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QUAND LES PROCESSUS DE DECISION INFLUENCENT LES TRAJECTOIRES SOCIO-ECONOMIQUES ET

Table rase, tel fut le mot d’ordre à la Libération. Il fallut réinventer l’information. Deux corporations en devinrent les fers de lance, les journalistes et les ouvriers du Livre, dont l’importance respective, qui fut le témoin d’un système érigé en dogme et de l’influence du

pouvoir en place [Jeanneney, 2001 ; Eveno (b), 2008], engendra des surcoûts non rationnels et pesa sur les modes de gouvernance en place. La portée fut si importante qu’elle s’imposa, tel un processus de décision aux différentes firmes.

Or, depuis les travaux d’Alfred D. Chandler en 1962 [1994], ce processus de décision fait partie de ces composantes clés qui pèse sur les options stratégiques dans une cohérence d’ensemble qui inclut l’identité et la structure.

Pour autant, plutôt qu’un sens unique partant de la stratégie, il existe une dimension de dépendance réciproque qui dans une vision poussée à l’extrême [Miller, 1993], peut même considéré que « c’est bien souvent la structure en tant que collectivité, et non le dirigeant, qui

prend les décisions, ce qui donne l’impression que les décisions se prennent toutes seules »

[Strategor, 20009] ! Autrement dit, le résultat d’un processus de décision paraît parfois si curieux qu’on se demande comment il a été possible d’en arriver là. Le processus récent du choix des futurs repreneurs du groupe Le Monde à l’été 2010 illustre cette situation, dans la même veine que la définition des plans stratégiques de l’opérateur Presstalis.

Cette question a dès lors de quoi inquiéter dans la mesure où le processus de prise de décision semble bien loin de celui qu’aurait un individu rationnel, même si au bout du compte, c’est la décision la plus rationnelle qui l’emporte.

Cette section va nous permettre d’illustrer cette complexité du processus de décision par le truchement de quelques exemples et de voir, comme précédemment, que la convergence imposée n’est pas un vain mot. Il ne s’agit donc pas de procéder à une analyse individuelle des différents modèles de prises de décision, notamment du modèle dit politique [Strategor, 2009], qui se caractérise par une discussion et une redéfinition permanentes des objectifs selon l’interprétation qu’en font les acteurs et selon les jeux de pouvoir existants, mais d’en appréhender les conséquences pour en estimer (section 4) le poids dans une vision actualisée sachant qu’il se construit au gré des jeux de pouvoir et des rigidités de comportement, les groupes humains déjà formés affichant parfois la plus grande inertie

A/ Une gouvernance participative de circonstance et perturbatrice

Ainsi, dans l’esprit de 1944, certains crurent avoir trouvé la martingale pour échapper aux règles du capitalisme sauvage tout en préservant leurs intérêts et imaginèrent la création de sociétés de rédacteurs [Eveno, 2003]. Le Monde fut le premier en octobre 1951 à inventer ce

qui s’apparentera ultérieurement à une véritable gangrène de gouvernance, puisqu’en l’espèce la société des rédacteurs a obtenu, avec 25,57 % du capital à l’origine, une minorité de blocage qu’elle conserva d’ailleurs au gré des recapitalisations successives.

Titulaire d’un droit de veto sur l’élection du président du directoire (également directeur de la publication) de la Société éditrice du Monde (SEM), ainsi que sur celle du holding de tête, Le Monde Partenaires et Associés, elle bénéficie ainsi, à défaut de pouvoir juridiquement nommer le candidat de son choix, d’un réel pouvoir d’influence. D’autant que le président de la SEM a obligation de recevoir les voix des deux représentants de la Société des rédacteurs, outre la majorité qualifiée du Conseil de surveillance, pour être élu [Eveno (b), 2008].

Ce poids s’est par ailleurs renforcé lorsqu’elle qu’elle accepta en 2001 de se regrouper avec la société des personnels du groupe des Publications de la vie catholique (Télérama notamment) de sorte que finalement, avec les différentes Sociétés de personnels du groupe, les salariés ont fini par détenir 43,27 % du capital [Eveno, 2004 ; Eveno (b), 2008], de quoi influer sur les décisions et la stratégie et contribuer aux crises de gouvernance successives que connaît ce groupe depuis sept décennies.

