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L’ AVANT PROCÈS , UNE PHASE STRICTEMENT ENCADRÉE PAR LES EXIGENCES EUROPÉENNES DU PROCÈS ÉQUITABLE

PRÉSENCE DU JUGE DE L ’ AVANT PROCÈS

L’ AVANT PROCÈS , UNE PHASE STRICTEMENT ENCADRÉE PAR LES EXIGENCES EUROPÉENNES DU PROCÈS ÉQUITABLE

Avec l’émergence d’un modèle européen très influent et en partie universel du procès équitable, les systèmes procéduraux germanique et français se rejoignent sur les principes directeurs et garanties procédurales des libertés fondamentales en vigueur tout en gardant certaines « disparités ».543 Et c’est ce socle commun qu’il convient maintenant d’évoquer.

Le principe du procès équitable peut-être ici considéré comme le point départ duquel découlera l’ensemble des garanties particulières de l’individu.544 Pour reprendre les termes de Cour fédérale Constitutionnelle allemande : le droit à un procès équitable garantit « au prévenu, qui dans l’État de droit de la Loi Fondamentale [allemande, abrégée GG] ne saurait être dégradé au statut de simple objet de la procédure, l’existence nécessaire de prérogatives juridiques procédurales actives afin qu’il puisse influer sur le cours et le résultat de la procédure pénale pour préserver et faire valoir ses droits ».545 Si ce principe trouve sa plus forte application au cours du procès principal, il lie également les autorités de poursuite au stade de l’enquête et protège ainsi le prévenu comme les autres participants à la procédure, en rééquilibrant les forces en présence pour rechercher une « certaine » égalité des armes procédurales.546 La garantie du procès équitable est somme toute un principe régulateur au

543 Sont ici reprises les constations générales établies pour les divers modèles procéduraux européens à l’issue du colloque « Unité et diversité », v. JUNG, Heike et al., « Einheit und Vielfalt », GA, 2003, art. cit., p. 383-394. 544 Dans ce sens not. du côté allemand: ROGALL, Klaus, « Vor § 133 StPO », dans Systematischer Kommentar (abrégé SK) zur Strafprozessordnung, 2016, p. 1392, n° 103 ; ENGLÄNDER, Armin et VOLK, Klaus, Grundkurs StPO, op. cit., § 9, n° 29, qui sans le dire explicitement part ici du principe d’équité avant de le diviser en plusieurs sous- garanties. Du côté français v. p. ex. PRADEL, Jean, Procédure pénale, op. cit., p. 70-71, n° 43 ; du même auteur, Droit pénal européen, Paris, Dalloz, 2009, n° 371.

545 De l’allemand „[Der Anspruch auf ein faires Verfahren sichert] dem Beschuldigten, der im Rechtsstaat des Grundgesetzes nicht bloßes Objekt des Verfahrens sein darf, den erforderlichen Bestand an aktiven verfahrensrechtlichen Befugnissen, damit er zur Wahrung seiner Rechte auf den Gang und das Ergebnis des Strafverfahrens Einfluss nehmen kann“, v. BVerfG, déc. du 12.01.1983 - 2 BvR 864/81, reproduite dans NStZ, 1983, p. 273-276, spéc. 273 ; dans le même sens égal. BVerfG, déc. du 19.10.1977 - 2 BvR 462/77, reproduite dans NJW, 1978, p. 151-152 (BVerfGE 46, 202, 210).

546 BVerfG, déc. du 08.10.1974 - 2 BvR 747/73, reproduite dans NJW, 1975, p. 103-105 ; KÜHNE, Hans-Heiner, « Einl. Abschn. I », dans LÖWE/ROSENBERG, Strafprozeßordnung und das Gerichtsverfassungsgesetz: Großkommentar (abrégé LR26), 2006, p. 305, n° 117 ; ENGLÄNDER, Armin et VOLK, Klaus, Grundkurs StPO, op. cit., p.

