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Le processus d’innovation sociale au service des jeunes selon le Haut Commissaire à la Jeunesse : cadre méthodologique

Générer de l’innovation sociale : le pari des expérimentations du Haut Commissaire à la Jeunesse

1. Le processus d’innovation sociale au service des jeunes selon le Haut Commissaire à la Jeunesse : cadre méthodologique

Avant de présenter le cadre méthodologique proposé par le Haut Commissaire à la Jeunesse pour l’émergence d’innovations sociales au service de la jeunesse française – la Génération active selon la terminologie utilisée –, il est utile de revenir sur les considérations des chercheurs sur le concept d’innovation sociale et les conditions de son émergence.

1.1. L’innovation sociale : un système complexe en construction

S’il y a un relatif consensus pour définir et mesurer l’innovation technologique6, le concept d’innovation sociale reste encore flou, équivoque et donc difficile à mesurer et à quantifier. Il est vrai qu’en France, au niveau académique, ce domaine de recherche est relativement récent alors que, paradoxalement, l’histoire de nos sociétés est jalonnée d’innovations sociales. Il n’existe pas de véritable consensus sur ce que recouvre le concept, encore moins de théorie de l’innovation sociale et les recherches réalisées intègrent rarement une réflexion sur la possibilité de transposer ou généraliser l’expérimentation menée.

Par ailleurs, le champ de recherche a longtemps pâti de l’intérêt porté à l’innovation technologique : l’innovation sociale a d’abord été vue comme résultante de l’innovation technologique. Elle était présentée comme une externalité positive de l’innovation sur l’organisation sociale, dont elle est issue et qui la diffuse. L’innovation technologique agissait sur les relations entre acteurs et en cela modifiait les rapports sociaux.

Les travaux traitant de l’innovation sociale en tant qu’objet principal de recherche sont récents et en la matière on peut noter les travaux précurseurs, très avancés, des chercheurs canadiens du Réseau québécois en innovation sociale (RQIS) et du Centre de recherche sur les innovations sociales (CRISES) portant sur la définition de l’innovation sociale et sur les parallèles qui peuvent être fait avec l’innovation technologique (réseaux, proximité, polarisation, initiative locale).

La définition de l’innovation sociale la plus souvent utilisée est celle de Camil Bouchard (1999). Pour lui, l’innovation sociale correspond à « toute nouvelle approche, pratique, ou intervention ou encore tout nouveau produit mis au point pour améliorer une situation ou solutionner un problème social et ayant trouvé preneur au niveau des institutions, des organisations ou des communautés ».

L’équipe du projet de RQIS a ensuite enrichi cette définition première de l’innovation sociale en la repérant comme « toute approche, pratique, intervention ou encore tout produit ou service novateur ayant trouvé preneur au niveau des institutions, des organisations ou des communautés et dont la mise en œuvre résout un problème, répond à un besoin ou à une aspiration ». Elle prend alors la forme d’un processus nécessitant la participation et la coopération d’une diversité d’acteurs, par l’échange et la création de connaissances et d’expertises et par la participation des utilisateurs ou usagers (preneurs). Les deux schémas suivants témoignent de la complexité du processus d’innovation sociale, dont les       

6 Encore que les indicateurs classiques type dépôts de brevet, dépenses en recherche et développement soient insuffisants bien entendu pour réellement transcrire le potentiel de compétitivité et d’innovation d’une région et que les chercheurs actuellement tentent de trouver des pistes pour mieux mesurer les facteurs d’innovation.

chercheurs canadiens ont su dégager une trajectoire commune : la succession de trois phases que sont l’émergence, l’expérimentation et l’appropriation.

Ce dernier concept d’appropriation pourrait être une phase préalable nécessaire avant la phase de

« généralisation » proposée par le HCJ ; l’usage du terme « appropriation » suggère bien la nécessité de l’échange de connaissances entre acteurs, leur transfert et la notion de consensus, d’appropriation collective de l’expérience, certainement nécessaires avant toute généralisation.

Schéma global d’un processus d’innovation sociale

Source : Réseau québécois en innovation sociale (RQIS).

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Schéma simplifié d’un processus d’innovation sociale

Source : Réseau québécois en innovation sociale (RQIS).