Les dernières en date à illustrer ce poids de la gouvernance sur les choix de l’entreprise, sont le rejet de la candidature de Jean-Marie Colombani à sa propre succession en mai 2007 et le départ volontaire, en janvier 2008, de Pierre Jeantet de son poste de président du directoire quelques mois après sa nomination, indiquant qu’il s’opposait à une cogestion avec les salariés, ainsi que l’opposition des personnels à la direction, et aux actionnaires, dans le choix du candidat potentiel à la reprise du groupe en 2010, contraignant ainsi Claude Perdriel, soutenu par Orange, à se retirer au profit d’un trio d’investisseurs personnels, Xavier Niel, Pierre Bergé et Matthieu Pigasse.

Si Le Monde est un archétype illustratif assez exceptionnel, il n’est pas le seul journal à voir apparaître en son sein une société des rédacteurs. Il fallut en effet attendre 1965 pour que quatre sociétés de rédacteurs soient créées pour Le Figaro, l’Alsace, Les Échos et Ouest-

France. Mais comme à chaque fois, cette stratégie visa à trouver des compromis dans des

crises de gouvernance [Eveno, 2003, (a) 2008] ou des problèmes de succession [Jeanneney, 2001 ; Almeida (d’), Delporte, 2003], remettant en jeu la légitimité du capitaine d’industrie, qui, en toute logique, entra en confrontation quasi systématique avec les opposants à toute forme de libéralisme. Une vingtaine de sociétés de rédacteurs se créèrent ainsi dans des journaux, deux sociétés en radios, Europe 1 et RMC [Eveno (b), 2008] jusqu’aux récentes

naissances à La Tribune en 1993, à l’Express en 1997 ou encore aux Échos en 2007 voire même chez Prisma Presse faisant de ces structures une spécificité française [Eveno (a), 2008], à quelques exceptions près en Belgique, en Suisse ou en Allemagne.

Construites dans une méfiance qui se cristallisa vers la fin des années soixante, convaincues des périls que font peser les intérêts financiers sur la mission du journalisme et le pluralisme, les 17 organisations existantes finirent par se regrouper en 1967 dans une fédération dirigée par Jean Schwoebel du journal Le Monde [Almeida (d’), Delporte, 2003]. Elle demanda alors une loi visant à préciser le statut juridique et financier des entreprises de presse, sous-entendu une participation au capital de ces dernières, mais se heurta dans ses combats aux structures syndicales, notamment celles des journalistes et du Livre, ainsi qu’à d’autres catégories de personnels, au point d’y laisser son crédit au début des années soixante-dix.

Ces diverses oppositions se traduisirent néanmoins dans les faits par des décisions qui finirent par peser sur les comptes d’exploitation des journaux. Le Monde en fit par exemple les frais résume Patrick Eveno [2003] lorsque « les syndicats réclamèrent et obtinrent que la prime

issue de la répartition des bénéfices soit versée comme un élément constitutif du salaire, indexée sur l’indice des prix, obligeant l’entreprise à emprunter pour octroyer cette répartition aux collaborateurs. Si la répartition des bénéfices avait été remplacée par un intéressement du personnel par augmentation de capital, Le Monde aurait accumulé 55 MF de fonds propres en 1982 ».

En outre, au-delà du coût d’un conflit entre direction et journalistes qu’il n’est pas simple de quantifier, la bataille rangée, comme elle le fut lorsque la société des journalistes du groupe

Les Échos mit tout en œuvre en 2008 pour faire barrage à la reprise du groupe par Bernard

Arnault, renvoie une image délétère et contribue à créer un fossé entre les professionnels eux- mêmes, tout en instituant des situations bipolaires devenues parfois inextricables. Difficile dans ces conditions de viser la cohérence.

Pire, ces décisions stratégiques devinrent systématiquement l’occasion de luttes internes, source de conflits, de coalitions, d’influences et de ruses qui mettent en avant ces jeux de pouvoir que cachent les discours rationnels et les organigrammes bien dessinés, comme l’illustrèrent très récemment les cas de reprise de Libération par Édouard de Rotschild en 2005, du Figaro par Serge Dassault en 2002, ou encore le choix des repreneurs du Monde à l’été 2010 voire les projets de cession du Parisien en septembre 2010.