50, § 9, n° 29 ; ROGALL, Klaus, « Vor § 133 StPO », dans SK, art. cit., p. 1392, n° 103 ; ROXIN, Claus et al., Strafverfahrensrecht, op. cit., chap. 2, § 11, n° 7, qui souligne qu’il ne s’agit pas ici d’une égalité des armes stricto sensu. Celle-ci ne serait pas en accord avec le système allemand qui, e. a., ne considère pas le ministère public

sens juridique du terme qui tend à l’optimisation maximale des valeurs constitutionnelles.547 Dans son contenu, ce droit se décompose en diverses sous-garanties procédurales spéciales.548 Il convient donc de revenir plus en détail sur chacune des concrétisations de cette règle générale d’équité en faisant notamment ressortir son champ d’application au cours de l’avant-procès. Sera d’abord examinée la présomption d’innocence, composante cruciale du principe d’équité549 (§ 1) pour en arriver ensuite aux principes de dignité de la personne, de loyauté et de proportionnalité (§ 2) avant de revenir sur les différents aspects de la règle d’équité (§ 3).

§ 1. La présomption d’innocence

La procédure pénale est tout d’abord marquée de manière décisive par la présomption d’innocence, ancrée aux art. 6.2 CESDH et 14 al. 2 du pacte relatif aux droits civils et politiques, selon laquelle « toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ».550 Elle apparaît en France dans de nombreux textes, dont la DDHC (art. 9) par exemple, et fut finalement introduite dans l’art. préliminaire du Code de procédure pénale en 2000.551 Le Conseil Constitutionnel lui a reconnu valeur constitutionnelle.552 En Allemagne, cette règle n’est certes pas reprise explicitement par les textes de loi, mais sa valeur constitutionnelle est reconnue unanimement ; elle est perçue comme une modalité du principe de l’État de droit et trouve son fondement constitutionnel

comme une « partie au procès » à proprement parler. Roxin préfère ainsi parler d’une « balance procédurale ».V. du côté français not. PRADEL, Jean, Procédure pénale, op. cit., p. 70-71, n° 43.

547 STEINER, Dirk, Das Fairneßprinzip im Strafprozeß, Frankfurt am Main [e.a.], Peter Lang, 1995, p. 140 et s. ; ROXIN, Claus et al., Strafverfahrensrecht, op. cit., chap. 2, § 11, n° 5.

548 ROGALL, Klaus, « Vor § 133 StPO », dans SK, art. cit., p. 1392, n° 103 ; PRADEL, Jean, Procédure pénale, op. cit., p. 70-71, n° 43.

549 V. p. ex. BGH, déc. du 29.04.2009 - 1 StR 701/08 (BGHSt, 53, 305), reproduite dans NJW, 2009, p. 2463-2468, ici spéc. p. 2466, n° 36 ; v. sur l’interdépendance de la présomption d’innocence et du principe d’équité au niveau français not. GUINCHARD, Serge et BUISSON, Jacques, Procédure pénale,op. cit., p. 442‑443, n° 487 ; PRADEL, Jean, Procédure pénale, op. cit., p. 89, n° 55.

550 ROGALL, Klaus, « Vor § 133 StPO », dans SK, art. cit., p. 1369, n° 74 ; pour une étude comparé et détaillée sur le plan historique, se rapporter not. à l’ouvrage de STUCKENBERG, Carl-Friedrich, Untersuchungen zur Unschuldsvermutung, Berlin [e.a.], de Gruyter, 1998.

551 Art. prélim. III, al. 1 CPP ; PRADEL, Jean, Procédure pénale, op. cit., p. 88‑89, n° 55 ; GUINCHARD, Serge et BUISSON, Jacques, Procédure pénale, op. cit., p. 442, n° 485.

