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Les procédures de la théorisation ancrée

CHAPITRE 3 MÉTHODOLOGIE

3.3 Cadre méthodologique de la recherche : la théorisation ancrée

3.3.3 Les procédures de la théorisation ancrée

Dans le cadre de cette thèse, les données ont été analysées selon la méthodologie de la théorie ancrée que Glaser et Strauss (1967) définissent comme une méthode d’analyse systématique par comparaison constante. Comme le rappelle Fernet (2005), cette comparaison implique l’intégration continuelle des préoccupations de la théorie en émergence, des points d’ancrages théoriques, en donnant toutefois prépondérance aux données recueillies sur le terrain (Glaser et Strauss, 1967; Strauss, 1987; Strauss et Corbin, 1994, 1997). La théorisation ancrée propose une analyse sous l’angle d’étapes successives d’une démarche itérative plutôt que sous l’angle d’opérations multiples de codage. Cette démarche suit six grandes étapes, que nous présentons ici (Paillé, 1994). Il s’agit : 1) de la codification ; 2) de la catégorisation ; 3) de la mise en lien des catégories conceptuelles ; 4) de l’intégration ; 5) de la modélisation et enfin ; 6) de la théorisation.

3.3.3.1 Codification

L’idée de la théorisation ancrée consiste à faire émerger les cadres théoriques du matériau, en l’occurrence des propos des participantes. Le codage est le moyen par lequel l’analyse débute dès que les premières données sur le terrain sont recueillies et retranscrites ; le processus de théorisation s’enclenche alors (Ayache et Dumez, 2011). À cette étape, le travail de codification consiste à étiqueter l’ensemble des éléments présents dans le corpus initial pour y dégager les unités de sens, appelées également unités sémantiques, qui émergent des entretiens, ces dernières étant à la base de la construction des catégories conceptuelles futures (Tesch, 1990). Rappelons qu’une unité de sens est un bloc d’information, une idée, mais surtout un passage significatif qui contient de l’information, autrement dit, qui fournit ou pourrait fournir un élément de réponse aux questions de recherche du chercheur (Mottet, 2005). Si ce dernier ne sait pas exactement ce qu’il recherche, il ne saura pas de quelle façon segmenter ses données en unités de sens ni comment les coder (Mottet, 2005). Le contre- codage, que nous expliciterons plus loin, n’aura alors pas de sens, le contre-codeur ne sachant pas travailler efficacement (Van der Maren, 1996).

L’écoute des bandes audios après chaque entretien, puis une lecture intégrale des retranscriptions des verbatim, permet de réaliser une première identification des unités de sens à coder (Lamy, 2011). Ensuite, il s’agit de dégager, de nommer et de thématiser les propos développés à l’intérieur des unités de sens sur lesquels porte l’analyse, pour enfin les qualifier par des mots ou des expressions reflétant les propos de l’ensemble des informateurs (Paillé, 1994). Un code unique (mots, expression) est alors créé pour désigner le concept auquel l’unité de sens fait référence. Dès lors, il sera systématiquement utilisé pour identifier les autres unités de sens qui réfèrent au même concept qu’il qualifie (Mottet, 2005). Ainsi, durant cette phase de codification initiale, les données sont, l’une après l’autre, nommées, décortiquées, découpées, comparées et questionnées quant aux phénomènes qu’elles illustrent (Fernet, 2005; Strauss et Corbin, 1990a). Toutefois, à cette étape, le chercheur ne doit pas les interpréter, mais plutôt s’efforcer de respecter leur sens (Van der Maren, 1996). En fait, l’idée générale est de réorganiser les données en vue de « décontextualiser » le corpus pour, ensuite,

de lecture, la codification initiale des données s’accompagne néanmoins d’une réflexion théorique, mais consignée en marge sous la forme de mémos faciles à réviser ultérieurement (Laperrière, 1997). Un exemple de cette démarche de codification des entretiens est présenté au tableau III. Cet exemple provient de l’analyse de l’entrevue de Lucie.

