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Procédure de validation d’un modèle cinématique de l’épaule

II. Revue de littérature

1. Estimation de la cinématique articulaire du complexe de l’épaule

1.6 Procédure de validation d’un modèle cinématique de l’épaule

La validation peut être définie comme le processus permettant d'évaluer la justesse d’un modèle, c’est-à-dire sa capacité à prédire certaines variables d'intérêt en comparaison à une mesure de référence (Lund, de Zee, Andersen et Rasmussen, 2012). Cette étape est donc cruciale avant d’utiliser un modèle pour une analyse cinématique et elle nécessite que l’objectif du modèle soit clairement énoncé.

Dans ce travail de doctorat, le but du modèle est de décrire les mouvements articulaires du complexe de l’épaule lors d’activités manuelles. Les mouvements à réaliser durant le protocole expérimental de validation devraient être de même nature que ceux qui seront plus tard étudiés avec ce modèle. Il faut noter que ce processus ne permet pas de valider un modèle en dehors du champ pour lequel il a été développé. Procéder par extrapolation vers d’autres mouvements n’est pas envisageable, car une nouvelle validation devrait alors être requise.

D’où la nécessité de caractériser les applications potentielles du modèle cinématique avant le processus de validation.

Les rares études qui décrivent un processus de validation de leur modèle d’épaule, comparent les erreurs générées par la modélisation cinématique sur des mouvements fonctionnels simples comme les élévations du bras dans un plan (Bourne et al., 2009; Hamming et al., 2012; Karduna et al., 2001; Seth et al., 2016). Or les activités manuelles rencontrées sur de nombreux lieux de travail sont des tâches complexes qui sollicitent de nombreuses articulations dans plusieurs plans de l’espace. À notre connaissance, il n’existe pas de validation d’un modèle cinématique de l’épaule au cours de tâches nécessitant des mouvements complexes. En ce sens, le modèle que nous souhaitons développer est novateur pour le domaine de la biomécanique occupationnelle. Pour mener à bien le processus de validation d’un modèle cinématique, il est nécessaire d’inclure deux préalables qui sont abordés dans les deux prochaines sections. Le premier concerne la sélection d’une variable expérimentale de référence et le choix d’un dispositif pour la mesurer (section 1.6.1). Le second est d’identifier le type de comparaison à effectuer entre la variable prédite par le modèle et la variable expérimentale de référence (section 1.6.2).

1.6.1 Variables expérimentales de référence

Le processus de validation s’opérationnalise à partir de mesures directes ou indirectes (Nigg et Herzog, 2007). La validation par mesure directe est envisageable lorsqu’il est possible de mesurer expérimentalement une variable qui sera prédite par un modèle. Dans le cas d’un modèle cinématique du complexe de l’épaule, les variables d’intérêts représentent souvent les angles sterno-claviculaires, acromio-claviculaires, scapulo-thoraciques, gléno- huméraux ou thoraco-huméraux. On peut mesurer in vivo la cinématique tridimensionnelle de l’épaule en dynamique au moyen des positions de marqueurs placés sur des tiges intra- corticales vissées dans les os ou avec la fluoroscopie bi-planaire (Cappozzo et al., 1996; Dal Maso, Blache, Raison, Lundberg et Begon, 2015). Les mesures in vivo sont difficiles à mettre en œuvre de par leur caractère invasif. Toutefois, comparer directement les mesures de la cinématique osseuse de l’épaule avec les variables estimées demeure le « gold standard » pour

évaluer l’erreur d’un modèle cinématique (Bourne et al., 2007; Karduna et al., 2001; Seth et al., 2016).

Dans certains cas, une validation d’un modèle par des mesures indirectes est crédible de deux manières. La première consiste à collecter une variable qui n’est pas directement impliquée dans la modélisation mais qui a une influence connue sur la justesse du modèle. Il faut aussi que cette variable soit mesurable durant l’expérimentation. Pour la seconde, certains auteurs utilisent le « Scapula Locator » (Michaud et Begon, 2016; Prinold et Bull, 2014; Prinold, Shaheen et Bull, 2011). Cet outil permet de mesurer statiquement les orientations des os du complexe de l’épaule avec une incertitude équivalente à 2° (De Groot, 1997; Prinold et al., 2011). Dans la mesure où la différence entre la valeur réelle et celle obtenue avec cet outil est connue, un modèle destiné à prédire les orientations statiques de ces os peut indirectement être validé par cet outil.

