutionnel, la littérature autochtone contemporaine adopte des formes et véhicule des propos très variés et moins immédiatement reconnaissables comme « politiques » — s’attachant, par exemple, à mettre en mots la vie intime et l’individualité, thèmes qui demeurent néanmoins inscrits dans une dimension politique (Giroux, 2008). Un discours à teneur « écologique » fortement politisé est également présent de façon frontale ou oblique dans un grand nombre de ces œuvres (Papillon, 2017), telles que celles retenues dans cette recherche, mais aussi dans des œuvres appartenant à des genres moins souvent considérés tels que les bandes dessinées et les courts-métrages d’animation d’Obom (Papillon, 2017).

Dans le cadre du champ de la littérature autochtone francophone du Québec, les quatre auteures retenues occupent une place privilégiée. Sur les onze nations autochtones au Québec, certaines sont plus représentées que d’autres en littérature, du fait notamment de leur lien avec le français. Les Innuat appartiennent à la nation la plus importante de langue seconde française (Harel, 2017). Beaucoup des artistes issus de cette nation offrent directement leurs textes dans cette langue (GRÉNOC, 2015), voire en édition bilingue, comme Joséphine Bacon ou encore Rita Mestokosho. Les auteures et auteurs innus détiennent une place importante dans le paysage littéraire au Québec, et les auteures sélectionnées pour cette recherche en sont sûrement les plus reconnues.

Deux des œuvres sélectionnées ont été finalistes au prix de poésie Émile-Nelligan (Frayer de Marie-Andrée Gill en 2016, et Manifeste Assi de Natasha Kanapé Fontaine en 2015); deux autres à celui du Gouverneur-Général (Un thé dans la toundra de Joséphine Bacon en 2014, et Béante de Gill en 2012). Ce sont deux prix consacrés comme prestigieux dans le domaine littéraire au Canada. L’œuvre de Naomi Fontaine, Kuessipan, est finaliste en 2012 au Prix des cinq continents, remis par l’Organisation internationale de la Francophonie et

qui valorise un texte de fiction narratif témoignant d’une expérience culturelle spécifique, et ce dans la francophonie. En 2017, Un thé dans la toundra reçoit également le prix international Ostana qui souligne les qualités artistiques d’écritures en langue maternelle dans un contexte où cette langue est menacée. Les auteures du corpus sont invitées d’honneur de salons du livre à travers le Québec; elles sont également appelées à l’étranger pour parler de leurs œuvres comme en Haïti (Les nuits amérindiennes) ou à Paris (Marché de la poésie); elles sont sélectionnées dans diverses listes d’incontournables littéraires au Québec (coup de cœur Les Libraires, Radio-Canada, Renaud Bray, etc.). Ce ne sont là que quelques détails des consécrations qui hissent ces auteures en tant que voix de leur 18

génération (GRÉNOC, 2015), bousculant la littérature québécoise (Lamy, 2013; Létourneau, 2010; Beauclair, 2016; Lefebvre, 2016; Papillon, 2013, 2017) — mais également les réalités québécoises en donnant voix à des imaginaires, à des réalités et à des identités minoritaires. Il suffit de taper sur n’importe quel moteur de recherche Internet le nom d’une d’entre elles et les nombreuses entrées défilent longuement: publications d’articles de presse et de blogues, critiques littéraires (professionnelles et amatrices), comptes-rendus, recherches universitaires, et j’en passe.

Plutôt qu’une branche de la littérature dominante, la littérature des Premières Nations vise à infléchir le champ des littératures francophones afin de s’y tailler une place légitime (Gatti, 2004): affirmation de la figure d’auteure et d’auteur autochtone, développement d’un marché, établissement de maisons d’édition, création de prix littéraires, promotion et enseignement des œuvres, attention et intérêt de la critique en sont des étapes essentielles (Bourdieu, 1998). La littérature d’auteures et d’auteurs autochtones francophones du Québec est devenue désormais un domaine de connaissance qui contribue à la compréhension des réalités et des enjeux autochtones et québécois. Tout comme les conteuses et conteurs oraux, les écrivaines et les écrivains assurent la transmission et le renouvellement de leur culture, adoptant de ce fait un certain rôle social.

Informations tirées des pages de présentation des œuvres des sites Internet des maisons d’édition

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2.2.2 Une littérature « autochtone » ?

