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Maternité et VIH : évolution thérapeutique et perceptions du risque de

CHAPITRE 2 CONTEXTE THÉORIQUE ET EMPIRIQUE

2.7 Risque et médicalisation

2.7.1 Maternité et VIH : évolution thérapeutique et perceptions du risque de

Avant 1994, l’infection au VIH constituait un frein majeur au projet de maternité car il n’existait aucun traitement permettant de réduire le risque de transmission du VIH pendant la grossesse estimé à plus de 30% (Agence de la santé publique du Canada, 2010a; Ross et Morrison, 1997; Working Group on Mother-to-Child Transmission of HIV, 1995). En l’absence de traitement et de stratégies préventives, il était inconcevable qu’une femme, connaissant son statut sérologique positif, décide d’avoir un enfant. Le milieu médical se montrait alors très réticent à ce projet compte tenu de l’importance du risque de transmission (Coulon et al., 2004; Denenberg, 1993; Desclaux et Cadart, 2008). Lorsqu’une femme apprenait sa séropositivité au VIH lors du premier trimestre de la grossesse, l’avortement était prescrit par les intervenants médicaux (Henrion, 1998.). Si le statut sérologique était découvert ultérieurement, certaines grossesses étaient menées à terme en raison de la législation entourant les interruptions de grossesse (Desclaux et Cadart, 2008).

Pendant la période allant de 1988 à 1993, deux discours prédominent. Le premier, qui oppose experts et profanes, démontre un décalage entre les savoirs médicaux sur le risque biologique encouru par la mère et l’enfant et les aspirations et les comportements des femmes face à la maternité (Cadart, 2000). Le second oppose le discours médical du risque biologique à celui du risque social lié à la stérilité ou à l’absence de maternité auxquelles s’exposeraient les femmes sans enfant (Desclaux et Cadart, 2008). Les études empiriques de l’époque rapportaient un recours important à l’avortement chez les FVVIH en lien avec la connaissance

D’autres travaux, à l’inverse, rapportaient un maintien du recours à la maternité (Cadart, 2000; Sunderland, Minkoff, Handte, Moroso et Landesman, 1992), surtout dans un contexte où ces aspirations étaient exacerbées par l’obligation sociale d’avoir un enfant (Pivnick, 1994b; Toulemon, 1994). Dans tous les cas, il semble évident que le risque de transmission virale et les incertitudes concernant l’avenir de la mère « contre-indiquaient » le recours à la procréation (Desclaux et Cadart, 2008).

L’arrivée des thérapies ARV au milieu des années 1990 a permis une réévaluation du projet de maternité parmi les chercheurs et les praticiens en le jugeant comme moins dangereux. À partir de 1994, sur la base des résultats découlant d’un essai clinique mené aux États-Unis, l’« ACTG O76 », un premier virage était pris avec la démonstration de l’effet préventif de la ziduovine (AZT) (Centers for Disease Control and Prevention (CDC), 1994). Administrée à la mère au cours de la grossesse et de l’accouchement, de même qu’au nouveau-né durant les six premières semaines de vie, l’AZT réduisait le taux de transmission mère-enfant à moins de 10% (Agence de la santé publique du Canada, 2010a; Connor et al., 1994; Fiscus et al., 1996; Working Group on Mother-to-Child Transmission of HIV, 1995; Yovetich, 1999).

Suite à cet essai clinique, les trois recommandations générales suivantes ont été émises : 1) proposer le traitement de l’AZT à toutes les femmes séropositives enceintes qui, tout comme dans l’étude initiale, n’avaient pris aucun autre traitement antirétroviral, tout en présentant un nombre de cellules non infectées supérieur à 200 ; 2) faire passer un test de dépistage du VIH à toutes les femmes enceintes avec l’obtention d’un consentement éclairé ; 3) appliquer des actions de prophylaxie (césarienne, éviction de l’allaitement maternel) (Centers for Disease Control and Prevention (CDC), 1995) pour réduire les risques. Suite à la diffusion des résultats de l’essai clinique ACTG O76, l’Association médicale canadienne (AMC) et la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada (SOGC) recommandaient que toutes les femmes enceintes soient informées de l’existence du test de dépistage du VIH afin que celui-ci fasse l’objet d’un choix éclairé. Ils laissaient cependant la liberté aux provinces d’appliquer le protocole usuel de leur choix (Yovetich, 1999). À partir de cette date, au Québec, la stratégie employée a été le « dépistage systématique avec un droit de refus » pour rejoindre une plus grande proportion de femmes enceintes. Néanmoins, contrairement à d’autres provinces du

Canada qui avaient adopté cette même stratégie, le test de détection du VIH faisait l’objet d’un formulaire indépendant de celui des tests prénataux usuels afin d’assurer le consentement éclairé et le libre arbitre de la femme enceinte (Agence de la santé publique du Canada, 2010a; Yovetich, 1999).