Nous retiendrons que la validation par des mesures directes des variables de référence est la meilleure option possible pour évaluer l’estimation des angles sterno-claviculaires, acromio-claviculaires, scapulo-thoraciques, gléno-huméraux et thoraco-huméraux. La manière appropriée pour comparer les prédictions d’un modèle à des mesures expérimentales de référence doit alors être déterminée.

1.6.2 Type de comparaison

La comparaison entre la variable estimée et la référence est soit de nature qualitative, soit quantitative (Henninger, Reese, Anderson et Weiss, 2010; Oberkampf et Barone, 2006). C’est ce que l’on appelle la mesure de validation, c’est-à-dire la mesure de la justesse du modèle. La mesure de validation qualitative fournit une information simplifiée des comparaisons entre l’estimation du modèle et les résultats expérimentaux (Anderson, Ellis et Weiss, 2007). A partir de la prédiction du modèle, on peut en déduire un sens général. La validation par des méthodes qualitatives caractérise la justesse d’un modèle à prédire une variable d’intérêt comme étant « bon », « mauvais », ou « très mauvais ». C’est seulement lorsque les résultats sont le reflet de peu de données que les validations avec une approche qualitative sont envisageables. Par ailleurs, la validation quantitative est requise dès lors qu’il

est possible de définir des critères objectifs pour comparer la différence entre une variable d’intérêt prédite et une variable expérimentale. On obtient une valeur numérique qui devient interprétable. Traditionnellement, l’erreur quadratique est employée pour évaluer l’incertitude d’un modèle. L’erreur quadratique moyenne apparait comme l’alternative quantitative la plus répandue en biomécanique (Bourne et al., 2009; Karduna et al., 2001; Lempereur, Brochard, Leboeuf et Rémy-Néris, 2014; Prinold et al., 2011).

Pour la validation directe du mouvement des os, nous soulignons l’intérêt d’utiliser pour le modèle de référence un dispositif permettant d’obtenir les positions de marqueurs passifs fixés sur des tiges intra-corticales collectées par un système optoélectronique (Bourne et al., 2007; Karduna et al., 2001). L’incertitude associée aux mesures à partir de ce dispositif est faible (Dal Maso et al., 2014). La mesure de référence est donc plus proche de la réalité, ce qui rend le processus de comparaison pour la validation du modèle cinématique plus pertinent. Ce dispositif d’acquisition mis à profit pour cette collecte offre la possibilité de mettre en œuvre et tester un modèle permettant la mesure de la cinématique articulaire à partir de marqueurs externes non invasifs. En ce qui concerne le processus de comparaison entre les variables expérimentales de référence et les variables prédites par un modèle cinématique, l’erreur quadratique est un type de comparaison quantitatif intéressant car il permet une mesure de l’incertitude associée à chaque axe de rotation. Enfin, les mouvements à réaliser lors du protocole de validation du modèle se doivent d’être en adéquation avec les mouvements complexes que l’on souhaite étudier.

Pour conclure cette première partie de la revue de littérature, nous retiendrons que les modèles en chaîne cinématique sont susceptibles de pouvoir fournir une cinématique articulaire personnalisée à condition de définir les degrés de liberté de chaque articulation et d’utiliser des méthodes qui mettent à l’échelle les paramètres articulaires. Une chaîne cinématique ouverte allant du thorax jusqu’au bras actionnée par douze degrés de liberté en rotation est une option pour la définition de la chaîne proposée afin d’améliorer la mesure de la cinématique articulaire de l’épaule (Jackson et al., 2012). Un point entre la scapula et la surface de glissement thoracique est la forme de contact à privilégier pour l’implémentation d’une fermeture de boucle cinématique (Maurel, 1999). Cette dernière est essentielle au réalisme et à la bio-fidélité du modèle de l’épaule (Michaud et Begon, 2016). Utiliser des