Dans le numéro spécial « L’écriture innue » de la revue Littoral (2015), publiée par le Groupe de recherche sur l’écriture nord-côtière (GRÉNOC), et qui met entre autres en vedette Joséphine Bacon, Naomi Fontaine et Natasha Kanapé Fontaine, l’auteur de l’éditorial souligne « comment les instances « consacrantes » ont le pouvoir « arbitraire » de « faire exister ou non une littérature » » (Rouxel, 2015 : 5). La reconnaissance de la « littérature autochtone » est bien réelle et demeure croissante (Papillon, 2017, 2013; Lamy, 2013). Dans le cas qui nous intéresse, et comme exposé un peu plus tôt, l’écriture innue a une place prépondérante dans cette reconnaissance. On peut toutefois questionner les termes de cette reconnaissance institutionnelle et l’identification d’une littérature « autochtone » qui est alors située en marge du champ littéraire francophone (St-Amand, 2010; Papillon, 2017, 2013; Lamy, 2013). La couverture médiatique qui est faite des œuvres du corpus est particulièrement parlante de cette approche, où la perspective des commentaires se positionne essentiellement autour de l’axe de l’autochtonie . Et quand 19

bien même les critiques sont moins bonnes, l’argument est celui d’une poésie qui n’a pas réussi à parler des origines ou de la colonisation ou des territoires . 20

S’intéresser aux maisons d’édition est également pertinent dans la compréhension de la mise en marge de la littérature dite autochtone. Alors qu’il existe au moins une dizaine de maisons d’édition de poésie populaire au Québec (mais bien plus que cela dans leur ensemble), les sept œuvres sélectionnées ont été publiées dans seulement deux maisons

Le site de l’organisme Kwahiatonhk! en est un bon exemple. Il reprend pour presque toutes les auteures du

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corpus, exceptée Naomi Fontaine, une bibliographie des critiques littéraires et des articles de presse (entre autres) autour des œuvres. Le simple intitulé des textes est déjà significatif, et quand on commence à relever les thématiques du contenu de ces écrits, celles-ci sont essentiellement le territoire, l’identité culturelle et la résilience.

Par exemple, la critique de Sébastien Dulude (2013) pour les Lettres québécoises (150) : 37.

d’édition: La Peuplade et Mémoire d’encrier . Mémoire d’encrier est une maison 21 22

d’édition fondée en mars 2003, à Montréal, par l’écrivain Rodney Saint-Éloi. Elle publie des œuvres de fiction, de la poésie, des essais, des chroniques, de la littérature jeunesse, etc. Elle est animée par un projet politique explicite s’inscrivant dans une vocation décoloniale. Son mandat éditorial se traduit dans l’aménagement de passerelles entre différents imaginaires dans une perspective de solidarité et de redéfinition de l’altérité. Le catalogue d’auteures et d’auteurs reflète d’ailleurs une grande diversité (originaire du Québec, du Canada, de Premières Nations, des Caraïbes, de pays d’Afrique et d’Europe), tout autant que les œuvres publiées et les thématiques qui en sont associées. La Peuplade est fondée en 2006 par Mylène Bouchard et Simon Philippe Turcot, tous deux auteurs. Établie dans la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean, cette maison d’édition se positionne loin des grandes villes et profile en ce sens sa ligne éditoriale autour du territoire et de l’identité. La Peuplade publie des livres de fiction, des récits, de la poésie et des traductions de romans, « avec un intérêt particulier pour les peuples du Nord », précise Turcot (Glévarec, 2018) . 23

Ces deux maisons d’édition sont de la même génération. Elles appartiennent à la vague éditoriale québécoise du début des années 2000, où plusieurs maisons d’édition ont vu le jour avec la vocation d’un renouveau du paysage littéraire. Ce sont tout de même seulement deux éditeurs québécois qui ressortent ici, dans le cadre d’un corpus qui comprend sept œuvres. Dans une entrevue donnée à Radio-Canada à l’occasion du 6e Salon du livre des

Premières Nations de Wendake, l’artiste Yves Sioui Durand avance qu’« il y a surtout deux éditeurs qui publient cette littérature [au Québec] », en parlant de la littérature autochtone, et qu’il est « de la responsabilité des éditeurs québécois de s’ouvrir et de sortir des créneaux

Frayer, 2015 et Béante, 2015 (2012) tous deux de Marie-Andrée Gill.

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Un thé dans la toundra / Nipishapui nete mushuat, 2013 et Bâtons à message / Tshissinuashitakana, 2009,

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de Joséphine Bacon; Bleuets et abricots, 2016 et Manifeste Assi, 2014, de Natasha Kanapé Fontaine; et

Kuessipan, 2017 (2011) de Naomi Fontaine.

Informations et citation tirées d’une entrevue donnée en mars 2018 pour Kroniques.com, blogue

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d’Amandine Glévarec (libraire, auteure, animatrice radio, correspondante presse). Disponible sur <https:// kroniques.com/2018/03/08/la-peuplade-editions/> (consulté le 19 mars 2019).

de l’histoire, de l’anthropologie et de l’ethnologie » (Josselin, 2017) . Alors que l’entrevue 24

ne précise pas ces deux éditeurs, les Éditions Hannenorak sont sans doute l’un de ceux-là. Elles sont effectivement la seule maison d’édition au Québec spécialisée dans la publication d’œuvres d’auteures et d’auteurs autochtones, bien qu’aucune des œuvres du corpus n’y soit publiée. Il y a donc un manque réel quant à une diversité d’édition des littératures autochtones, alors que celles-ci se sont illustrées dans tous les genres, du roman historique au roman érotique, en passant par le roman jeunesse, la poésie, le théâtre, l’essai, etc. (Papillon, 2013).