1.2 Les conditions de l’innovation sociale dans le cadre du Haut Commisaire à la Jeunesse : une expérimentation d’application limitée d’un point de vue temporel et/ou sectoriel associée à une évaluation ab initio

En France, les politiques d’innovation technologiques n’ont jamais fait l’objet d’expérimentations, contrairement aux politiques dans le domaine de l’emploi ou du travail (cf. RSA). Les politiques industrielles et d’innovation française sont pensées et impulsées au niveau national pour faire émerger des dynamiques au niveau local ou sur des territoires de projets. Force est de constater que ces politiques n’ont pas toujours eu les effets attendus ; l’évaluation de la politique des système productifs locaux ou des pôles de compétitivité (Carel 2005) confirme que la réussite d’un cluster ne se décrète pas et que chaque acteur est soumis à des contraintes propres qui ne facilitent pas la coopération territoriale (Bergeon-Carel, Larceneux 2004). De plus, elles ne font que creuser les déséquilibres spatiaux par la polarisation ; elles témoignent par ailleurs du fait que la proximité géographique ne suffit pas pour générer des dynamiques territoriales vertueuses. Le succès ou l’échec de telles politiques semble provenir de la mobilisation effective des « bénéficiaires » (les entreprises dans le cas des politiques d’innovation) ; leur adhésion est difficile à susciter lorsqu’elles ne sont pas intégrées en amont et porteuses de la démarche. Ces constats fournissent déjà des enseignements précieux pour les politiques envers la jeunesse mises en place récemment : intégrer en amont tous les acteurs, y compris les jeunes, dans la construction des projets est nécessaire mais difficile ; cela n’est néanmoins pas suffisant non plus pour créer une dynamique coopérative vertueuse.

La politique d’innovation sociale adoptée lancée à l’été 2009 est innovante, les modalités sont expérimentales. Examinons le cadre méthodologique proposé par le HCJ, qui voit l’émergence d’une innovation sociale sur un territoire et/ou un type de public donnés comme un projet associant étroitement et en amont expérimentateurs et évaluateurs.

1.2.1. L’expérimentation

Rappelons que ce terme d’expérimentation nous vient tout droit de la médecine. Appliquée à l’innovation sociale, l’expérimentation est ici un nouveau mode de création législative. Le recours à l’expérimentation n’est pas anodin. Ainsi, il est tout à fait plausible que seules les bonnes pratiques seront généralisées ou que les résultats de l’évaluation ne soient pas pris en compte par le législateur. Néanmoins, utilisée à bon escient, l’expérimentation peut être un moyen d’aboutir à la promulgation de lois mieux adaptées aux bénéficiaires et aux territoires concernés (Perrocheau 2000).

Dans le cadre des projets HCJ, le concept d’expérimentation se voit ainsi défini : « C’est une innovation de politique sociale initiée dans un premier temps à petite échelle, compte tenu des incertitudes existantes sur ses effets, et mise en œuvre dans des conditions qui permettent d’en évaluer les résultats, dans l’optique d’une généralisation si ces résultats s’avèrent probants » (Les Rencontres de l’expérimentation sociale, Grenoble, novembre 2007). Les commanditaires distinguent deux dimensions qui sont

essentielles à la réussite de ce vaste programme : une inscription dans un canevas rigoureux et « codifié », validée par la démarche évaluative, et une inscription dans un contexte d’utilité sociale, d’amélioration de la gouvernementalité et de péréquation.

On tient donc naturellement dans cette citation les ingrédients des bonnes pratiques, d’une bonne expérimentation sociale7 que le HCJ reprécise ainsi :

« 1. Il doit s’agir d’une innovation de politique sociale… : il peut s’agir de tester un nouveau dispositif d’accompagnement, une incitation financière plus favorable ou un supplément d’information, voire tous ces éléments à la fois ; dans tous les cas, il semble essentiel que l’innovation testée soit porteuse de sens pour les politiques sociales, c’est-à-dire qu’on puisse la situer dans les perspectives d’évolution des politiques sociales, qu’on en connaisse les présupposés et qu’on identifie les questions auxquelles elle est susceptible de répondre ; plus l’innovation testée est sophistiquée, plus il sera difficile de déterminer la part relative de chacune de ses composantes dans les résultats obtenus.

2. Initiée dans un premier temps à une échelle limitée, compte tenu des incertitudes existantes sur ses effets... : l’expérimentation est une mesure transitoire sur un petit groupe de population défini géographiquement ou sur la base d’autres critères ; elle doit aboutir à une décision politique.