Tableau III. Exemple de la démarche de codification d’un entretien

Extrait de verbatim Unité de sens Code d’analyse Mémos d’analyse « Au début, j'ai fait la

dépression, c’était la catastrophe. Il me fallait des

psychologues ici et par là, parce que tu es jeune, tu as deux jeunes enfants, tous le gros discours des

spécialistes pour le dire à mes enfants. Moi je leur avais dit que je ne le dirai pas, surtout que les raisons qu'ils me donnaient que ça allait me soulager puis j’ai dit que moi je ne

voulais pas me soulager sur mes enfants, je préfère garder ce secret-là, je le garderai moi-même, ils ne peuvent pas m’aider là- dedans. Puis moi j'étais convaincue, je me disais de quel droit, moi, je dois rendre difficile la vie de ces enfants-là. »

1iere unité de sens :

« Au début, j'ai fait la dépression, c’était la catastrophe. Il me fallait des psychologues ici et par là. »

2ième unité de sens

« [...] tout le gros

discours des spécialistes pour le dire à mes enfants [...]. Ce secret- là, je le garderai moi- même [...]. De quel droit, moi, je dois rendre difficile la vie de ces enfants-là. »

3ième unité de sens

« tout le gros discours des spécialistes pour le dire à mes enfants [...] les raisons qu'ils me donnaient que ça allait me soulager [...] je ne voulais pas me soulager sur mes enfants, [...] ils ne peuvent pas m'aider là-dedans.» Avant et autour du diagnostic/ désorganisation Rapport à la famille proche et élargie/non dévoilement/ pour protéger ses enfants

Expérience avec le VIH/ Interaction avec les intervenants de santé et dévoilement La désorganisation semble étroitement liée à la question du dévoilement et du bien-être des enfants Approfondir l’idée que le dévoilement du VIH peur nuire à l’enfant Les femmes semblent remettre en question l’expertise médicale concernant l’enjeu du dévoilement en lien avec l’enfant

Dans le cadre du projet de recherche dans lequel s’insère cette étude, la codification initiale a été réalisée sous ma responsabilité et sous celle d’une deuxième professionnelle de recherche. Nous avons privilégié la technique de la microanalyse, appelée aussi analyse de codage ligne par ligne (line-by-line analysis), qui consiste à examiner chaque phrase, voire chaque mot, de façon détaillée (Fernet, 2005; Strauss et Corbin, 1990a). Cette technique encourage une procédure de codage ouvert et inductif de généralisation et d’abstraction des données (Strauss et Corbin, 1998). La grille de codification (grille d’analyse) n’est donc pas définie au départ. De notre côté, nous avons préféré travailler à partir d’une grille de codification mixte. Certains thèmes/codes généraux et intermédiaires ont été ainsi préétablis à partir de données théoriques pertinentes qui provenaient de travaux scientifiques antérieurs appropriés pour l’objet de recherche du projet initial, même si la majorité des thèmes/codes retenus ont été choisis d’après les informations recueillies sur le terrain. Ici, le chercheur reconnaît les correspondances avec la liste de thèmes/codes préétablie et ajoute des codes pour chaque information nouvelle suggérée par les informateurs (Van der Maren, 1996). Cette grille a pour avantage de permettre au chercheur d’avoir des concepts de repères pour asseoir ses ancrages théoriques qui serviront à envisager l’objet d’étude, tout en laissant pleine expression aux autres thèmes/codes qui émergent des entrevues. Les premiers codes prennent souvent l’allure de thèmes généraux, tandis que les seconds renvoient davantage à des thèmes intermédiaires qui clarifient des aspects spécifiques des thèmes plus généraux. Enfin, les sous-thèmes correspondent à des idées de base, à des mots ou des segments de phrases (Van der Maren, 1996). Le chercheur ne doit jamais perdre de vue que ce sont les thèmes/codes qui s’ajustent aux données empiriques et non l’inverse, c’est-à-dire faire entrer les extraits dans des thèmes/codes préétablis (Guillemette, 2006).

