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La diffusion en elle-même a connu une certaine évolution. Le tournoi a d’abord été diffusé dans Sports Dimanche jusqu’en 1974. Cette émission était soumise aux contingences de la grille de diffusion et ne diffusait parfois même pas la finale entièrement. Comme ce fut le cas de la finale de 1974 entre Bjorn Borg et Manuel Orantes où les téléspectateurs ne purent même pas voir la fin de cette finale. L’augmentation de la popularité de Roland Garros a ensuite permit une apparition exclusive dans la grille des programmes. Ceci nous montre une popularisation et une individuation des différents sports et donc du tournoi.

A – Modalités de présentation de l’événement

Les modalités de cette diffusion sont quelques peut modifiées au cours de cette période. Tout d’abord avec la place croissante du présentateur sur les commentateurs. Initialement le plateau est présent en studio, dans Sports Dimanche, jusqu’en 1974. La présentation fut ensuite faite depuis les studios du service public à la manière d’une speakerine. Puis les studios de France Télévision au sein du complexe Roland Garros prirent le relai dans cette optique. Enfin une terrasse fut installée

en haut des tribunes sur le court central en 1996. La transition vers une présentation du tournoi depuis cette terrasse est progressive : on voit arriver au cours des années 1990 une présentation hybride de la part de Patrice Chêne. Celui-ci se trouve soit au sein du studio situé dans le stade, soit dans les allées du tournoi, en duplex. On a donc une logique de mise en situation, de mise « au cœur » de l’événement de plus en plus forte au fur et à mesure de notre période. L’objectif des rédactions journalistiques est de faire vivre au plus près le téléspectateur, de le laisser penser qu’il est dans le stade avec le commentateurs. Ceci est d’ailleurs souvent renforcé par l’emploi de la première personne du pluriel dans les discours des commentateurs qui se veut inclusive entre le présentateur et le téléspectateur afin de créer une proximité entre les deux.

Le présentateur a également pris une place croissante dans le déroulement de l’après-midi et de la connexion avec la régie. Ainsi les duos commentateurs-consultants vont petit à petit être répartis sur tous les courts afin de faire leur travail. La diffusion des commentaires de ces duos va être orchestrée par le point central qu’est le plateau. Cette tendance à l’orchestration croissante et à une diffusion maximale du nombre de match commença au cours des années 2000. Auparavant le présentateur servait également à faire la transition entre deux matchs. Celle-ci s’effectuait d’ailleurs généralement à la fin dudit match pour basculer sur le suivant. Toutefois au cours des années 2000 on commença à assister à une forme de frénésie de diffusion, principalement au cours des trois premiers tours. Ainsi la programmation par le biais du présentateur, au lieu de se focaliser sur un seul match, va constamment changer le match diffusé à la télévision afin de donner aux téléspectateurs l’impression de ne rien manquer du tournoi. Cette diffusion frénétique répond à une volonté de stimulation et de satisfaire chacun des téléspectateurs présents. En deuxième semaine, en revanche, les diffusions sont beaucoup plus linéaires et beaucoup moins interrompues par d’autres match, en raison de la baisse du nombre de ceux-ci. En cas de temps mort ou de mauvaise passe sur le match choisi par la programmation une alternance peut être mise en place. Cette alternance se trouve souvent dans le rythme du match. La programmation privilégie souvent les fins de sets de chacun des matchs pour laisser le début des sets dans la part d’ombre du téléspectateur. Ces choix de fins de sets relèvent d’une dynamique de mise en avant du spectaculaire.