3. Et mise en œuvre dans des conditions qui permettent d’en évaluer les effets... : cela suppose que n’existent pas de biais dans la sélection des bénéficiaires et que ces bénéficiaires soient comparables à un groupe de non bénéficiaires ; cela suppose également que le groupe des bénéficiaires ait atteint une taille critique ; et que l’évaluation du dispositif fait partie intégrante du projet.

4. Dans l’optique d’une généralisation : divers mécanismes peuvent limiter l’interprétation que l’on fait des résultats d’une expérimentation, dans l’optique d’une généralisation :

- le groupe de bénéficiaires peut ne pas être représentatif de la population générale ; - le contexte dans lequel il se situe peut ne pas être comparable à l’ensemble de la société ;

- le fait pour les bénéficiaires de savoir que l’évolution de leur comportement sera mesurée peut biaiser les résultats ;

- plus généralement, la diffusion de l’information n’est pas identique dans la mise en œuvre d’un nouveau dispositif à une petite échelle et quand le dispositif est national, ce qui peut également biaiser les résultats. »

1.2.2. Concernant l’évaluation

« L’exercice de l’évaluation est en retard en France. Ce retard peut être aussi dû à une mauvaise compréhension de la nature de l’évaluation, trop souvent perçue comme du contrôle. De plus, les comparaisons avec les pays étrangers ne sont pas faciles : l’évaluation française est sensiblement différente de l’évaluation dans une perspective value for none des pays anglo-saxons. À tort, les politiques et les administratifs ont souvent peur des résultats de l’évaluation. Il convient de sortir de ce cercle vicieux pour la placer enfin au cœur de l’action de l’État : elle n’est pas seulement un outil de modernisation de l’administration, mais bien l’instrument d’une réforme de l’action publique et de sa philosophie. L’évaluation consiste à porter un jugement, par définition de nature politique, bien plus qu’à opérer un constat scientifique » (Tenzer 2000).

Un guide8 mis en ligne sur le site dédié aux expérimentations HCJ insiste sur la nécessité de l’évaluation et ses méthodes : « Lorsqu’une institution engage des ressources humaines et matérielles sur un programme social innovant, elle a besoin de savoir si ce programme améliore effectivement la situation des personnes qui en bénéficient. Cela suppose de pouvoir évaluer de façon rigoureuse les conditions de mise en œuvre et les effets du programme sur ses bénéficiaires. Il lui est nécessaire en outre de savoir si un meilleur usage des ressources qu’elle mobilise peut être envisagé dans l’intérêt des personnes. Seule une évaluation rigoureuse permet de dire de façon fiable si le programme est efficace. Cette évaluation peut aussi renseigner sur les raisons pour lesquelles le programme fonctionne, pour réfléchir à la généralisation, ou au contraire fonctionne mal, pour pouvoir l’améliorer. L’objectif de l’évaluateur est       

7 http://www.lagenerationactive.fr.

8 Guide méthodologique pour l’évaluation des expérimentations sociales à l’intention des porteurs de projets, 2009,

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de participer à l’accumulation de connaissances fiables et partagées sur l’efficacité des dispositifs en fonction des conditions de leur expérimentation. Expérimentation et évaluation ont donc tout à gagner à être associées de façon étroite »9.

Les méthodes d’évaluation des projets s’adaptent à la spécificité de chaque projet. Des points communs résident cependant dans les objectifs assignés aux évaluateurs : minimiser les biais dans la sélection des bénéficiaires, constituer autant que faire se peut un groupe de bénéficiaires qui soit comparables à un groupe de non bénéficiaires ; veiller le cas échéant à ce que le groupe des bénéficiaires ait atteint une taille critique suffisante ; mesurer l’efficacité des nouveaux dispositifs et étudier les conditions possibles de leur généralisation. Pour ce qui est des méthodes, l’évaluation ayant recourt à des méthodes quantitatives semble avoir la préférence des décideurs (sur la base d’enquête avec tirage aléatoire si la population nous le permet) sans discréditer pour autant l’appréhension et la compréhension du jeu des acteurs, le repérage des dysfonctionnements dans la coordination et des leviers. L’objectif de l’évaluation est de répondre aux questions que se pose le commanditaire pour diminuer ce que la sociologie des organisations qualifie de « zone d’incertitude » (Bencivenga, Potier 2005 p. 113).

L’évaluation doit être externe à l’expérimentation, nous aurons l’occasion de rediscuter de ce point dans la suite du papier.

2. Innovations sociales. Entre politique volontariste et effets sur les

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