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6.2.1 Une posture littéraire singulière

De par une écriture en mouvement et ouverte à l’horizon des possibles, de par des stratégies de l’éclatement, de la liaison et de l’inter-valorisation, les auteures du corpus investissent une nouvelle position dans ce que Bourdieu (1998) nomme « l’espace des possibles » (p. 384):

Lorsqu’un nouveau groupe littéraire ou artistique s’impose dans le champ, tout l’espace des positions et l’espace des possibles correspondants, donc toute la problématique, s’en trouvent transformés : avec son accès à l’existence, c’est-à- dire à la différence, c’est l’univers des options possibles qui se trouve modifié, les productions jusque-là dominantes pouvant, par exemple, être renvoyées au statut de produit déclassé ou classique. (Bourdieu, 1998 : 384)

Je suggère ainsi l’idée que les poétesses Marie-Andrée Gill, Naomi Fontaine et Natasha Kanapé Fontaine, et leurs œuvres étudiées , tentent de modifier le champ de la littérature 66

autochtone francophone, et de manière moins saillante (encore), le champ littéraire francophone. En d’autres termes, comme l’indique Bourdieu, elles font « exister une nouvelle position au-delà des positions établies […]. » (Bourdieu, 1998 : 261, souligné dans l’original). En m’inspirant de Glissant, je qualifie cette nouvelle position, ou alors cette posture littéraire singulière comme étant celle d’une « poétique des possibles ».

Cette posturese caractérise par le registre des possibles, ceux que l’on imagine, ceux que l’on souhaite, ceux que l’on projette, ceux qui existent déjà mais que l’on ne voit pas, que l’on invisibilise. Elle se veut créatrice, dynamique et en devenir, et rejoint ainsi la pensée de la Relation. Elle valorise une déflagration des frontières et se place dans des dispositions pluri-identitaires, pluri-temporelles, pluri-spatiales, en concordance avec les réalités qu’elle tend à rendre manifestes. Elle se situe de ce fait au croisement des passés, des présents et des futurs. Elle rencontre de nouveau la pensée de Glissant (1990) pour qui: « La pensée dessine l’imaginaire du passé : un savoir en devenir. On ne saurait l’arrêter pour l’estimer, ni l’isoler pour l’émettre. Elle est partage, dont nul ne peut se départir ni, s’arrêtant, se

Concernant l’exclusion de Joséphine Bacon dans cette proposition, se référer plus haut.

prévaloir. » (p. 15). L’état culturel « passé » est ainsi en « devenir », et constitue la pensée ou l’imaginaire du présent. Ce qui revient donc à dire que, selon Glissant, le passé c’est du futur, et le futur c’est la somme des passés. La poétique des possibles s’inscrit par ailleurs dans une démarche au sortir des perspectives coloniales (des littératures, des analyses, des rapports, des imaginaires,des réalités). Elle traduit un état en devenir, où l’inscription dans le futur est à saisir comme un « tiers espace » qui se veut un nouvel imaginaire des humanités.

Cette poétique du futur, qui se déploie dans les œuvres étudiées, s’observe au niveau même de la fin ouverte et inachevée desdits recueils. Le roman de Naomi Fontaine (2017) se clôt avec l’évocation de l’enfant (p. 109), cette figure de l’avenir; Béante termine avec l’« espace de tout ce que tu veux d’autres » (Gill, 2015a : 98) tandis que Frayer s’inscrit dans la pensée du rêve (Gill, 2015b : 75), cet imaginaire des possibles; enfin, Manifeste Assi et Bleuets et abricots terminent tous deux avec l’idée de revenir (ce même verbe est utilisé dans les deux recueils, respectivement Kanapé Fontaine, 2014 : 87 et 2016 : 78), que je comprends dans l’idée d’une renaissance, d’un autre possible. Ces fins évoquent, à plusieurs égards, l’absence même d’une fin. Cette fin, si elle existe, fait plutôt état d’un caractère en devenir, imprévisible, mouvant et dynamique.