Pour dégager avec le plus de précision possible les propos recueillis, nous avons eu recours à l’emploi de mots, d’expressions et parfois même de courtes phrases, qui provenaient tantôt de nous, tantôt de la collaboratrice-participante. De plus, contrairement à une certaine tradition en méthode qualitative, les extraits du corpus ont été codés dans leur entièreté, comme le proposent Manseau (1997) et Fernet (2005). Nous avons donc procédé à une codification exhaustive du matériel recueilli. Par la suite, étant donné que le travail de codification avait été

« vérification contre-codage » pour estimer la fiabilité (fidélité) et la crédibilité (validité interne) du codage initial (Van der Maren). Il s’agit de vérifier, pour chacune des unités de sens d’une portion représentative du matériel, si les deux analystes (codeurs) leur associent le même thème/code. Cette opération permet de vérifier la cohérence du codage entre deux chercheurs (Mottet, 2005). En ce qui nous concerne, le plus bas taux de correspondance observé a été 87,3 %, ce qui est considéré comme étant très satisfaisant (Van der Maren, 1996). Si certaines différences entre le codage initial et le contre-codage étaient liées à un problème de fiabilité (fidélité) dû à des circonstances accidentelles (par exemple en raison de la fatigue, d’un manque de concentration), d’autres dissemblances étaient liées à un problème de crédibilité conceptuelle (validité interne) (en raison de l’imprécision de la grille de codification). Dans ce dernier cas, nous avons revu les codes associés aux thèmes intermédiaires et sous-thèmes de notre grille de codification afin de les préciser.

Avant même de débuter l’analyse, la grille de codification du projet initial de recherche regroupait cinq thèmes/codes généraux et 31 thèmes/codes intermédiaires en lien avec l’expérience du VIH et les sphères de vie des FVVIH. Parmi ces thèmes intermédiaires, seulement cinq, regroupés sous un thème général, étaient liés, de près ou de loin, à la maternité en contexte du VIH. Dès l’analyse des premières entrevues, nous avons rapidement remarqué que la maternité constituait un événement clé qui marquait l’expérience des FVVIH à travers l’ensemble des sphères de leur vie. Cette condition s’est insérée au cœur de 12 des thèmes/codes intermédiaires déjà préétablis dans la grille de codification. Quatorze autres thèmes intermédiaires liés à la maternité ont été dégagés des entretiens, pour ne nommer que le thème de la construction sociale de la maternité en contexte du VIH.

Toutes les entrevues ont été systématiquement traitées à l’aide du logiciel Atlas/ti version 5.0 (PC), selon l’ensemble des thèmes identifiés. Ce logiciel procure un traitement accéléré des données, tout en conservant la vision globale du contexte (Fernet, 2005). Toutefois, d’aucune manière ce logiciel ne fait l’analyse et la synthèse des données à la place du chercheur. Il s’agit tout simplement d’un outil pour gérer le projet de recherche en facilitant la manipulation et le traitement des données ; Atlas/ti ne détermine pas le texte à écrire ni les opérations à effectuer, mais exécute les opérations dictées par le chercheur (Mottet, 2005).

3.3.3.2 Catégorisation

La deuxième étape de la théorisation ancrée consiste à extraire, des unités de sens générées initialement (regroupées sous des thèmes/codes), des catégories conceptuelles qui permettent une compréhension accrue du phénomène à l’étude, notamment en qualifiant l’expérience, le processus dynamique observé ou les interactions sociales (Fernet, 2005; Lévesque, 2011; Paillé et Mucchielli, 2003). Il s’agit d’initier un début d’interprétation des données en « recontextualisant » tout ce qui vient d’être segmenté, c’est-à-dire en regroupant les thèmes/codes semblables (Savoie-Zajc, 2000). Pour Paillé (1994), la catégorie conceptuelle est alors, ni plus ni moins, que l’instrument analytique qui permet au chercheur de hisser son analyse au niveau de la compréhension d’un comportement, d’un phénomène, d’un événement ou d’un élément d’un univers psychosocial.