Or ces jeux font souvent l’objet de règles implicites qui procèdent de l’identité de la firme qui se combine à l’identité “corporate”. Et dès lors que celles-ci sont transgressées par des acteurs qui souhaitent un changement, la situation dégénère laissant la place à une véritable crise politique majeure. Les évictions respectives du directeur des rédactions du Monde, Edwy Plenel, ou du patron de Libération Serge July en sont les témoins.

Si ce mouvement fédératif s’endormit au début des années soixante-dix, tout en restant très actif chez certains éditeurs, il se réveilla à chaque modification majeure de l’orientation stratégique d’une firme, accentuée par les mouvements capitalistiques du début du XXIe siècle, comme ce fut le cas en 2008 à La Tribune lors de son rachat par Alain Weill.

C’est en ce sens d’ailleurs que s’est créé le Forum permanent des sociétés de journalistes en septembre 2005 [Eveno (b), 2008], sorte de résurgence de la Fédération des sociétés de rédacteurs, profitant du climat d’incertitude pour se faire entendre et demander une nouvelle fois la reconnaissance de la personnalité juridique d’une rédaction, de sorte que cette éventuelle structure soit associée au capital et puisse peser sur les orientations stratégiques. Cette volonté aussi louable puisse-t-elle paraître semble, à l’instar des choix pris à la Libération, en contradiction avec les règles d’efficience d’une organisation, dès lors qu’elle néglige la nécessaire cohérence d’efficience entre les systèmes de gouvernance, la structure, l’identité et la stratégie. Cette congruence se traduit dans la gestion quotidienne et le pilotage stratégique qui sont l’affaire de la direction et des actionnaires, l’expertise sur le contenu l’apanage de ses professionnels, associé le cas échéant à un comité de rédaction. En l’espèce, des systèmes de codirection comme cela fut mis en place à Libération entre Nathalie Collin et Laurent Joffrin en 2009, sont une solution possible dès lors qu’une organisation est animée par de forts courants identitaires et des processus de gouvernance assez claniques.

B/ Une gouvernance d’opposition onéreuse et sclérosante

« Celui qui tient les rotatives, tient l’éditeur à sa merci. » Cette boutade d’Emmanuel

Schwartzenberg [2007] résume le système de gouvernance structuré par les ouvriers du Livre, un système onéreux et sclérosant, mais qui au demeurant fut le seul en son temps à permettre à la presse parisienne d’imprimer quotidiennement ses journaux, notamment en 1945 alors que l’outil industriel n’était pas au mieux de sa forme. Car la presse est une industrie et il ne faudrait pas oublier que les difficiles conditions de travail de l’imprimerie il y a deux siècles

constituèrent le substratum aux revendications sociales. Et en l’espèce la valeur ajoutée a un prix, le changement d’organisation incombant alors au dirigeant sauf à ce que celui-ci préfère ne pas s’en soucier lorsqu’il s’avère encore gérable.

En l’occurrence, c’est ce mélange détonnant d’un laisser-aller des dirigeants alors que la presse vivait ses heures de gloire avec la légitime revendication sociale de métiers à forte pénibilité (saturnisme, tuberculose, absence de lumière, vapeurs nocives, etc.) qui a permis la structuration de la Fédération française des travailleurs du livre (FFTL) en 1885, avant qu’elle ne devienne la Fédération des industries du livre et de la communication (FILPAC) [Chauvet, 1971]. Au-delà de la sémantique, qui regroupe au bout du compte une kyrielle de métiers différents [Eveno, 2003 ; (b) 2008], l’important réside dans cette capacité de fédérer ses troupes en contrôlant l’ensemble du processus industriel et en devenant un partenaire obligé, des imprimeries au réseau de distribution.

La démonstration de force commença avec les grandes grèves de 1906, 1909 et 1919 qui permirent aux ouvriers d’obtenir des salaires plus élevés, en 1911 « un linotypiste du Temps

perçoit 320 F par mois, alors que le traitement d’un instituteur ne dépasse pas 100 F »

rappelle Patrick Eveno [2008]. Et trouva sa consécration à la Libération. D’abord parce qu’elle fut la seule organisation capable de remettre en route les imprimeries [Schwartzenberg, 2007], ensuite parce que sa participation à l’impression de la presse clandestine fut saluée et donc récompensée, et enfin parce qu’elle entérina définitivement son monopole lors de la grève de février-mars 1947 [Eveno (b), 2008 ; Almeida (d’), Delporte, 2003], démontrant au passage la compassion résignée des dirigeants et d’un pouvoir complice [Jeanneney, 2001 ; Almeida (d’), Delporte, 2003].