Il est question ici de refaçonner d’autres possibles, d’autres imaginaires au monde terne, cloisonné et excluant. Rancière (2008) voit dans cette perturbation une capacité politique de l’image — que je reprends comme capacité politique de l’œuvre: « Les images de l’art ne fournissent pas des armes pour les combats. Elles contribuent à dessiner les configurations nouvelles du visible, du dicible et du pensable, et, par là même, un paysage nouveau du possible. » (p. 113). C’est par la manière dont la littérature structure autrement l’espace commun qu’elle peut prendre une valeur politique. Pour reprendre un terme particulièrement rancérien, le dissensus littéraire du corpus à l’œuvre dans le discours social intervient sur la configuration du monde et sur ses « évidences » qui entretiennent l’ordre des choses. Mais par ailleurs, en tant que reconfiguration conflictuelle du monde, ce

dissensus littéraire institue aussi des rapports inédits entre ces éléments. Cette redistribution des territoires de l’intelligible joue effectivement un rôle dans la stimulation de nouveaux rapports, de nouvelles façons d’être, de nouveaux imaginaires — tel que démontré par la démarche d’écriture de Gill destinée à un lectorat large et indéfini. Cette poésie se positionne ainsi en tant que révolution, tel que Rancière (1994) la conçoit: « Une révolution, au sens moderne du terme, c’est d’abord une modification du visible, liée à l’interruption brutale de la distribution normale des pouvoirs et des prestiges, du régime normal du regard et de la parole et des formes de symbolisation de leur exercice. » (p. 83).

La poétique des possibles rejoint d’ailleurs les spectres littéraires des « Enfants de la postcolonie » — terme proposé par Waberi (1998) afin de définir la « quatrième 67

génération d’écrivains d’origine africaine » : 68

[« Les Enfants de la postcolonie »] posent par leur position même à l’intersection de plusieurs territorialités géographiques et intellectuelles un défi à l’historiographie littéraire telle qu’elle a été pratiquée jusqu’à présent. En effet, à la diversification des écritures et des foyers d’édition s’ajoute un brouillage de l’identité nationale, au profit d’une pluralité d’affiliations possibles et d’origines. Aujourd’hui plus que jamais, il est de plus en plus problématique, et peut-être de moins en moins pertinent, de chercher à regrouper à tout prix des individus et des produits isolés dans un ensemble qui les enferme dans une identité exclusive. (Moudileno, 2000 : s.p.)

Les postures discursives des « Enfants de la postcolonie » font écho aux écritures de Gill, de Fontaine et de Kanapé Fontaine, et dessinent les contours d’une positionnalité littéraire au sortir des étiquettes « littérature autochtone » ou « littérature africaine ». Il y a une citation fameuse et provocatrice de l’auteur d’origine togolaise Kossi Efoui (cité dans Douin, 2002), mais particulièrement pertinente pour saisir la rupture qui est à l’œuvre dans le champ littéraire:

L’écrivain africain n’est pas salarié par le ministère du tourisme, il n’a pas mission d’exprimer l’âme authentique africaine! […] Comprenons une fois pour toutes que nous n’avons pas de parole collective! Nous ne devons

Pour une critique de cette dénomination, lire par exemple Moudileno, 2000.

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Voir également Mbembe, 2013; Hayatou, 2016.

allégeance à personne! Méfions-nous des crispations identitaires, elles constituent un réservoir où puise la mondialisation! La meilleure chose qui puisse arriver à la littérature africaine, c’est qu’on lui foute la paix avec l’Afrique. (s.p.)

Cette volonté de redéfinir les poétiques mais surtout l’exigence d’une nouvelle perception par le lectorat, et donc le discours critique, se fait jour dans les œuvres elles-mêmes et dans différents métatextes. Cette génération d’écrivains et d’écrivaines — ici d’origine africaine — exige une reconnaissance de leurs écrits non plus pour leur altérité mais pour leurs qualités littéraires intrinsèques; cela n’est pas sans rappeler le discours de Marie-Andrée Gill.