En dépit de l’adoption de mesures préventives et la publication des résultats encourageants sur l’efficacité de l’AZT et de la prophylaxie pour prévenir la TME, des travaux révélaient que le taux de grossesses parmi ces femmes dans les pays occidentaux n’avait pas augmenté. Toutefois, l’incidence de l’interruption de grossesses volontaire avait, quant à elle, considérablement diminuée (Hankins, Tran et Lapointe, 1998). Comme le soulignent Coulon et al. (2004), les FVVIH désireuses d’entreprendre ou de poursuivre une grossesse continuaient de faire l’objet d’une forte réprobation de la part du corps médical. Trois types d’arguments reposant sur le modèle normatif du patient « responsable » étaient avancés. Tout d’abord, 1) le risque potentiel que la grossesse contribue à la progression de l’infection virale et compromette davantage la santé de la patiente en l’absence d’évidence scientifique (Alliegro et al., 1997) ; 2) les risques pour la santé de l’enfant à naître liés spécifiquement à la TME, comme une naissance prématurée et les risques iatrogènes ou tératogènes découlant du traitement (Centers for Disease Control and Prevention (CDC), 1995) et ; 3) l’incapacité de la mère à assumer ses responsabilités maternelles, que ce soit par ses incapacités fonctionnelles liées à la détérioration de son état de santé dues à la pathologie ou par son décès prématuré laissant ainsi un enfant orphelin (Sow et Desclaux, 2011).

Par ailleurs, les réticences émises par le corps médical concernant les effets à long terme encore mal connus de l’AZT sur la santé des nouveau-nés exposés in utero ou directement après la naissance compliquaient le choix de maternité des FVVIH. Plusieurs hésitaient alors à entreprendre un tel traitement (Yovetich, 1999), sans toutefois freiner leur désir de maternité (Alliegro et al., 1997). Dans l’optique d’accroître le taux d’adhésion à la thérapie ARV chez les FVVIH enceintes, plusieurs travaux de recherche insistaient sur l’importance d’éduquer et d’informer adéquatement les futures mères. Ils recommandaient aux professionnels de la santé de favoriser la confiance de leurs patientes face aux avancées thérapeutiques et d’adapter leurs

interventions en tenant compte des spécificités ethnoculturelles de leur clientèle (Healton et al., 1996).

À partir de 1996, l’apparition des combinaisons ARV hautement actives (HAART) et la possibilité de traiter la femme enceinte et le nouveau-né aux ARV (AZT, TDF, NVP, EFV, T20) (Kanniappan, Jeyapaul et Kalyanwala, 2008; Nattabi, Li, Thompson, Orach et Earnest, 2009) ont suscité un revirement des pratiques cliniques en améliorant considérablement le pronostic vital de l’infection (Abrams et Nicholas, 1998; Burr et al., 2007; Cooper et al., 2007; Kuhn et al., 1998; Meystre-Agustoni et al., 2000).

Au Canada, les recommandations officielles vont dès lors préconiser la poursuite ou l’initiation, selon le cas, d’un traitement ARV multithérapeutique chez les FVVIH et des services adéquats de counseling et de soins (Agence de la santé publique du Canada, 2010a). Actuellement, au Canada comme dans la majorité des pays industrialisés, les stratégies préventives adoptées (allaitement artificiel, combinaisons d’ARV durant la grossesse, pratique fréquente de césariennes) ont permis de réduire le taux de transmission à moins de 2% (Agence de la santé publique du Canada, 2010a, 2010b; Fowler, Lampe, Jamieson, Kourtis et Rogers, 2007; Public Health Service Task Force, 2006).

Toutefois, dans les travaux scientifiques, les grossesses sous ARV sont toujours considérées à risque et, encore aujourd’hui, la question du choix reproductif chez les FVVIH semble faire l’objet de réticences dans certains milieux médicaux (Cadart, 2000; Daar et Daar, 2006; de Bruyn et Paxton, 2005; Etiebet, Fransman, Forsyth, Coetzee et Hussey, 2004; Mantell, Smit et Stein, 2009; Turan, Miller, Bukusi, Sande et Cohen, 2008). Desclaux et Cadart (2008) montrent que l’impact des ARV sur les professionnels de la santé se caractérise par une redéfinition du risque davantage centré sur l’impact de ces traitements pour l’enfant à naître que sur la TME, bien que leurs répercussions sur le développement et la santé du nouveau-né restent peu documentées.

Dans l’élaboration thérapeutique du plan médical de la FVVIH désireuse d’avoir un enfant, les professionnels de la santé doivent toutefois évaluer le rapport « risque-bénéfice » de la prise d’ ARV tant pour la mère que pour l’enfant mais aussi pour la santé collective, même si ce

rapport joue plutôt en faveur de l'initiation immédiate d'une prophylaxie ARV (Calvez, 2004; Le Centre pour la Santé et Éducation des femmes, 2012). Cette situation se traduit par des incohérences entre la théorie et la pratique tant au niveau de la pratique médicale que des conduites individuelles des FVVIH.