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Les productions « mixtes » (Langlais, 2007a) sont définies par la coexistence de modalités de débitage plurielles autonomes sur un même volume. Au sein du secteur 2, trois modalités de débitage ont pu être observées. Un groupe défini d’après une modalité de débitage axée sur la production d’éclats lamellaires, de lamelles et d’une réorientation en cours de débitage vers

une production courte dans le temps de petits éclats, est constitué par deux nucléus issus pour

l’un (Q8F14) du domaine lointain (type D004) et l’autre (R11F8) du domaine local (type

F140, silex aalénien-bajocien des Causses de Lozère) collecté dans les alluvions anciennes du bassin du Puy-en-Velay ou de Naussac. Ces nucléus suivent un schéma de débitage sur face large. Un second groupe comprend deux nucléus (L11F9 et L11F7) issus de domaines lointains (type D004 et F038). Arrivés à exhaustion ils ont produits des supports lamellaires et

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des éclats. L’un est arrivé à exhaustion et présente de multiples surfaces exploitées tandis que

l’autre témoigne des derniers gestes malhabiles de son (dernier ?) tailleur.

Les nucléus R11F8 et Q8F14 (Figure 41 et 42)

Il est en silex de type F140 et sur un gros éclat épais, sa taille à l’abandon est de 51x50x22

mm. Avant exploitation, le support pré-débité de ce nucléus devait être deux à trois fois plus

gros. Ce paramètre doit être pris en compte pour l’analyse, les objectifs et modalités de

débitage ayant pu varier durant le temps d’exploitation. En revanche, le nucléus Q8F14 (44x34x18 mm) ne présente pas d’indice de support pré-débité et est probablement issu d’un

bloc comme le burin-nucléus Q12F138.

Ces deux nucléus possèdent un plan de frappe (PF1) dont la mise en forme diffère. Pour le

nucléus R11F8, le plan de frappe a été réalisé par un enlèvement transversal à l’axe du

support pré-débité dans sa partie distale (le choix du support a sans doute été orienté par sa morphologie), tandis que celui du nucléus Q8F14 est peu aménagé par quelques esquillements frontaux et un négatif par débitage frontal, le reste du plan de frappe étant resté cortical sans tentative de dégagement.

Ces deux plans de frappe ont servi au débitage de produits lamellaires, des lamelles plutôt étroites pour le nucléus Q8F14 (Figure 42) et des éclats lamellaires pour le nucléus R11F8. Une première distinction peut être faite au niveau de leurs corniches, influencées par le type de percuteur utilisé. Pour R11F8, la corniche très marquée et vierge de toute préparation est soulignée de contre-bulbes forts et suppose une production de support aux talons épais et

larges. Le négatif d’un éclat lamellaire débité àpartir de ce plan de frappe présente d’ailleurs

une légère fissuration à partir de la corniche qui laisse penser à une cassure du talon au moment de son débitage. Ces observations peuvent justifier l’hypothèse d’une percussion au

percuteur minéral dur lors de cette première étape du débitage. Pour Q8F14, la corniche est beaucoup plus investie, avec une abrasion régulière et une production plus fine et régulière aux talons linéaires qui suggèrent au contraire une percussion au percuteur tendre (organique ou minéral).

Une réorientation du débitage a été observée sur ces deux nucléus. Elle intervient par la

création d’un second plan de frappe opposé au premier pour le nucléus R11F8 et déjeté par rapport à l’axe de débitage premier pour le nucléus Q8F14. La mise en place de ces nouveaux plans de frappe a été menée pour permettre l’exploitation du dos du nucléus, dans un probable souci d’exhaustion. Cette réserve de matière laissée brute jusqu’à ce point du débitage,

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R11F8 et surface de débitage lamellaire sur le nucléus Q8F14. Les types de percuteur ne semblent pas changer à ce stade du débitage et la première surface de débitage devient plan de frappe de la seconde. Les courtes surfaces de débitage (jusqu’à 30 mm de long pour R11F8 et

Q8F14), dos de ces deux nucléus, sont activement exploitées. Elles ont une double fonction

(production et entretien). En effet, plus la surface est débitée, plus l’angulation entre ce

nouveau plan de frappe et l’ancienne surface de débitage se réduit, facilitant ainsi la dernière

étape de débitage (Pelegrin, 1995).

Figure 41 : Nucléus R11F8, secteur 2.

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La dernière étape du débitage consiste à revenir sur la surface de débitage première. Les plans de frappe nouvellement aménagés permettent de poursuivre le débitage, par une production

d’éclats lamellaires et d’éclats pour le nucléus R11F8, et une production de lamelles

irrégulières et d’éclats pour le nucléus Q8F14 avec un changement de type de percuteur

intervenu au même moment. Deux négatifs laissent supposer l’utilisation d’un percuteur

minéral tendre. Les négatifs des stigmates (microfissures des supports débités, talon linéaire

pour l’un et punctiforme pour l’autre, angulation importante et soin porté à l’accroche

certainement du percuteur) peuvent suggérer un tel changement.

Ces derniers enlèvements ont provoqué l’arrêt du débitage. Pour le nucléus R11F8, un dernier enlèvement d’éclat a rebroussé, il rend ainsi impossible la poursuite du débitage. Enfin, pour

le nucléus Q8F14, la dernière phase de débitage a totalement anéanti les convexités du nucléus, la carène et le cintre alors concaves ont conduit à l’arrêt du débitage et à l’abandon

du nucléus.

Ce premier groupe donne un aperçu de la flexibilité des modes opératoires badegouliens qui

n’hésitent pas à utiliser toutes les surfaces du volume disponible, afin d’exploiter au

maximum la matière (économie de matière ?). Les produits débités ne divergent pas pour autant des morphotypes fixés lors des premières phases de débitage.