552 CC, déc. du 19-20.01.1981, n° 80 D.C., ici spéc. al. n° 37 (où cependant l’art. 9 D.D.H.C. n’est pas visé) ; CC, déc. du 08.07.1989, n° 89-258 D.C., ici spéc. al. n° 10 ; CC, déc. du 02.02.1995, n° 95-360 D.C., ici spéc. al. n° 5,v. à ce propos not. RENOUX, Thierry Serge, « Constitutionnalité de la loi relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile pénale et administrative, et extension implicite de la compétence des juges uniques », Rec. Dal., n° 16, 1997, p. 130.

dans les art. 2 al. 1 et 20 al. 3 (parfois combinés avec l’art. 1, al. 1) de la Loi Fondamentale allemande.553

Les conséquences juridiques et la portée exacte de ce principe sont – exception faite, à supposer qu’elle fasse partie de la présomption d’innocence, ce que certains auteurs allemands dénient avec des arguments convaincants,554 de la règle in dubio pro reo,555 dont les modalités d’application font consensus – loin d’être univoques ; et nombreuses sont les interprétations et conceptions sur la question. Ainsi n’existe-t-il pas réellement d’instructions fermes et précises dans le sens d’interdictions ou d’obligations particulières qui résulteraient du principe.556 Une chose est sûre, la présomption d’innocence est une condition nécessaire de la sincérité et de l’ouverture du processus décisionnel et vaut en principe jusqu’à l’achèvement de la procédure pénale.557

Si le destinataire de cette règle est en première ligne le législateur,558 elle lie pour une part importante également le juge pénal, tenu d’orienter la pratique de sa profession à celle-

553 V. e. a. BVerfG, déc. du 14.01.2004 - 2 BvR 564/95 (BVerfGE 110, 1, spéc. 22 et s.), reproduite dans NJW, 2004, p. 2073-2079, ici p. 2076; BVerfG, déc. du 29.05.1990 - 2 BvR 254/88, 2 BvR 1343/88 (BVerfGE 82, 106, spéc. 114), reproduite dans NJW, 1990, p. 2741- 2744, ici spéc. p. 2741 ; BVerfG, déc. du 26.03.1987 - 2 BvR 589/79 e. a. (BVerGE 74, 358, spéc. 370 et s.), reproduite dans NJW, 1987, p. 2427-2429, ici spéc. p. 2427-2428. V. pour une vue d’ensemble sur la question not. STUCKENBERG, Carl-Friedrich, Untersuchungen zur Unschuldsvermutung, op. cit., p. 48 et s.

554 En ce sens et exposant égal. les diverses opinions de la doctr. allemande à ce sujet avec de nombreuses réf. not. ibid., p. 98-100.

555 SCHENIQUE, Laurie, La réforme de la phase préparatoire du procès pénal, op. cit., p. 271 ; ROGALL, Klaus, « Vor § 133 StPO », dans SK, art. cit., p. 1370, n° 74 ; KÜHNE, Hans-Heiner, Strafprozessrecht, op. cit., p. 620 et s. n° 955

et s. ; STUCKENBERG, Carl-Friedrich, Untersuchungen zur Unschuldsvermutung, op. cit., p. 98 et s.

556 STUCKENBERG, Carl-Friedrich, Untersuchungen zur Unschuldsvermutung, op. cit., p. 578 ; WINZER, Stephanie, Der Vollzug der Untersuchungshaft nach dem niedersächsischen Justizvollzugsgesetz, Göttingen, Univ.-Verl. Göttingen, 2010, p. 116.

557 V. du côté allemand not. BVerfG NJW, p. 1990, ici spéc. p. 2741 (v. réf. exactes en n. 555) ; BVerfG NJW, 1987, ici spéc. p. 2427-2428 (v. réf. exactes en n. 555) ; du côté français, CC, déc. du 20.01.1981, n° 80-127 DC, Loi sécurité et liberté, publiée au JO du 22.01.1981, p. 308 ; au niveau européen, v. p. ex. CEDH, déc. du 25.03.1983, n° 8660/79, Minelli c. Suisse, spéc. n° 30 : « Aux yeux de la Cour, l’article 6 § 2 (art. 6-2) régit l’ensemble de la procédure pénale, indépendamment de l’issue des poursuites, et non le seul examen du bien-fondé de l’accusation » de même que CEDH, « Guide sur l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, droit à un procès équitable (volet pénal) », 31 décembre 2018, p. 56 et s., n° 295 et s., ici spéc. n° 296 et 297, en ligne : <https://www.echr.coe.int/documents/guide_art_6_criminal_fra.pdf>, consulté dernièrement le 26.04.2019. Dans la doctr. à ce propos e.a. WINZER, Stephanie, Der Vollzug der Untersuchungshaft, op. cit., p. 116 ;