La place croissante du présentateur et du plateau dans la diffusion se rapproche pareillement de la logique du talk-show, format télévisuel reconnu. Ce passage au talk show de la télévision sportive est évoqué dans un article d’Olivier Villepreux107 comme un élément de la

spectacularisation du sport. C’est-à-dire que les télévisions sont de moins en moins simples diffuseurs de l’événement sportif mais de plus en plus productrices du spectacle par l’addition de

107 VILLEPREUX Oivier, « Sports et médias un marché inéluctable vers la démesure », Revue du Mauss, La Découverte, 2015

discours sur la rencontre. Ceci concourt à la création de l’événement sportif. Il y a création d’événement en l’annonçant mais aussi en le décryptant. Aujourd’hui le tournoi de Roland Garros ne peut plus se résumer à la seule diffusion des matchs mais bien à une spectacularisation de l’événement par le biais du commentaire sportif.

Les questions de diffusions et d’orchestration de la diffusion apparaissent également avec l’importance du personnel et les spécificités de celui-ci. Le duo commentateur-consultant est assez ancien mais n’a pas toujours été présent. Ainsi, on retrouve François Jauffret sur le plateau de

Sports Dimanche. Cependant, ce dernier est encore joueur et participe au tournoi ces années là, il

n’est donc que de passage et sans doute pas rémunéré pour cela. La professionnalisation des consultants, afin de donner un œil d’expert, un œil de tennisman et non pas une simple narration de l’événement comme le fait le commentateur apparaît de façon définitive en 1979. C’est François Jauffret qui accompagne pour la première fois Hervé Duthu au stade Roland Garros. Auparavant le commentateur était tout seul au stade.

Cette expertise fut ensuite pérennisée avec d’anciens joueurs comme Patrice Dominguez ou Arnaud Boetsch, d’anciennes joueuses française (comme c’est le cas actuellement) avec Mary Pierce et Amélie Mauresmo, d’anciens membres de la fédération comme Jean Paul Loth ou d’anciennes joueuses étrangères comme c’est le cas de la Belge Justine Hénin. Deux choses sont impératives dans le choix du consultant : ses faits d’armes et la reconnaissance de sa valeur tennistique de part la longueur et la grandeur de la carrière ; sa maîtrise de la langue française afin d’être compris le mieux possible du public. L’apparition de la terrasse a également permis d’inviter des champions contemporains, soit fraîchement retraité soit simplement inactif au cours de la journée afin de réaliser des interviews bien plus prolongées et que celle qui se tenaient précédemment dans les tribunes ou bien dans le studio réservé aux interviews d’après match. On assiste encore une fois à une spectacularisation du sport par le biais du talk show.

L’interview-tribunes est aussi ancienne que la diffusion du tournoi. La première d’entre elle dans mes archives est sans doute celle de Patrick Proisy par Hervé Duthu en 1972. Elle consista en un droit de réponse sur ce que le commentateur avait pu dire sur le jeu de Proisy au cours du match. Cette interview se systématisa ensuite au cours des années 1980 avec l’installation d’un studio directement sur le site du tournoi pour interviewer les joueurs après le match. Les joueurs ne sont pas les seuls cibles de ces interviews, les vedettes dans les tribunes le sont aussi : Jean-Paul Belmondo, Patrick Bruel pour ne citer qu’eux. Le format de l’interview est à partir de 1989 associée à la présence familière pour le téléspectateur de Nelson Monfort. Ces entretiens ne peuvent cependant pas être toutes menées par une seule et même personne et s’il est la figure la plus connue

de cette pratique nombreux sont les commentateurs, les personnes a avoir officié dans ce registre journalistique : Patrick Chêne, Jean-Michel Leuillot, Lionel Chamoulaud, Hervé Duthu ou plus récemment Marie Mamère et Cécile Grès. Le registre de l’entretien apparaît également comme un élément de création du spectaculaire pour le tournoi en raison de la proximité supposée qu’il crée entre les athlètes et leur public.

