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V. Discussion

5. Limites et perspectives

L’intérêt de cette thèse est d’amener des connaissances biomécaniques sur le fonctionnement du complexe de l’épaule afin de pouvoir améliorer la prévention des blessures aux épaules. L’idée est d’éventuellement repérer les mouvements articulaires susceptibles de provoquer des TMS lors de tâches en manutention où des effets de hauteur d’agencement et de masse de charge interagissent. Face à ces intentions, des limites expérimentales liées à l’utilisation de l’ACP et liées à la modélisation sont à développer. Ces limites permettent cependant de proposer de nouvelles perspectives pour de futures investigations. C’est l’objet des deux sections suivantes.

5.1 Limites des études

Les participants impliqués dans cette étude sont tous des hommes, sans expérience en manutention. Même si cela n’a pas été vérifié, les sujets de cette étude étaient en bonne condition physique. Les résultats obtenus se limitent à cet échantillon. Cependant, ce groupe d’individus est assez représentatif des jeunes travailleurs qui sont embauchés sans qualification particulière dans divers secteurs du marché du travail. Même si les données n’ont pas été utilisées dans ce travail de doctorat, de nouveaux sujets ont réalisé ce protocole. Désormais, les participants remplissent avant l’expérience le questionnaire DASH15 afin d’évaluer les incapacités reliées à une atteinte aux membres supérieurs et le questionnaire d’échelle dorso-lombalgique du Québec16 pour contrôler s’ils n’ont pas de blessures au dos.

Une limite à mentionner concerne la représentation des mouvements du tronc dans ce travail. Les angles thoraco-pelviens observés ne correspondent pas tout à fait aux angles articulaires généralement étudiés dans la littérature en biomécanique occupationnelle. Dans la mesure où la méthode SCoRE est appliquée pour localiser le centre articulaire entre notre segment pelvis et le segment thorax, le centre articulaire est situé dans l’abdomen alors qu’il est généralement situé le long de la colonne vertébrale (Marras et al., 1993). De surcroît, les travaux de Burgess et al (2009) montrent qu’il est plus pertinent d’analyser les mouvements du rachis à partir d’un modèle multi-segmentaire du tronc. Cependant, ce travail de doctorat est

15 Acronyme qui provient de l’anglais : « Disabilities of the Arm, Shoulder and Hand » 16 Traduit de l’anglais : « Quebec back pain disability scale »

focalisé sur l’analyse des mouvements articulaires du complexe de l’épaule même si, afin d’avoir une vision plus globale des mouvements de lever, nous avons également étudié les mouvements thoraco-pelviens. À notre connaissance, aucune étude n’a comparé les cinématiques obtenues avec une approche similaire à la nôtre et une approche traditionnelle. Au regard de cette limite, les résultats de cette thèse qui concernent la cinématique thoraco- pelvienne sont donc à prendre avec précaution.

Une autre limite est de réussir à intégrer avec précision l’anthropométrie du complexe de l’épaule dans le modèle. L’anthropométrie des participants est intégrée dans le modèle proposé au moyen d’une approche fonctionnelle pour l’estimation des centres articulaires. Les longueurs segmentaires, propres à chaque participant, sont définies comme la distance entre deux centres articulaires. Pour localiser le centre articulaire gléno-huméral par exemple, on peut tout aussi bien l’estimer à l’aide d’une approche prédictive, à partir d’un modèle de régression qui utilise la position de marqueurs placés sur des repères osseux palpables (Meskers et al., 1997). Des approches prédictives existent également pour localiser les centres articulaires sterno-claviculaire et acromio-claviculaire (Van der Helm, 1997; Wu et al., 2005). Un article récemment publié par le laboratoire S2M montre que ces dernières méthodes sont plus précises que la méthode SCoRE utilisée dans nos travaux (Michaud et al., 2016). Les analyses cinématiques de cette thèse avaient déjà été effectuées lorsque nous avons pris connaissance des comparaisons réalisées par Michaud et al., (2016). Bien que cette nouvelle alternative soit prometteuse, la méthode fonctionnelle SCoRE est également « sujet- spécifique » et fournit une estimation raisonnable du centre de rotation des articulations sphéroïdes à trois degrés de liberté (Ehrig et al., 2006).

Dans la revue de littérature de Yang et al., (2010) sur les modèles biomécaniques du complexe de l’épaule, les auteurs énoncent la principale limite propre aux modèles avec une fermeture de boucle cinématique scapulo-thoracique. Ils se posent la question de savoir quel est l’ajustement des dimensions de la cage thoracique qui est le plus représentatif de chaque individu ? Car chaque participant a des dimensions du torse qui lui sont propres. Le modèle avec fermeture qui est développé dans cette thèse amorce un début de réponse. En effet, dans la continuité de travaux menés au laboratoire S2M, l’identification des paramètres géométriques de l’ellipsoïde est réalisée au moyen d’une méthode fonctionnelle. En effet, c’est

l’objet de travaux de recherches de Michaud et Begon, (2016) qui ont récemment été menés et qui trouvent ici une application. Leurs travaux rapportent que l’ellipsoïde déterminé à partir d’un enregistrement en statique des trajectoires de marqueurs placés sur un bandage passant par-dessus la scapula et un ellipsoïde définis fonctionnellement sont deux méthodes qui améliorent l’estimation des mouvements scapulaires. Ainsi le réalisme de la modélisation du plan de glissement scapulo-thoracique est amélioré.