KÜHL, Kristian, Unschuldsvermutung, Freispruch und Einstellung, Koeln, Heymann, 1983, p. 11 ; STUCKENBERG, Carl- Friedrich, Untersuchungen zur Unschuldsvermutung, op. cit., p. 61 concernant le système allemand, s’agissant de la procédure française, se rapporter à la p. 172 ; MERLE, Roger et VITU, André, Traité de droit criminel, Tome 2, op. cit., p. 185, n° 145 ; PRADEL, Jean, Procédure pénale, op. cit., p. 88‑89, n° 55.

558 MEYER, Karlheinz, « Grenzen der Unschuldsvermutung », dans HANS-HEINRICH JESCHECK (éd.), Festschrift für Herbert Tröndle zum 70. Geburtstag am 24. August 1989, Berlin, de Gruyter, 1989 (abrégé FS-Tröndle,1989), p. 64 ; ROGALL, Klaus, « Vor § 133 StPO », dans SK, art. cit.,p. 1370, n° 75 ; GUINCHARD, Serge et BUISSON, Jacques,

ci, de même que tout autre autorité publique – dont en particulier les autorités de poursuite.559 À titre d’exemple, des hauts-représentants de la police ne sauraient désigner un gardé-à-vu comme l’auteur du crime, sans violer la présomption d’innocence.560 Par ailleurs, il ressort de ce principe non seulement un droit objectif mais aussi un droit subjectif dont le mis en cause pourra se prévaloir.561 Et, si en Allemagne cette règle ne s’applique pas directement aux personnes privéesil ne fait aucun doute qu’incombe aux médias , une obligation de retenue pour préserver les droits individuels et la présomption d’innocence du prévenu.562 L’État doit lui-même veiller au respect de cette maxime en adoptant si besoin, les mesures positives nécessaires.563

Le système français va ici plus loin et la loi reconnaît explicitement un véritable droit de la personnalité protégé en tant que tel, indépendamment de toute incidence procédurale ce que met particulièrement en avant l’article préliminaire du Code de procédure pénale en indiquant que «toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n'a pas été établie. Les atteintes à sa présomption d’innocence sont prévenues, réparées et réprimées dans les conditions prévues par la loi ».564 Il doit donc à ce titre être respecté « par toutes les autorités de l’État et par ceux qui peuvent y porter atteinte, y compris

Procédure pénale, op. cit., p. 310, n° 381. V. p. ex. CC, déc. n° 89-258 DC du 08.07.1989, Loi portant amnistie, spéc. considérant n° 11.

559 JAKOBS, Sebastian et LOHSE, Kai, « Art. 6 EMRK », dans R. HANNICH (éd.), Karlsruher Kommentar zur Strafprozessordnung (abrégé KK), 8e édition, München, Beck, 2019, n° 71 ; ROGALL, Klaus, « Vor § 133 StPO », dans SK, art. cit., p. 1370, n° 75 ; MEYER, Karlheinz, « Grenzen der Unschuldsvermutung », dans FS-Tröndle, 1989, art. cit., p. 71, à noter néanmoins que ce dernier ne reconnait pas l’application de la présomption d’innocence au- delà du droit pénal et exclut donc que celle-ci s’applique aux juges ou fonctionnaires civils ou administratifs ; du côté français, not. FAVOREU, Louis et PHILIP, Loïc, Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, op.cit., p. 442 ; au niveau européen, v. CEDH, « Guide sur l’article 6 CESDH (volet pénal) », 2018, rap. préc., p. 59‑61, n° 316-325 et spéc. n° 320.

560 CEDH, déc. du 10.02.1995, n°15175/89, Allenet de Ribemont c. France. V. en ce sens également CEDH, déc. du 2.6.2009, n° 24528/02, X c. Slovaquie.