Si faire la liste exhaustive et chronologique de toutes les personnes ayant été envoyées interviewer joueurs, proches des joueurs et vedettes au cours du tournoi ne serait pas proprement utile il est important de constater une féminisation de ce rôle qui répond non pas à une demande des spectateurs mais au rôle éducatif et paritaire de la télévision à l’encontre des publics. Les années 2000 voit la première consultante féminine apparaître en la personne de Tatiana Golovin tandis que Céline Géraud présenta certaines journées de l’édition 2015 et Louise Ekland ou Clémentine Sarlat apparurent dans le registre d’intervieweuse. On constate ainsi une féminisation des rôles de présentateur et d’intervieweur et par conséquent des pratiques du public à la féminisation de ce milieu masculin. Néanmoins le rôle de commentateur de match n’a pour l’heure jamais été confié à un homme. Ceci provoque également une forme d’accoutumance des publics téléspectateurs à une présence féminine à l’écran et par conséquent à une forme d’égalité dans la société. Le talk show de sport par son existence et sa fonction de représentation joue un rôle de diffusion de l’idée de parité au sein de la société.

B – Chaînes payantes, publicités et téléspectateurs

Comme précisé précédemment il était trop complexe d’étendre ma recherche sur les téléspectateurs sur le monde entier. Concentrons nous désormais sur les téléspectateurs . France Télévision est donc le diffuseur historique de cette épreuve depuis 1987. En 2000 le tournoi a été ouvert aux chaînes à péages, Eurosport en détient les droits. Depuis 2014 Eurosport possède l’exclusivité de la diffusion télé de l’événement entre 11h et 15h.

La diffusion de ce tournoi est soumise à des spots publicitaires. La réglementation française portant sur la décision semble n’avoir qu’une règle proprement applicable aux programmes sportifs : il n’est pas possible de diffuser de la publicité au cours d’une rencontre se disputant. Le seul moyen de le faire est au cours d’une coupure naturelle, prévue par le jeu. A cela s’ajoute la réglementation habituelle de diffuser une moyenne de 6 minutes de publicité par heure sur la journée et une impossibilité de diffuser plus de 12 minutes de publicité par heure. Le tournoi de Roland Garros par ce biais est une offre de choix pour les annonceurs en raison des nombreuses coupures publicitaires que peuvent offrir les changements de côté. Rappelons que ceux-ci durent

une minutes et ont lieu à la fin de chaque jeu impair ; une pause intervient également à la fin de chaque set.

Par ce biais on perçoit le téléspectateur comme une valeur marchande, et le tournoi comme un élément qui permet de « vendre du temps de cerveau disponible ». Cette marchandisation du téléspectateur apparaît de plus en plus comme une marchandise avec une augmentation significatrice des spots de publicité au fur et à mesure de ma période. La fin des années 1990 apparaît ici comme un tournant dans cette augmentation de la publicité et notamment le match en finale de Steffi Graf contre Martina Hingis, en 1999, qui en deux heures de temps de jeu compte sept spots de publicité alors que le match de Yannick Noah en 1983 n’en comptait aucun. Cette augmentation progressive du nombre de pages de publicités au cours des rencontres de tennis nous montre une fois de plus les liens entre financiarisation du sport-spectacle et considération des spectateurs. Ces derniers sont de plus en plus perçus comme une ressource financière pour les organisateurs et les diffuseurs du tournoi. La notion de philanthropie s’est quelques peu étiolée au fil du temps au profits d’une logique économique.

C – Quel bouleversement des programmes ?

On l’a vu le tournoi était d’abord totalement inscrit dans la grille des programmes. Jusqu’à la période de massification du tournoi, les années 1980, si le match déborde sur ce qui a été prévu auparavant, la diffusion ne se poursuit pas. Les téléspectateurs étaient alors contraints de finir de suivre le match à la radio ou bien d’attendre les résultats dans le journal télévisée du soir ou bien dans la presse du lendemain. Ceci contraste complètement avec la culture de l’immédiateté actuelle. A cette insertion dans la grille des programmes succède alors sa réciproque. A partir de 1987 c’est l’excès inverse qui se produit et la grille des programmes télévisés est bouleversée pour faire de la place au tournoi. Le jonglage de la diffusion et par conséquent des téléspectateurs entre les deux chaînes du téléviseur, la 2 et la 3 devint une pratique commune des retransmissions sportives. Ceci avait pour objectif de prolonger la diffusion le plus longtemps possible tout en diffusant les journaux télévisés sur les deux chaînes que sont Antenne 2 et France Régions 3.