Cette posture littéraire que j’ai nommée « poétique des possibles » surgit en ce sens qu’elle ouvre des espaces et créer des possibles. Elle se pense et se comprend dans son rapport aux autres discours en présence (Angenot, 2004; Foucault, 1971, Bourdieu, 1998), mais dans une inter-valorisation de ceux-là (Glissant, 1990), dans la construction d’un rhizome (des discours, des origines, des réalités) non plus universel, mais bien pluriversel. Cette démarche participe de la vision glissantienne du monde: un monde immaîtrisable, un monde aux contours mobiles, divers et épars, qui se renouvelle inlassablement, un monde finalement complexe qui ne saurait être inscrit ou contenu dans une seule parole et pensée (Glissant, 1990 : 45). Le penseur martiniquais se positionne, en effet, contre l’idée d’universel pour prôner « la totalité des systèmes non systématiques de relations entre tous les lieux du monde » (Mbom, 1999 : 252). Rapprocher les dynamiques littéraires des 69

« Enfants de la postcolonie » à celles des auteures du corpus (excepté Bacon) se révèle être une piste intéressante pour, de nouveau, penser autrement la littérature retenue dans cette recherche et mettre en valeur une posture littéraire singulière, nommée ici poétique des possibles, qui n’est justement pas définie comme « autochtone » — ce que je tente, en effet,

Tout en se défendant de ne pas créer un système alors qu’il se bat pour les non-systèmes, Glissant

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développe cependant au prisme, entre autres, d’une double matrice que sont la pensée archipélique et la créolisation, une conception du monde qui semble reposer sur un certain nombre de socles (Mbom, 1999) dont j’ai retenu dans le cadre de cette recherche, en plus des cultures ataviques et composites, l’opacité et la poétique de Relation.

de déconstruire. Cette poétique rejoint plutôt d’autres littératures qui elles aussi font état d’un monde en mouvement, en devenir, en éclatements et en ruptures.

6.2.2 …à l’ordre de la décolonisation

Mon cheminement m’a amenée d’une posture de recherche que je définirai héritière d’une vision colonisatrice à une vision plus large et inclusive des possibles en présence. Ce cheminement, je le dois notamment au temps passé auprès de Marie-Andrée Gill où j’ai pu appréhender sa poésie, ainsi que la littérature du corpus, sous de nouvelles perspectives. Comme j’ai déjà pu le mentionner, la dimension intime relative au processus de création est venue complexifier mon sujet de recherche. Ma rencontre avec la poétesse a, en effet, contribué à me faire replacer les œuvres dans un contexte de création artistique, et non plus comme unique révélateur de sens. Ma première analyse discursive du corpus a contextualisé mon approche dans un cadre politique, de positionnements et de luttes de sens. L’expérience humaine est venue déconstruire, ou du moins bousculer mes réflexions et, particulièrement, mon approche. Je souhaite donc terminer cette analyse générale par une réflexion portant sur la décolonisation, et spécifiquement celles des analyses littéraires/ discursives d’œuvres d’auteures et auteurs autochtones. Cette position est également intrinsèque à celle de la poétique des possibles.

Dans son discours d’ouverture de la conférence « For Love of Words »: Aboriginal Writers of Canada portant sur les littératures autochtones, Emma LaRocque (2006) soutient que celles-ci ne peuvent pas être uniquement perçues et critiquées comme « a « voice » of culture or even resistance » (p. 13). C’est davantage en considérant l’humanité des écrivains et écrivaines que les analyses vont s’éloigner de la tendance à considérer les textes autochtones comme des œuvres essentiellement politiques. L’imagination et la « creative re/construction of words » (LaRocque, 2006 : 17) deviennent plus que de simples outils d’identification culturelle ou de résistance; ils sont en eux-mêmes dignes d’étude: « Literary criticism needs to come back to the artistic essences of imagined words and worlds. » (LaRocque, 2006 : 17). Ces revendications, je les retrouve chez Marie-Andrée

Gill — et également dans les métatextes des « Enfants de la postcolonie » (et sûrement chez d’autres). Dans une approche décoloniale des littératures autochtones, et de manière plus inclusive des œuvres marginalisées, la subjectivité des auteures et auteurs et le caractère esthétique des récits littéraires demeurent donc une question centrale.