L’ACP est une analyse statistique multivariée, elle est généralement conduite avec de grands échantillons d’individus. Dans notre cas, une quinzaine de sujets ont participé à l’expérimentation. Ce nombre peut sembler insuffisant au regard de la centaine de participants qui est souvent retenue pour ce type d’analyse (Raskin et Terry, 1988). Toutefois, l’ACP a déjà été largement utilisée pour des groupes d’une trentaine, voire d’une dizaine de sujets dans de nombreuses études en biomécanique, publiées de surcroit dans des journaux spécialisés comme « Journal of Biomechanics » ou encore « Clinical Biomechanics » (Federolf et al., 2013; Forner-Cordero, Levin, Li et Swinnen, 2005; Nguyen et Reynolds, 2009; Olney et al., 1998).

Malgré la volonté d’exhaustivité de notre travail de recherche, il demeure perfectible et les limites que nous avons relevées en sont des exemples. Néanmoins le réalisme du modèle S2M_Mod_BF a été quantifié et les résultats obtenus permettent de mettre en évidence diverses modifications cinématiques liées aux effets de hauteur de saisie \ dépôt et de masse de la charge qui interagissent lors des tâches de lever.

5.2 Perspectives et travaux futurs

L’ensemble des résultats recueillis dans cette thèse ne peuvent pas être étendus par extrapolation à une population de travailleurs en activité professionnelle. Une raison est que l’environnement de la collecte des données est un laboratoire d’analyse du mouvement et non un réel lieu de travail. L’environnement en laboratoire est éloigné des contraintes réelles du milieu professionnel ce qui rend nos résultats difficilement exploitables dans un environnement de travail. De nouvelles prises de mesures et analyses, menées cette fois-ci sur un lieu d’activités professionnelles, pourraient permettre de confirmer les mêmes hypothèses

émises aujourd’hui dans nos travaux. Ceci dans le but de repérer des indicateurs pertinents caractéristiques des mouvements de lever de charge en hauteur au travail.

Une autre perspective permettant d’approfondir la connaissance des techniques de lever de charge en hauteur, serait d’établir des comparaisons entre diverses populations. Des études visant à améliorer la prévention des maux de dos ont notamment mis en évidence des différences de techniques de manutention entre des novices et des experts (Gagnon, 2005; Lee et Nussbaum, 2012; Plamondon et al., 2010; Plamondon, Larivière, et al., 2012). Il serait opportun de se pencher cette fois-ci sur ces différences dans le but de réduire les forces en compression et en cisaillement appliquées aux articulations de l’épaule lors de manutention en hauteur. Les femmes représentent parfois la moitié de la main d’œuvre dans des secteurs comme l’alimentation et les services (Plamondon et al., 2012). Il est généralement admis que les femmes ont une force musculaire aux épaules équivalente à deux tiers de celle des hommes (Chaffin et al., 1999). Au moyen de plusieurs études épidémiologiques, Hooftman, Van Der Beek, Bongers et Van Mechelen, (2009) concluent que la population féminine a plus de risques que les hommes de développer des blessures dans la région du cou et des épaules. Peu d’études permettent de dégager des recommandations spécifiques aux travaux en hauteur qui réduiraient l’exposition physique des femmes et des novices. Afin d’améliorer la prévention des TMS, pouvoir comparer les techniques de manipulation d’objets de populations de novices et d’experts, d’hommes et de femmes sur leurs lieux de travail reste une piste prometteuse afin d’approfondir la compréhension des techniques de lever de charge en hauteur.

À ce jour aucune étude ne s’est intéressée à la force de réaction appliquée aux articulations de l’épaule dans le but de différencier des tâches de levers de charge impliquant des hauteurs importantes. D’autres études par contre montrent que différentes stratégies cinématiques lors de levers de charge pouvaient avoir un impact significatif sur les forces de compression à l’articulation entre la cinquième vertèbre lombaire et la première vertèbre sacrée qui est un indice du chargement lombaire (Faber et al., 2007; Gagnon, 2005). La question est de savoir si lorsque la masse de charge augmente, les nombreux ajustements cinématiques qui ont été identifiés ont une influence sur la force de réaction appliquée aux épaules. Une analyse par dynamique inverse permettrait de connaître les efforts internes appliqués aux épaules et aiderait à la compréhension de l’impact de tels modes opératoires

adoptés pour les caisses les plus lourdes. Est-ce que ces stratégies cinématiques permettent réellement de diminuer le chargement aux épaules et donc de réaliser un geste plus sécuritaire avec une charge plus lourde ? Est-ce que ces ajustements n’entraînent pas une compensation plus importante au niveau du dos, même pour des tâches de levers en hauteur qui a priori sollicitent davantage les épaules ? Ces questions sont importantes et ouvrent de nouveaux champs d’expérimentation possibles. Les objectifs de futurs travaux seraient ainsi de vérifier dans quelle mesure les ajustements provoqués par l’augmentation de la masse de charge influencent le chargement aux épaules et au dos.