561 ROGALL, Klaus, « Vor § 133 StPO », dans SK, art. cit., p. 1369‑1370, n° 74 ; STUCKENBERG, Carl-Friedrich, Untersuchungen zur Unschuldsvermutung, op. cit., p. 535 ; SCHULZ, Lorenz, « Grenzen prozessualer Normativierung. Aspekte der Unschuldsvermutung. », GA, 2001, p. 238‑239 ; nuancé sur la question et tendant à restreindre la portée de la présomption d’innocence au strict domaine procédural pénal : MEYER, Karlheinz,

« Grenzen der Unschuldsvermutung », dans FS-Tröndle,1989, art. cit., p. 63‑64 ; du côté français, DESPORTES, Frédéric et LAZERGES-COUSQUER, Laurence, Traité de procédure pénale, op. cit., p. 145, n° 242 ; GUINCHARD, Serge et BUISSON, Jacques, Procédure pénale, op. cit., p. 310, n° 380.

562 V. en ce sens CEDH 29.08. 1997, n° 22714/93, Worm c. Autriche ; JAKOBS, Sebastian et LOHSE, Kai, « Art. 6 EMRK », dans KK, art. cit., n° 72 ; ROGALL, Klaus, « Vor § 133 StPO », dans SK, art. cit., p. 1371, n° 75 ; MEYER- GOßNER, Lutz et SCHMITT, Bertram, « Art. 6 EMRK », dans StPO-Ko., op. cit., n° 13 ; MEYER, Karlheinz, « Grenzen der Unschuldsvermutung », dans FS-Tröndle, 1989, art. cit., p. 63.

563 MEYER, Karlheinz, « Grenzen der Unschuldsvermutung », dans FS-Tröndle, 1989, art. cit., p. 63 ; ROGALL, Klaus, « Vor § 133 StPO », dans SK, art. cit., p. 1371, n° 75.

la presse », au bénéfice « non seulement de l’accusé ou du justiciable mais de tout individu,

même n’ayant pas ces qualités ».565 C’est l’art. 9-1 du C. Civ. qui prévoit ici la réparation et la sanction des violations portée à ce principe. Il convient ici de préciser le domaine d’application de cette norme va encore au-delà de celui de l’article préliminaire du Code de procédure pénale précité, puisque seul est exigé ici qu’une personne soit « présentée publiquement avant toute condamnation, comme coupable de faits faisant l’objet d’une enquête ou d’une instruction judiciaire » sans qu’il soit requis de mesure de garde à vue, de mise en examen, de citation à comparaître, de réquisitoire nominatif du parquet ou d’une plainte avec constitution de partie civile. L’objectif de cette disposition est de protéger la réputation d’une personne, quelle que soit la fonction de l’auteur du grief à la présomption d’innocence, et indépendamment du fait que la personne concernée soit suspectée ou poursuivie.566 La violation doit toutefois avoir été commise publiquement et se rapporter à des faits suspectés faisant l’objet d’une enquête ou d’une instruction.567 Cela permet ici d’offrir une protection maximale à la personne accusée publiquement de manière indue sans attendre qu’elle fasse l’objet d’une « inculpation officielle » qui s’étend, conformément aux exigences de la CEDH qui a une interprétation large du terme d’accusé,568 notamment au gardé à vue ou au témoin assisté qui ne sont pas encore inculpés au sens strict du terme.569 La personne lésée pourra invoquer l’art. 9-1 C. Civ. en sa faveur tant qu’une condamnation pénale devenue irrévocable n’est pas intervenue.570 Le législateur français a en outre pris des mesures sanctionnatrices d’une atteinte à la présomption d’innocence dans le domaine pénal telles, par exemple, les dispositions générales incriminant la diffamation,571 la dénonciation calomnieuse572 ou

565 FAVOREU, Louis et PHILIP, Loïc, Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, op. cit., p. 442 et s. V. en ce sens égal. GUINCHARD, Serge et BUISSON, Jacques, Procédure pénale, op. cit., p. 310 et s., n° 380 et p. 442, n° 486 ; CEDH, « Guide sur l’article 6 CESDH (volet pénal) », 2018, rap. préc., p. 59 et s., n° 311 et s. ici spéc. n° 328.