Comme précisé dans le chapitre V, une des positions de Marie-Andrée Gill est celle assumée d’une écriture décoloniale. Une écriture qui se veut lumineuse face aux (nouvelles) représentations des identités autochtones. Son écriture en est avant tout une de soi, dont l’esthétique est primordiale (davantage que le propos). L’exemple le plus probant est selon moi son recours au nehlueun, qu’elle convoque d’abord dans un rapport esthétique (pour la beauté de la langue, pour sa sonorité) et moins dans la vocation d’une affirmation identitaire — comme cela est généralement perçu dans le cas des langues autochtones. Le style métaphorique adopté par la poétesse, et qui regorge de diverses interprétations, place d’ailleurs cette littérature au sortir de la fixité, de l’enfermement. La lecture, l’analyse et l’identité de l’auteure ne sont plus données d’emblée, mais sont à appréhender. La représentation hégémonique de « l’Indienne » vole en éclats, elle est fendue de toutes sortes de quotidienneté, d’expressions et de références culturelles plurielles et éparses. Alors que Gill parle d’authenticité dans une approche de sincérité envers elle-même; la tendance à établir des liens entre l’appartenance originelle autochtone des artistes et l’univers fictif de leurs œuvres, afin d’y voir un garant d’authenticité, témoigne bien de la disparité des rapports et de la distorsion des réalités.

Tout en rejoignant la théorie de Rancière (2008) sur l’émancipation des spectatrices et spectateurs d’art, laquelle m’amène à considérer l’ensemble des perspectives abordées comme révélatrices des discours poétiques étudiés dans le cadre de cette recherche; je ne peux toutefois évacuer l’appel de LaRocque (2006): « Literary criticism needs to come back to the artistic essences of imagined words and worlds. » (p. 17), ainsi que celui de Marie-Andrée Gill et d’autres également tels que les « Enfants de la postcolonie ». Et c’est là à mon sens que commence une réelle posture décoloniale: reconsidérer les perspectives

d’analyse adoptées en intégrant les critiques des protagonistes en question, et en modifier ainsi les études concernées. En d’autres termes, et dans le cadre de cette recherche, si je soutiens qu’une lecture politique de ces œuvres demeure l’angle à adopter, sous prétexte qu’une telle lecture est possible, voire pertinente dans certains contextes, sans considérer l’appel à la valorisation de l’esthétique des textes et à la subjectivité de l’auteure, je maintiens des rapports inégaux où les référents intellectuels relèvent de la société dominante. Analyser les littératures autochtones au travers des seuls prismes d’un mode d’étude de tradition occidentale est une erreur. Mon cheminement a révélé certains biais de ma recherche, dont le plus important est celui d’un corpus théorique largement occidental. La dynamique reste impériale: l’autorité émane des centres critiques occidentaux vers les textes (autochtones) marginalisés. Et LaRocque (2006) d’ajouter: « It is not just Westerners or the Western canons that can measure aesthetic value of art, literature, narrative, or character development! » (p. 14). Si l’on en revient à Rancière (2008) et à l’autonomie des œuvres, il est effectivement valide de souligner le caractère indépendant du texte et du lectorat. Mais dans le domaine de la recherche, dont universitaire, cette position n’est selon moi pas tenable. Il est de la responsabilité éthique des chercheuses et chercheurs de considérer les apports d’autres sphères intellectuelles, et d’autant plus des penseuses et penseurs concernés de manière immédiate par les sujets d’étude. Ultimement, mon mémoire est marqué par plusieurs achoppements et ne participe pas directement à la refonte d’analyses discursives et littéraires d’œuvres autochtones/marginalisées, mais il s’engage dans le mouvement décolonial d’inclusion de théories et d’écrits autochtones.

Enfin, parler de poésie, et plus largement de littérature, dans un contexte de décolonisation, c’est ne pas oublier la contribution de cette dernière dans la construction des images avilissantes et figées des identités autochtones. Et c’est bien face à cette dynamique que certaines des œuvres du corpus s’inscrivent. Une démarche qui s’écarte de la génération précédente (dont Bacon fait partie), en ce sens qu’elle va au-delà des frontières socio- culturelles pour s’insérer dans les nœuds des humanités, et ainsi insuffler d’autres poétiques — la démarche actuelle de Marie-Andrée Gill et Natasha Kanapé Fontaine qui tentent,

chacune à leur manière, de développer et de proposer une poétique prend alors beaucoup de sens.