La catégorisation s’effectue à travers deux activités principales. La première fait suite à la codification initiale. Il s’agit de dresser la liste des thèmes/codes qui ont été retenus ou formés lors de cette étape antérieure (Paillé, 1994). Tel qu’abordé antérieurement, nous avons établi notre liste de codes, dans le cadre de notre étude, en retenant uniquement ceux qui étaient liés, de près ou de loin, aux différentes sphères de vie des FVVIH en lien avec la maternité. Ensuite, nous avons passé à la deuxième activité. Celle-ci consiste en une relecture du matériel. Nous avons alors repris l’ensemble des entrevues afin de s’assurer qu’aucun thème lié à la maternité ne nous avait échappé. Le matériel portant sur la maternité qui avait déjà été codé a également été revu mais, cette fois-ci, en tentant de nommer le phénomène auquel il renvoyait de façon plus large (Laperrière, 1997; Paillé, 1994). Ainsi, l’ensemble des unités de sens contenues dans les verbatim a été regroupé sous des thèmes/codes et, parallèlement, de nouveaux codes se sont donc ajoutés à notre grille de codification de départ (tableau VI).

Tableau IV Grille de codification

EXPÉRIENCES AVEC LE VIH QUOTIDIEN AVEC LES

THÉRAPIES QUOTIDIEN D’ORDRE SOCIAL QUOTIDIEN D’ORDRE FAMILIAL ET DOMESTIQUE

QUOTIDIEN AVEC SOI- MÊME ET SON(SES)

PARTENAIRE(S) AUTOUR DU DIAGNOSTIC

• Désir d’enfant/ absence de désir • Nombre d’enfants

• Nombre d’enfant/infectés/non infectés

• Dépistage durant la grossesse • États d’âme /grossesse/enfants • Interruption/poursuite grossesse • Reconsidération projets familiaux INTERACTIONS AVEC LES INTERVENANTS DE LA SANTÉ • Représentations /risque transmission

verticale

• Nature de la prise en charge • Recommandations/grossesse ACCEPTATION/TRANSFORMATION FACE À LA MALADIE

• Enfants/famille raison de vivre • Enfants porteur d’espoir

DÉCISION D’ENTREPRENDRE OU NON UN TRAITEMENT

• Processus de décision • Motifs de la décision/ enfant TYPES DE

TRAITEMENTS/CHANGEMENTS • En prévision d’une grossesse • Nature de la HAART/ adaptée aux

besoins de l’enfant DÉBUT DU TRAITEMENT ET ADAPTATION • Difficultés vécues/préoccupations foetus • Adaptation/bienfaits fœtus • Décision du milieu médical ADHÉSION

• Adhésion/non adhésion/raisons • Adhésion optimale/ santé enfant • Répercussions familiales/ activité,

sorties ASPECTS RELATIONNELS • Formes d’isolement/ grossesse/maternité • Exclusion, discrimination/vécue, anticipée • Dévoilement/réactions entourage • Ressources/amis ASPECTS SOCIO-ECONOMIQUE • État de pauvreté/contraintes économiques • Situation confortable • Sources de revenus/ aide • Perspective d’avenir/famille ASPECTS OCCUPATIONNELS • Activités liée à la maternité/

famille

ASPECTS RELIGIEUX

• Pratiques/absence de pratiques • Pratiques religieuses/ projet de

maternité

RAPPORT À LA GROSSESSE

• Enceinte/non enceinte au moment de l’entrevue • Vécue face à la grossesse • Inquiétudes face à la grossesse/ transmission, • Décisions face à la grossesse • Réactions de la famille nucléaire • Déroulement de la grossesse • Accouchement RAPPORT À LA MATERNITÉ/RAPPORT AUX ENFANTS • Désir ou non d’être

mère/motifs • Impact du VIH • Transmission verticale • Avenir des enfants • VIH expliqué aux enfants • santé de la mère/ maladie • Suivi médical