566 GUINCHARD, Serge et BUISSON, Jacques, Procédure pénale, op. cit., p. 314-315, n° 386 ; DESPORTES, Frédéric et LAZERGES-COUSQUER, Laurence, Traité de procédure pénale, op. cit., p. 146, n° 243.

567 V. pour une application de cette norme e.a. Cass., 1e Civ., déc. du 12.12.2000, n° 98-17521, publiée au bull. n° 321, p. 208 concernant l’affaire Johnny et Laetitia Halliday : « la seule constatation de l’atteinte au respect dû à la vie privée et à l’image par voie de presse caractérise l’urgence et ouvre droit à réparation » ou Cass., 1e Civ., 12.07.2001, n° 98-21337, publiée au bull. n° 222 p. 139.

568 V. en ce sens CEDH, déc. du 10.02.1995, n°15175/89, Allenet de Ribemont c. Francequi considère qu’un gardé à vue doit être considéré comme accusé au sens de la CESDH.

569 Dans ce sens DESPORTES, Frédéric et LAZERGES-COUSQUER, Laurence, Traité de procédure pénale, op. cit., p. 149, n° 246.

570 V. p. ex. Cass., 1e civ., déc. du 12.11.1998, publiée au bull. n° 313, p. 216. 571 Art. 32, l. du 29 juil. 1881.

mensongère,573 la violation du secret de l’instruction et du secret professionnel574 ou encore l’interdiction d’actes de procédure avant leur lecture en audience publique575. En revanche l’article 226-10 CP dans sa version antérieure à loi 9 juillet 2010 a été jugé méconnaître la présomption d’innocence dans la mesure où il établissait une présomption de fausseté dans le délit de dénonciation calomnieuse.576 En tout état de cause, la mise en œuvre de la protection s’effectue sous le contrôle de la CEDH et il s’agit souvent d’opérer un arbitrage difficile entre liberté d’expression et protection des droits de la personne.577

Concernant son contenu, si la doctrine française a longtemps cantonné 578 la présomption d’innocence à une simple règle de preuve, ayant pour principal effet de faire peser sur l’accusation la charge de démontrer la culpabilité de la personne poursuivie,579 une grande partie de la doctrine lui reconnaît désormais le caractère d’un principe fondamental et directeur de la procédure pénale.580

Dans les deux ordres procéduraux à l’étude, les avis s’accordent sur le fait que la présomption d’innocence interdit d’anticiper la culpabilité d’une personne non encore

573 Art. 434- 26 CP.

574 Art. 11 CPP et 226-13 CP. 575 Art. 38 al. 1, l. du 29 juil. 1881.

576 CEDH, déc. du 30.06.2011, n° 30754/03, Klouvi c/ France. V. les observations correspondantes de BACHELET, Olivier, « Chron. 6, ici note de jurisprudence rel. à CEDH, Klouvi c/ France », JDI, n° 3, 2012, n° 11.

577 CEDH, « Guide sur l’article 6 CESDH (volet pénal) », 2018, rap. préc., p. 61, n° 328. V. pour des déc. de la CEDH sur l’arbitrage entre liberté de la presse et la présomption d’innocence p. ex. CEDH, déc. du 10.02.1995, Allenet de Ribemont c. France, n°15175/89 ; CEDH, déc. du 24.05.2011, Konstas c. Grèce, n° 53466/07 ; CEDH, déc. du 28.10.2004, Y.B. et a. c. Turquie, n° 48173/99 et 48319/99 ou encore CEDH, déc. du 29.08. 1997, Worm c. Autriche, n° 22714/93 ; CEDH, déc. du 24.11.2005, Tourancheau et July c. France, n° 53886/00.

578 La loi du 15 juin 2000 a ici joué un rôle décisif en la matière. L’objectif « pédagogique et herméneutique » du nouvel art. prélim. a bel et bien porté ses fruits puisque l’on constate, à côté des nombreuses références à cet article dans la jurisprudence, également un mouvement de reconnaissance de la présomption d’innocence comme principe directeur fondamental de la procédure pénale dans la doctrine, v. LAZERGES, Christine, « La présomption d’innocence en Europe », Arch. po. crim., vol. 26, n° 1, 2004, p. 129.