Et lorsque près de trente ans plus tard, en mars 1975, les ouvriers du Livre entrèrent en conflit avec Le Parisien, et son emblématique patron Émilien Amaury désireux de sortir son journal au format tabloïd et d’appliquer la convention collective de la presse quotidienne régionale (plus avantageuse pour l’éditeur) [Eveno (b), 2008], la grève de 29 mois entraîna une chute vertigineuse de son tirage de 680 000 à 300 000 exemplaires [Eveno (b), 2008].

Si le constat est économiquement et individuellement effrayant, il est tout autant détestable d’un point de vue corporatiste dans la mesure où les autres éditeurs se sont bien gardés de prendre part à ce conflit, préférant fermer les yeux, soutenus en cela par un État. Le Livre avait désormais la certitude que sans pour autant être actionnaire, sa force permettait de peser

sur les orientations stratégiques. Et il ne s’en priva pas au point que les ouvriers furent parfois plus présents dans les effectifs que les journalistes. Ils maîtrisaient les recrutements, les remplacements, les vacations et décidaient du nombre de collaborateurs à affecter [Eveno, 2003 ; Schwartzenberg, 2007] pour chaque titre. Ainsi, il y eu trois fois plus d’ouvriers entre 1944 et 1985 au journal Le Monde que de journalistes.

Ils représentèrent la moitié des salariés dans une entreprise de presse quotidienne : « En 1976, Le Monde emploie 600 ouvriers sur 1200 salariés, Le Figaro 800 pour 1700 collaborateurs et France-Soir, 850 pour 1400 salariés » constate Patrick Eveno [2003]. Et même si des tensions syndicales apparaîtront au sein même de la Centrale, en miroir des évolutions techniques le plus souvent, la volonté de ne pas remettre en cause ses statuts ne fut jamais altérée.

Ceci pesa sur les comptes d’exploitation. En 1977 un ouvrier du journal Le Monde perçoit un salaire de 77 000 F, soit le double de la moyenne française pour un ouvrier qualifié. Même constat en 1999, avec 20 000 F pour trente-deux heures hebdomadaires [Eveno, 2003], quand le Smic approchait les 7 000 F pour trente-neuf heures par semaine. Et bientôt, près de 4 000 à 5 200 € par mois pour un cadre rotativiste [Schwartzenberg, 2007 ; Rocquelaurel (de), 2007], soit plus que la moyenne des journalistes. En 2005, note Patrick Eveno [(b), 2008], « la

rémunération brute mensuelle médiane est de 4 400 euros pour un ouvrier (…) et de 7 000 euros pour un cadre technique ». D’autant que le salaire de base ne fut pas la seule

composante imposée : avantages sociaux, heures supplémentaires payées de 7,5 % à 15 % de plus les deux heures de travail au Monde ou au Figaro [Schwartzenberg, 2007], organisation des absences, etc. Finalement la directrice des ressources humaines est la Centrale.

S’ajoute à ce surcoût, un sureffectif chronique. « Le plan social relatif à la réorganisation de

l'imprimerie du Monde illustre cette situation (…): il prévoit en effet le départ de 90 salariés sur un total de 400, soit près de 25 % de personnel en moins, sans réorganisation de la production ! », notait Louis de Broissia dans son rapport sur la presse [Broissia (de), 2007].

Cerise sur le gâteau qui rend cette situation pour le moins ubuesque, le salaire moyen d’un ouvrier dans l’imprimerie de labeur s’avère être réduit de moitié [Broissia (de), 2007], l’effectif nécessaire de 25 %. « Le coût d'impression, pour un travail identique, (…) provient

à 80 % des salaires dans l'imprimerie de presse (dédiée à l'impression des quotidiens), contre 35 % dans l'imprimerie de labeur (impression des magazines) » [Loridant, 2004]. Et « lorsque l'on prévoit 1,3 salarié pour un poste de travail dans la fabrication d'un magazine, il en faut deux pour un poste dans la production d'un quotidien. » [Broissia (de), 2007].