Le nucléus L11F9 (Figure 43)

Il est en silex de type D004 et mesure 36x29x16 mm. Un plan de frappe est aménagé par un

enlèvement frontal perpendiculaire à l’axe du support pré-débité. Le front de taille, absent à

l’abandon, devait être déjeté. Plusieurs négatifs d’éclats lamellaires issus de ce plan de frappe suggèrent une dimension plus importante de la surface de débitage (contre-bulbe absent). Les

produits issus lors de cette étape du débitage (lisible à l’abandon), sont des lamelles et/ou

éclats lamellaires tors et dissymétriques. Cette production est la première lisible sur le

nucléus. La forte réduction du nucléus peut impliquer bien d’autres modalités de débitages et

de productions associées. Il devait exister un plan de frappe opposé à celui-ci, qui a complètement disparu : seuls quelques enlèvements bipolaires en sont les témoins. Les deux dernières phases du débitage de ce nucléus masquent les antérieures et nous amènent à nous

interroger sur l’expérience du ou des tailleurs. Les négatifs évoqués précédemment sont recoupés par un débitage intervenu peu avant abandon de la pièce. Le même plan de frappe a servi cette fois, à plusieurs reprises, à des tentatives de productions de lamelles antéro-latérales. Or, les cônes incipients observables sur la corniche et à de multiples endroits sur le plan de frappe, plusieurs accidents en rebroussés et charnières, ainsi que les négatifs de

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fissuration des bulbes et talons, suggèrent l’inexpérience du ou des tailleurs. La trop grande

force appliquée au moment de la taille et le geste mal contrôlé peuvent expliquer les multiples erreurs de taille. La face inférieure du support pré-débité (dos du nucléus) a également servi comme surface de débitage pour produire quelques éclats. La gestion de la surface de débitage est « malhabile », certaines zones sont fracturées par la violence et la répétition des coups portés et les corniches sont par endroits complètement écrasées. Plusieurs hypothèses peuvent expliquer ces observations. Le nucléus peut avoir servi de pièce intermédiaire ou de percuteur provoquant alors des écrasements et des esquillements. Ce qui nous paraît peu probable ici, au vu de la morphologie de la pièce.

Ce nucléus peut également traduire l’habilité d’un unique individu. A cet égard, Whittaker

(1987) explique que « Individual identities are expressed both intentionally and accidentally in artifact variation » et souligne avec raison «At present our ability to identify individuals is severely limited. […] studies of individual variation are difficult and time-consuming» (Whittaker, 1987, p. 476). Bien qu’il puisse s’agir effectivement de l’expression d’une

identité individuelle, nous sommes ici limitée par nos observations. D’autre part, Kamp

suggère « there may be considerable variability in the production capability of nonnovice adults » (Kamp, 2001, p.13), et va jusqu’à évoquer la possibilité qu’avec l’âge même un

excellent tailleur puisse avoir des difficultés à la taille et commettre des impairs suite à des changements physiques (maladie, baisse de la vue, etc.). Dans ce cas précis, il nous paraît peu

probable que les dernières phases d’utilisation de ce nucléus soient liées aux gestes imprécis d’un tailleur malade ou vieillissant. En revanche, les arguments développés notamment par

Pigeot (1988, 1990 ; Chabrol et al., 2008) pour Etiolles, par l’expérience de Shelley (1990),

Schmider (1992) à Marsangy, Stapert (2007) au sujet de Oldehotwolde ou par Bodu (1993) et Ploux (Bodu et al. 1990 ; Ploux, 1988, 1991) au sujet du degré de compétence des tailleurs à Pincevent, semblent plus appropriés. Ces auteurs ont, à différentes échelles, constaté que certains nucléus débités par des tailleurs avertis pouvaient être repris par de jeunes tailleurs (enfants ?). L’expérience de Shelley a d’ailleurs permis de démontrer la récurrence de certains

accidents de taille (cassure en charnière) lors du travail de tailleurs débutants. Le traitement anarchique du volume à débiter, la présence de cônes incipients, la production de supports non viables, un auto-entretien mal assuré des surfaces ou la réalisation systématique

d’accidents, sont autant d’arguments qui nous éclairent sur les dernières phases de débitage du

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Figure 43 : Nucléus L11F9, secteur 2.

Le nucléus L11F7 (Figure 44)

Il est en silex de type F038 Arrivé à exhaustion il mesure 32x30x18 mm. Les derniers enlèvements visibles attestent du débitage de produits lamellaires et de quelques éclats courts. Les premiers enlèvements (reconnaissables et encore visibles) sont ceux de produits allongés mesurant aux alentours de 40 mm de long. Au moins trois de ces négatifs sont encore visibles.

Ils sont recouverts par celui d’un éclat, débité suivant un angle de 65° à l’axe de débitage des enlèvements précédents, qui a mis fin à l’exploitation de cette surface de débitage. Le ou les

tailleurs se sont probablement servis de ce négatif comme plan de frappe pour l’ouverture (ou le maintien), à partir du bord gauche du nucléus, d’une surface de débitage de lamelles

arquées et torses. Un second enlèvement (rebroussé) et une cassure sont intervenus au niveau du plan de frappe (réfection du plan de frappe et de sa corniche ?). Des enlèvements d’éclats

ont tout de même été débités à partir de ce plan de frappe réduit.

Enfin une seconde série d’éclats a été débitée à partir du bord droit envahissant la surface de

débitage et provoquant de multiples accidents au niveau de la corniche probable raison de

l’abandon de ce nucléus.

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