579 V. en ce sens les dév. instructifs et les nombreuses réf. sur la doctrine d’alors (n. 21) du comparatiste STUCKENBERG, Carl-Friedrich, Untersuchungen zur Unschuldsvermutung, op. cit., p. 173 et s.

580 CEDH, « Guide sur l’article 6 CESDH (volet pénal) », 2018, rap. préc., p. 56, n° 295-297 ; DESPORTES, Frédéric et LAZERGES-COUSQUER, Laurence, Traité de procédure pénale, op. cit., p. 131, n° 231 chez lesquels ressort pleinement le caractère de principe directeur de la procédure pénale de la présomption d’innocence ; PRADEL, Jean, Procédure pénale, op. cit., p. 88‑89, n° 55 ; GUINCHARD, Serge et BUISSON, Jacques, Procédure pénale, op. cit., p. 310, n° 380 ; MERLE, Roger et VITU, André, Traité de droit criminel, Tome 2, op. cit., p. 187, n° 147, ces deux derniers ouvrages

jugée.581 Elle exclut ainsi que les juges aient une idée préconçue relative à la culpabilité de l’auteur582 et qu’ils l’expriment publiquement lors d’une interview.583

Le législateur doit organiser le statut du prévenu de telle sorte qu’il soit possible à tout moment de la procédure de prouver son innocence.584 Cela n’empêche cependant ni les mesures s’attachant à éclaircir le soupçon, quand bien même celles-ci impliqueraient la violation d’un droit ou d’une liberté fondamentale, ni même la gradation des actes procéduraux coercitifs selon le niveau de suspicion retenu.585 Au contraire, « la force de la présomption d’innocence s’érode à mesure que s’accumulent les charges ».586 Ainsi un soupçon factuel et la présomption normative d’innocence ne s’excluent-ils pas mutuellement mais se conditionnent.587 Il suffit que les atteintes aux libertés fondamentales puissent se justifier aussi dans le cas de l’innocence du prévenu.588 La présomption d’innocence n’impose donc pas de partir de l’hypothèse que les circonstances spécifiques d’une infraction n’ont pas

581 La présomption d’innocence est violée chaque fois que „sans établissement légal de la culpabilité d’un prévenu(…) une décision judiciaire le concernant reflète le sentiment qu’il est coupable. Il peut en aller ainsi même en l’absence de constat formel ; il suffit d’une motivation donnant à penser que le juge considère l’intéressé comme coupable“, CEDH, déc. du 25.03.1983, n° 8660/79, Minelli c. Suisse, ici spéc. al. n° 37. V. aussi CEDH, déc. du 25.08.1993, n° 13126/87, Sekanina c. Autriche. V. aussiCEDH, « Guide sur l’article 6 CESDH (volet pénal) », 2018, rap. préc., p. 59-60, n° 316 ; STUCKENBERG, Carl-Friedrich, Untersuchungen zur Unschuldsvermutung, op. cit., p. 67 et s. ; ROGALL, Klaus, « Vor § 133 StPO », dans SK, art. cit., p. 1371, n° 76 ; MEYER-GOßNER, Lutz et SCHMITT, Bertram, « Art. 6 EMRK », dans StPO-Ko., op. cit., n° 12 ; ROXIN, Claus et al., Strafverfahrensrecht, op. cit., chap. 2,

§ 11, n° 2.

582 CEDH, déc. du 6.12.1988, n° 10590/83, Barbera Messegué et Jabardo c. Espagne. 583 CEDH, déc. du 28.11.2002, n° 58442/00, Lavents c. lettonie.

584 RÜPING, Hinrich, « Der Schutz der Menschenrechte im Strafverfahren – Wesentliche Erfordernisse eines gerechten Strafverfahrens », ZStW, vol. 91, n° 2, 1979, p. 358 ; ROGALL, Klaus, « Vor § 133 StPO », dans SK, art. cit., p. 1371, n° 76 ; HABERSTROH, Dieter, « Unschuldsvermutung und Rechtsfolgenausspruch », NStZ, n° 7, 1984,