Le tennis au sein de la grille des programmes est par nature imprévisible en raison de deux facteurs. Tout d’abord la météo qui peut vite rendre impraticable certains courts en raison de l’impossibilité de jouer sous la pluie pour les tennismen et de l’absence d’éclairage pour la nuit. Ensuite en raison de la durée des matchs. La durée des matchs de tennis n’est pas fixe et peut durer aussi bien une heure que cinq heures. Et c’est bien souvent quand un match dure cinq heures que l’intensité et le caractère dramatique de la pièce sont à leur comble. Il devenait alors de plus en plus

compliqué de justifier le fait de rendre l’antenne au moment du dénouement d’un match qui avait été à l’antenne pendant quatre heures. Une solution fut donc trouver de décaler la fin du match sur FR3 afin de permettre la diffusion du journal de 20h du Antenne 2.

Ce système de jonglage entre les chaîne du service public va être renforcé avec l’arrivée de France 4 sur la TNT à partir du 31 mars 2005. L’arrivée de cette chaîne et la généralisation de la TNT permirent ainsi une décharge plus facile et un maintien des programmes de façon beaucoup plus continue sans trop perturber la grille en cas de poursuite du match jusqu’à la nuit, au-delà de 20h. Néanmoins, avec le choix de programme le tennis sur France 4 en fin de soirée comme c’est le cas depuis la création de la chaîne. On constate une baisse de considération pour le tennis qui n’a plus les honneurs des chaînes historiques. Ceci répond également à des logiques d’équilibres commerciaux afin de conserver les téléspectateurs habituels en cas de feuilleton.

L’insertion du tournoi de Roland-Garros dans la grille des programmes est donc bicéphale sur ma période. Puisqu’il s’agit évidement d’une priorité au vue des sommes investies, de la publicité arrivant et du prestige de la chaîne de le diffuser. Cependant, il entre en contradiction avec les pratiques des habitués de ces chaînes qui voient les programmes modifiés et la récurrence annuelle ne semble pas suffisante pour convaincre les non-sportifs de suivre le tournoi en lieu et place du programme habituel.

Cet enjeu économique pour le groupe France Télévision est aujourd’hui remis en cause. Suite au tournoi 2019 et à la réfection du stade Roland Garros un appel d’offre a été lancé pour la diffusion du tournoi pour les années 2021, 2022 et 2023. Cet appel d’offre pourrait remettre en cause la suprématie de France Télévision qui régnait depuis 30 ans sans partage ni appel d’offre à la concurrence sur le tournoi de tennis français. Cet appel d’offre est notamment motivé par une recherche de gain plus intense. Les droits télés de Roland Garros se négocierait ainsi autour d’une somme avoisinant le quart de celle de Wimbledon. 80 millions d’euros pour le tournoi anglais, et 20 millions d’euros pour le tournoi français.

Ce chiffre apparaît très discutable et imprécis dans les sources actuels. En effet, ce serait la somme versée par France Télévision pour le tournoi. Mes entretiens et un article de France Info avancent également le chiffre de 37 % du budget du tournoi qui proviendrait des droits télés soit une somme avoisinant 85,1 millions d’euros. Il semble que par cet appel d’offre la Fédération Française de Tennis entamasse un processus de négociations avec France Télévision afin de retirer le maximum d’argent de cette relation ; à l’image de ce qu’avait pu faire l’ All England Club Tennis avec la BBC lors de la renégociation des droits en 2013.

Par la manne publicitaire engrangée au cours du tournoi et des 32,5 millions de téléspectateurs qui ont regardé le tournoi au cours de l’année 2019 le tennis est devenu un enjeu de pouvoir économique. Cet enjeu de pouvoir et cette manne financière sont constants dans la relation qu’ont les chaînes télés avec le public.