méthodes fonctionnelles pour estimer les paramètres articulaires du modèle cinématique devrait permettre de personnaliser ces derniers (Ehrig et al., 2006; Michaud et Begon, 2016). Le modèle de Jackson et al., (2012) en chaîne cinématique ouverte a théoriquement les mêmes fonctions qu’un modèle en chaîne fermée mis à part qu’il permet des orientations scapulaires non physiologiques. Toutefois, la justesse des estimations de la cinématique du complexe de l’épaule par ce dernier modèle et par un autre modèle en boucle fermée utilisant un point de contact scapulo-thoracique n’a jamais été comparée à une référence qui utilise une mesure directe du mouvement des os. La précision de ces deux techniques par rapport à une référence reste donc à être évaluée. Aujourd’hui aucune des techniques non invasives n’est entièrement satisfaisante pour mesurer la cinématique de la scapula car il est encore ordinaire d’observer des erreurs quadratiques moyennes supérieures à 15° sur chaque axe de rotation (Lempereur, Brochard et Remy-Neris, 2011). Avant de se lancer dans l’analyse cinématique de tâches manuelles, le processus de validation du modèle est une étape importante à ne pas négliger. Ce processus s’opérationnalise dans le meilleur des cas par la comparaison quantitative, exprimée en terme d’erreur quadratique entre les angles articulaires du complexe de l’épaule prédits par le modèle et les angles issus d’un modèle de référence qui utilise comme données d’entrées les positions de marqueurs fixés sur des tiges intra-corticales.

L’hypothèse est qu’un modèle multi-corps avec une fermeture de boucle scapulo- thoracique génère moins d’erreurs dans l’estimation de la cinématique articulaire de l’épaule en comparaison à un modèle en boucle ouverte. Pour une application en biomécanique occupationnelle de cette estimation, la limite acceptable est d’obtenir des erreurs équivalentes à celles qui existent déjà dans la littérature clinique récente (Tableau 1).

Le premier sous-objectif est de développer un modèle cinématique de l’épaule à partir des travaux de Jackson et al., (2012), en y ajoutant une fermeture de boucle cinématique à l’articulation scapulo-thoracique. Le but est d’évaluer les erreurs sur les angles articulaires issus de modèles avec et sans fermeture de boucle en comparaison à un modèle de référence issu de mesures invasives.

2 Analyses cinématiques du complexe de l’épaule en

biomécanique occupationnelle

Traditionnellement, les analyses qui étudient l’épaule en biomécanique occupationnelle s’appuient sur des mesures statiques du mouvement. En ce qui concerne les tâches de lever au- dessus du niveau des épaules, la plupart des études se sont intéressées à l’activité EMG, à la force ou au travail musculaire (Blache, et al., 2015; Desmoulins, Michaud, Allard, Plamondon et Begon, 2014; Dickerson, Meszaros, Cudlip, Chopp-Hurley et Langenderfer, 2015; Sood, Nussbaum et Hager, 2007; Yoon, Shiekhzadeh et Nordin, 2012). Rares sont celles qui se sont uniquement focalisées sur les paramètres cinématiques lors de ce type d’activité. Il est judicieux de mener une analyse cinématique de tâches manuelles dans la mesure où les mouvements du complexe de l’épaule sont peu étudiés de façon détaillée. Cette seconde partie de revue de littérature se scinde en trois sous-parties. La première présente les paramètres cinématiques généralement utilisés pour comprendre le fonctionnement de l’épaule en mouvement (sous-partie 2.1). La seconde fait un inventaire des modifications des mouvements articulaires de l’épaule sous l’influence des facteurs liés à la tâche : la hauteur et la force manuelle (sous-partie 2.2). Enfin, la troisième se consacre à une technique d’analyse statistique appliquée à l’étude du mouvement : l’analyse en composante principale (ACP) (sous-partie 2.3).