• Partenaire/parentalité

PRÉOCCUPATIONS FACE À SON ÉTAT DE SANTÉ • Préoccupations psycho-affectives • État de santé • Mode de vie RAPPORT À SOI • Auto-identification/identité maternelle • Représentation du VIH • Représentation de la maternité RAPPORT À L’AUTRE (CONJOINT, PARTENAIRE) • Description relation/contexte,

histoire, type de relation RAPPORT À LA SEXUALITÉ/PRÉVENTION • Stratégies de protection avant/pendant/après grossesse • Planification de la grossesse • Représentation du risque transmission horizontale • Risques vs pratiques

ARRÊT DE TRAITEMENT • Refus d’arrêter/assurer rôle

maternel

• Conseil/décision du médecin • Motif d’ordre financier/subvenir

besoins enfants REPRÉSENTATIONS DU MÉDICAMENT

• Face à la vie/survie • Face à l’avenir des enfants • Sur l’organisme

• Sur santé fœtus/enfant

INTERACTIONS SOCIALES • VIH/ maternité au quotidien • Éduquer/informer

• Faire face aux préjugés CITOYENNETÉ • Trajectoire migratoire • Aspects juridiques/ démarche

enfant pays d’origine RAPPPORT AVEC LES ORGANISMES VIH/SIDA • Fréquentation/non

fréquentation/raisons

• Utilisation des services familiaux • Satisfaction/insatisfaction des

services

CONSTRUCTION SOCIALE DE LA MATERNITÉ EN CONTEXTE DU VIH

• Représentations du pays d’origine • Représentations du pays d’accueil • Mécanismes d’adaptation • Préjugés, tabous / discrimination,

exclusion RAPPORT À LA FAMILLE PROCHE ET ÉLARGIE • Dévoilement/non dévoilement/anticipation réactions famille • Soutien/ non soutien

émotif/répercussions PARTAGE, RÉPARTION DES TÂCHES • Partage/rôles sexuels • Implication équitable/non équitable • Maternage SANTÉ DE L’ENFANT • Avant et autour du dépistage de l’enfant/états d’âme • Absence dépistage/raisons • Face au VIH de l’enfant/soins, adaptation • Épisodes symptômes/maladie/états d’âmes, réactions • Début du traitement/ adaptation • Représentations du médicament donné à l’enfant

• Partage, répartition des tâches

• Préoccupations face à la santé de l’enfant • Liens avec famille proche

Au total, 92 sous-thèmes, répartis en 26 thèmes intermédiaires et cinq thèmes généraux, liés à la maternité dans le contexte du VIH ont pu être dégagés des entretiens. Ces thèmes/codes, qui constituent désormais les « noyaux de sens » de notre étude, procurent les dimensions principales et secondaires de la maternité en contexte du VIH soulevées par les participantes aux fins d’une analyse plus fine. Ils ont servi de base à l’élaboration des catégories conceptuelles (Barden, 1989).

De l’identification des « noyaux de sens » à l’élaboration des catégories conceptuelles, des mémos d’analyse écrits en marge du texte ont été utilisés. La formulation sur une base continue de mémos d’analyse a facilité l’intégration de données théoriques. Elle a aussi permis de dégager, à la lumière des assises théoriques retenues et du matériel déjà recueilli, les interprétations saillantes provenant de l’ensemble des propos (Laperrière, 1997). La majorité de nos catégories conceptuelles sont composées à la fois d’éléments théoriques de base et des dimensions qui émergent directement de la recherche sur le terrain (Strauss et Corbin, 1994, 1997).