La « littérature autochtone » est, par ailleurs, encore souvent lue et étudiée hors de « l’espace commun », c’est-à-dire comme une littérature de la « marge »; une littérature dont la forme, les thèmes, le style, le discours, les personnages, l’univers et la finalité ne trouvent pas leur résonance ailleurs. L’auteur d’origine congolaise Mabanckou (2006) évoque la condition des catégorisations littéraires — dont les maisons d’édition en sont les représentations les plus stables dans le champ littéraire — en termes de « ghettoïsation »:

Il s’agirait d’une question de visibilité pour ces auteurs. Or cette ghettoïsation dangereuse finit par atteindre ses limites un jour ou l’autre. Elle déprécie l’expression de tout un continent [l’auteur parle alors de la littérature africaine] et offre une littérature de troupeau dont la seule légitimation est l’identité de la couleur de la peau ou le lieu géographique des écrivains. Ces auteurs ainsi cloîtrés, balkanisés, claquemurés, isolés, sont irrémédiablement condamnés à porter le fardeau d’une idéologie incompatible avec l’indépendance de la création (s.p.).

Cette critique résonne fort dans le milieu de la littérature explicitement identifiée comme autochtone. La qualification d’une littérature « autochtone » peut relever d’une stratégie d’intervention dans le champ littéraire, dans la mesure de rendre visibles ces œuvres. Elle devient alors performative car elle agit sur le champ lui-même (Lamy, 2013; Létourneau, 2010; Beauclair, 2016; Lefebvre, 2016; Papillon, 2013, 2017). Elle reste cependant problématique quand elle est essentialisée. Cette identification « autochtone » peut alors se

Une entrevue de Marie-Laure Josselin, disponible sur <https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1069192/

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traduire comme la marque d’un stigmate qui diminue la portée de l’œuvre, car cette littérature est finalement de la littérature. Les rapports de distanciation sont ainsi maintenus en qualifiant ces œuvres comme autres.

Synthèse de la mise en contexte

Assise première d’une légitimité politique, la terre — les territoires — a été, et demeure le haut lieu de luttes réelles et symboliques. Depuis la période coloniale, la question du territoire en est une primordiale chez les peuples autochtones, dont la légitimité politique est constamment remaniée et dont les rapports au territoire se comprennent dans d’autres termes que ceux de la société dominante. La construction des discours historiques, y compris les récits des origines, met en lumière les tensions existantes qui sous-tendent les questions de souveraineté.

En tant que formule générale de domination, la colonisation a engendré de nouvelles structures d’actions et de sens, un nouveau régime historique. Si cette tentative d’imposition totale fut à l’origine de nombreuses fractures sociales et humaines, elle apporte également des ressources qui peuvent être mobilisées contre elle. L’écriture est l’une de ces ressources; de même que la littérature, entendue comme champ littéraire (Bourdieu, 1998). La préoccupation première de la littérature d’auteures et d’auteurs autochtones au Québec revient à la réécriture de l’histoire. La littérature devient l’un des moments proprement postcoloniaux en ce fait que l’acte littéraire s’origine dans l’intention de la (ré)appropriation des représentations. L’expérience artistique et esthétique va, par la suite, occuper une place de plus en plus centrale dans cette réflexion. Comprise dans ces dynamiques de luttes de sens, la littérature se traduit comme un lieu de formulation et de circulation de méta-récits identitaires. Les stratégies discursives mises en place dans l’écriture, et plus largement dans les œuvres, permettent effectivement d’accéder à des lignes d’importance de l’identité collective. En lien à la question du territoire qui m’a animée dans un premier temps, je me suis de ce fait intéressée au discours écopolitique des

auteures innues du corpus saisi au travers de l’évocation d’une relation au territoire. Dans un deuxième temps, j’ai été portée à reconsidérer la littérature retenue dans cette recherche au travers du champ littéraire et d’en questionner la positionnalité.

J’ai questionné en fin de partie la catégorisation d’une littérature dite autochtone, dans la mesure où cette identification porte à la fois une stigmatisation d’altérité et une stratégie de visibilité. Marilyn Dumont (1996), d’origine crie et métisse, conteste la rigidité et la fixité des constructions identitaires autochtones, en s’attaquant notamment à l’insistance de la figure du cercle dans l’interprétation de la littérature d’auteures et d’auteurs autochtone. Il existe, selon elle, un réel besoin de faire circuler et de faire reconnaître d’autres manières d’être au monde afin de rendre intelligible la pluralité des réalités; tout autant qu’il y a une

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