Alors certes, la modernisation du système a conduit au gré d’ajustements à la réduction du nombre d’ouvriers du Livre avec comme dernier plan en date, le fameux Recapp (Régime exceptionnel de cessation d’activité en presse parisienne) – signé en 2005 – destiné aux plus de 50 ans, qui prévoit le départ de 590 ouvriers de la presse parisienne et de 1 680 de la presse quotidienne à des conditions très avantageuses, id est le paiement jusqu’à la retraite de 65 % du dernier salaire dans la limite du plafond de Sécurité sociale, auquel s’ajoutent 50 % de ce dernier dans la limite de deux fois le plafond de Sécurité sociale, plus une indemnité dont le montant varie selon l’ancienneté, le salaire et la durée d’utilisation du plan. Mais les conséquences économiques sont déjà considérables.

À cette masse salariale disproportionnée s’ajoute l’incohérence du système industriel officiellement confirmé en 2004 par le sénateur Paul Loridant [2004] qui se demande en substance si le modèle qui consiste à avoir sa propre rotative a encore du sens, suggérant au passage la recherche de synergies entre les centres de production.

Et malgré l’empilement des rapports officiels [Loridant, 2004 ; Lancelot, 2005 ; Muller, 2005 ; Broissia (de), 2007] ainsi qu’un constat largement partagé face à la moyenne européenne observée, le différentiel de coût qu’il serait possible de récupérer est complexe à chiffrer, même si la simple réduction des effectifs d’un tiers permettrait à des titres comme Le

Figaro, Le Monde ou encore Le Parisien d’économiser « près 10 M€ par an »,

[Schwartzenberg, 2007]. Au bout du compte, la production peut représenter jusqu’à 40 % du prix de vente pour certains quotidiens [Toussaint-Dumoulin, 2006 ; Schwartzenberg, 2007]. L’imprimerie ne fut pas le seul terrain de jeu du Livre, qui envahit progressivement le réseau de distribution, et notamment les NMPP (Prestaliss), « contraintes de recruter des personnels

faiblement qualifiés, mais largement payés, car ils appartiennent au Syndicat du livre »

[Eveno, 2003]. Fondée sur un système égalitaire structuré à partir de la loi Bichet de 1947 et qui vise à assurer une égalité de traitement dans la diffusion et le retour des invendus, le réseau devint très rapidement enfermé dans cette logique au point de se transformer en service de manutention géant, encombré par des publications à faibles ventes et à fort taux d’invendus. Avec des coûts que tous les éditeurs considèrent encore comme disproportionnés, le système finit par peser sur les comptes d’exploitation, mais aussi sur les stratégies de référencement et de diffusion.

C’est ainsi que longtemps le portage n’a pas été développé pour la presse quotidienne nationale sous la volonté du Syndicat du livre [Eveno, 2003], que les tentatives de s’extraire

du réseau, comme le voulait Le Parisien en 2001, ont été contrariées par des actions tant physiques que juridiques ou encore que les éditeurs de gratuits ont vu leurs titres détruits en 2002 parce qu’ils diffusaient en dehors du réseauI-6.

Ce système érigé en forteresse a ainsi créé un réseau inefficient et surtout une impossibilité pour les firmes de maîtriser une partie de la chaîne de valeur, contraintes d’affiner leur stratégie par le biais de facteurs clés non maîtrisables.

Cette toute-puissance syndicale créa de notables problèmes de gouvernance chez les éditeurs qui finirent par piloter leurs activités dans une confrontation quasi permanente, comme en témoignent les conflits qui ont jalonné les titres [Schwartzenberg, 2007].

La charge de responsabilité est certes facile et immédiate. Pour autant, d’autres pays occidentaux connurent de tels conflits : aux États-Unis dans les années soixante et en 1978 lorsque les journaux de New York furent absents des kiosques pendant quatre-vingt-dix jours ou encore au Royaume-Uni en 1978-1979 avec le Times qui cessa de paraître pendant de long mois. Il fallut ainsi toute la ruse et la force de Rupert Murdoch soutenu par le Premier ministre Margaret Tatcher pour mettre un terme en 1985 au monopole sur le recrutement du syndicat des imprimeurs anglais en transférant son imprimerie de Fleet Street dans la banlieue de Londres [Schwartzenberg, 2007].

Mais plus que les conflits, c’est aussi la capacité de réaction des dirigeants qui est à déplorer, cette inertie pour ne pas dire cette peur ancestrale, cautionnée, voire soutenue par un État lui