Au début de nos analyses, les catégories conceptuelles développées correspondaient davantage à des concepts de « premier niveau », référant à des sentiments communs de certains groupes sociaux (Denzin, 1992; Denzin et Lincoln, 1994). Cependant, tout au long des relectures et des analyses, nos concepts de « premier niveau » sont passés progressivement à des concepts de « second niveau », favorisant un codage plus théorique et plus sociologique (Strauss et Corbin, 1994).

La procédure analytique par comparaison constante que nous avons privilégiée oblige un va- et-vient continuel entre l’ancien et le nouveau matériel obtenu. Pour en rendre compte, deux types d’analyses ont été privilégiés : premièrement, une analyse verticale à partir des données recueillies auprès d’un même informateur permettant d’identifier les « noyaux de sens » pour en dégager des catégories conceptuelles préliminaires ; deuxièmement, une analyse horizontale à partir d’une comparaison intersujets en termes de « noyau de sens » a permis l’élaboration de nouvelles catégories conceptuelles (Van der Maren, 1996).

La codification de nouvelles entrevues impliquait que nous tentions d’associer directement les « noyaux de sens » aux catégories conceptuelles en émergence. Par contre, lorsque les « noyaux de sens » ne s’inscrivaient pas dans les catégories conceptuelles en construction, de nouvelles catégories émergeaient et ce, jusqu’à ce que les catégories conceptuelles se précisent, se délimitent, s’organisent ou plus précisément, jusqu’à ce qu’aucune nouvelle unité de sens pour chacune des catégories conceptuelles ne permette d’établir de nouveaux liens, de nouvelles relations (Paillé, 1994). Certaines unités de sens se sont également retrouvées dans plus d’une catégorie conceptuelle, illustrant le caractère non mutuellement exclusif des données empiriques. De plus, dans le cadre de cette étude, les unités de sens n’ont pas été considérées uniquement en fonction de leur fréquence, mais également par rapport à leur capacité à fournir une interprétation clé à notre objet de recherche, comme le recommandent d’autres chercheures (Fernet, 2005; Manseau, 1990).

3.3.3.3 Mise en relation

La troisième étape de l’analyse de la théorisation ancrée consiste en un travail de construction et de consolidation des catégories conceptuelles amorcé lors de la phase d’analyse précédente (Fernet, 2005). L’objectif poursuivi est alors d’établir la nature des liens qui existent entre les catégories conceptuelles obtenues à l’étape antérieure afin de dégager et d’expliquer un phénomène, une expérience ou une trajectoire de vie (Lamy, 2011). Un nombre indéterminé de relations est susceptible d’unir ces catégories multidimensionnelles (Glaser, 1978; Paillé, 1994). Pour les découvrir, le chercheur doit non seulement s’appuyer sur les principales catégories conceptuelles obtenues à partir de ces données empiriques, mais aussi avoir recours aux publications scientifiques ; il doit explorer les théories et les données existantes sur le phénomène observé et repérer des liens similaires à l’intérieur des unités de sens qui composent ces catégories conceptuelles (Paillé, 1994). Cette étape d’analyse s’éloigne de l’induction pure de la théorisation ancrée originale pour se situer dans une logique d’abduction qui consiste à combiner de manière créative des faits empiriques avec des cadres théoriques et heuristiques de référence (Anadòn et Guillemette; Blumer, 1969; Pidgeon, 1991). Cette logique d’analyse rejoint toutefois la posture épistémologique défendue dès le début de cette

de la théorisation ancrée dont la réflexion remet en question l’induction pure pour produire une théorie (Charmaz, 2004; Deslauriers et Kérésit, 1997; Deutscher, 1984; Fernet, 2005; Hennink et al., 2011; Paillé, 1994; Paillé et Mucchielli, 2008; Pires, 1997; Savoie-Zajc, 2000; Strauss et Corbin, 1998).

Dans le cadre de cette étude, l’étape de la mise en relation s’est réalisée à travers quatre