La poétique des possibles est d’ailleurs une position littéraire dont la matrice s’inscrit dans une pensée décoloniale. Ces paroles littéraires proposent effectivement d’autres visions 70

de l’histoire commune; elles placent leur parole comme mémoires (de celles d’hier et de celles à venir); elles invitent à découvrir les vies humaines par d’autres fenêtres; elles dessinent d’autres rapports entre humain et nature (voir également Papillon, 2017; Giroux, 2008, 2009; Lamy, 2013). « Et dans la parole, le monde se crée. », écrit Véronique Côté (2014 : 34). Et c’est bien ce que les auteures du corpus tentent de faire à travers leurs œuvres. Pour pouvoir construire ces autres mondes, il faut, au préalable, les imaginer, les penser et les tracer.

Joël Clerget (2007, cité dans Côté, 2014 : 24) l’exprime de manière formidable dans son texte Je est un autre; le poème est pour lui:

[…] une langue qui me dit : entre. Entre dans la demeure de la parole. Entre le poème et moi se tisse le chant d’un monde à venir, entre un à dire et un dire, entre ici et là, entre nous. Entré en nous et entre nous, le rythme poétique me fait être là, au monde vivant de la parole.

Un peu plus loin dans La vie habitable, c’est au tour de Daniel Weinstock (cité dans Côté, 2014 : 53) de mettre en mot comment la poésie peut participer de notre compréhension du monde:

Le langage, dans son utilisation ordinaire, nous pousse vers l’affirmation : tel énoncé est vrai ou il ne l’est pas. La poésie défait ce lien entre langage et affirmation. Elle est la zone de la suggestion, de l’ellipse, de l’incertain. Elle nous permet donc de voir le monde comme une source d’ambigüités et de mystères.

Je m’inspire ici de l’une des théorisations de Giroux (2008) autour de la notion de parole: « Cette

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particularité du discours émancipateur autochtone trouve son articulation fondamentale dans l’union du langage et de l’action, qui devient dès lors un mouvement ici qualifié de parole. Cette union est possible quand sont fusionnées en une langue politique nouvelle les conditions de l’action libératrice et les conditions de vérité et d’intelligibilité du langage. » (p. 53)

La poésie, présentée ainsi, permet de dire les humanités autrement, de leur redonner opacité et pluralité, et finalement de les ouvrir vers « l’à-venir ». Ce changement de paradigme est ce qui fait justement l’originalité de la posture littéraire d’une poétique des possibles, et plus précisément de certaines des œuvres du corpus. Celles des auteures Gill, Fontaine et Kanapé Fontaine proposent de par leurs structures narratives et discursives, des ruptures, des (ré)écritures, des possibles.

Ouverture : et si on « décloisonnait » les lectures?

Je me suis attachée, au travers de cette analyse, à illustrer comment les auteures du corpus dans leurs pratiques concrètes, articulent des manières de dire et de faire, des formes de visibilité et des modes de pensabilité, et permettent ainsi de reconfigurer les représentations du sensible, de nouer de nouveaux rapports avec celui-ci et de changer les coordonnées du représentable. J’ai avancé, dans ce contexte, l’idée de la révélation d’une posture littéraire singulière nommée poétique des possibles. En m’inscrivant dans une réflexion portant sur les manières de faire discours et les rapports au monde sous-jacents, en m’appuyant également sur l’œuvre d’Édouard Glissant, j’ai tenté de démontrer qu’au-delà d’un discours singulier à teneur identitaire — un présupposé de cette recherche —, les œuvres du corpus rejoignent une posture littéraire qui s’inscrit dans le commun.

La « déclosion du monde » (Mbembe, 2013 : 55) — cette expression poétique pour parler de décolonisation — est avant tout une praxis de la mise en relation (Mbembe, 2013 : 71). Chez Édouard Glissant, la déclosion consiste précisément à aller à la rencontre du monde en sachant embrasser la multiplicité de nœuds régis par la double logique de l’entrelacement et de la déliaison qui font que nos identités s’étendent et s’entendent nécessairement dans un rapport à l’Autre. Les nouvelles représentations des identités autochtones, auxquelles les auteures du corpus donnent voix, s’inscrivent justement dans l’indémêlable tissu des affiliations.

Dans ces considérations, je pense au concept littéraire fructueux de Goethe qu’est la 71

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