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L’ ASPECT BIPOLAIRE DE LA MISE EN ÉTAT DE L ’ AFFAIRE PÉNALE

PRÉSENCE DU JUGE DE L ’ AVANT PROCÈS

L’ ASPECT BIPOLAIRE DE LA MISE EN ÉTAT DE L ’ AFFAIRE PÉNALE

L’objectif primaire de la procédure pénale est de rechercher la vérité qui conduira le cas échéant à un jugement.483 Mais, eu égard au principe de l’État de droit, cette fin n’est bien entendu pas en mesure de justifier n’importe quel moyen et l’élucidation des faits constituant une infraction pénale, ne peut être réellement honorée que lorsqu’elle est poursuivie au cours d’une procédure réglementée et conforme aux règles juridiques élémentaires.484 À partir du

482 SCHÄFER, Karl, Strafprozeßrecht, op. cit., p. 94‑95, chap. 6, n° 7 ; COMMISSION DELMAS-MARTY, « Rapport sur la mise en état des affaires pénales », 1991, rap. préc., p. 8‑9.

483 HASSEMER, Winfried, « Grenzen des Wissens im Strafprozess. Neuvermessung durch die empirischen Wissenschaften vom Menschen? », ZStW, vol. 121, n° 4, 2009, p. 831 ; SCHÄFER, Karl, Strafprozeßrecht, op. cit., p.

94‑95, chap. 6, n° 7 ; BRÜNING, Janique, Der Richtervorbehalt im strafrechtlichen Ermittlungsverfahren, op. cit., p. 140‑141 ; GARRAUD, René, Traité d’instruction criminelle, vol. 1, op. cit., p. 5, n° 1 ; COMMISSION DELMAS-MARTY, « Rapport sur la mise en état des affaires pénales », 1991, rap. préc., p. 8 ; DREYER, Emmanuel et MOUYSSET, Olivier, Procédure pénale, Issy-les-Moulineaux, LGDJ-Lextenso, 2016, p. 17, n° 3 ; TOUILLIER, Marc, « Quelle politique criminelle (droits de la défense/ procédures dérogatoires) ? », Arch. po. crim., 37-2015, art. cit., p. 45.

484 V. p. ex. BGH, déc. du 14.06.1960 - 1 StR 683/59 (BGHSt, 14, 358), reproduite dans NJW, 1960, p. 1580-1582, ici spéc. p. 1582 ; Eberhardt Schmidt dira ainsi qu’il ne s’agit pas, concernant l’administration pénale, de la seule justesse matérielle légale des jugements, mais également tout autant que ceux-ci ne résultent pas d’autres voies que celles respectueuses des règles et garanties procédurales en vigueur (« Es geht in der Strafrechtspflege nicht um die materiellrechtliche Richtigkeit der Urteile, sondern ebenso sehr auch um ihre Gewinnung auf keinem anderen als dem justizförmigen Wege »), v. SCHMIDT, Eberhard, « Die Verletzung der Belehrungspflicht gemäß § 55 II StPO als Revisionsgrund », JZ, 1958, p. 601. Se rapporter égal. à HASSEMER, Winfried, « Grenzen des Wissens im Strafprozess », ZStW, 2009, art. cit., p. 836 ; SCHÄFER, Karl, Strafprozeßrecht, op. cit., p. 94‑95, chap. 6, n° 7.; V.

du côté français p. ex. CC, déc. n° 2004-492 DC du 02.03.2004, publiée au JO du 15.03.2004, p. 4637, not. n° 4 et 6, rappelant que le législateur doit assurer la conciliation entre, d’un côté, la prévention des atteintes à l’ordre public et la recherche des auteurs d’infractions, et de l’autre, la préservation de l’exercice des libertés constitutionnellement garanties, parmi lesquelles figure la liberté d’aller et de venir. V. aussi CC, déc. n° 20111- 625 DC du 10.03.2011, publiée au JO du 15.03.2011, p. 4630 ou dernièrement CC, déc. n° 2014-420/421 QPC du 9.10.2014, publiée JO, 12.10.2014, p. 16578. Se rapporter égal. e. a. à DREYER, Emmanuel et MOUYSSET, Olivier,

moment où un soupçon substantiel naît chez les autorités investigatrices, l’État n’est ici plus seulement tenu de protéger les droits et libertés fondamentaux dont dispose chaque citoyen, mais a bien plus l’obligation supplémentaire de préserver les droits procéduraux spécifiques accordés à la défense en matière pénale tels la présomption d’innocence et le droit à un procès équitable et ce, quand bien même ce devoir se révèlerait être un frein pratique pour l’éclaircissement des faits.485 Par exemple, même si la torture permettait de faire avouer un coupable (ce qui est déjà en soi discutable), il est clair qu’elle ne saurait être justifiée pour autant, aucune exception n’étant ici tolérable.486 Dans ce sens, la procédure pénale revêt un caractère « bipolaire »487 ou « double »488 : l’objectif est la recherche de la vérité, qui débouchera le cas échant sur un jugement, et le chemin pour y parvenir devra être celui d’une justice équitable.489Ce n’est qu’à cette seule condition que l’État pourra user de sa redoutable prérogative de sanctionner pénalement pour assurer une paix juridique durable.490

Or, à l’heure où, corrélativement aux attaques terroristes et à la criminalité organisée le sentiment d’insécurité ne cesse de croître, l’exigence de résultats immédiats devient

485 ENGLÄNDER, Armin et VOLK, Klaus, Grundkurs StPO, op. cit., § 3, n° 1 et 5 ; SCHÄFER, Karl, Strafprozeßrecht, op. cit., p. 95‑96, chap. 6, n° 8 ; GUINCHARD, Serge et BUISSON, Jacques, Procédure pénale, op. cit., p. 2‑6, n° 3-4 ; DESPORTES, Frédéric et LAZERGES-COUSQUER, Laurence, Traité de procédure pénale, op. cit., p. 2‑5, n° 3-9 ; STEFANI, Gaston et al., Procédure pénale, op.cit., p. 2‑3, n° 3.

486COMMISSION DELMAS-MARTY, « Rapport sur la mise en état des affaires pénales », 1991, rap. préc., p. 8 ; SCHÄFER, Karl, Strafprozeßrecht, op. cit., p. 94‑95,chap. 6 n° 7 et 8.

487 COMMISSION DELMAS-MARTY, « Rapport sur la mise en état des affaires pénales », 1991, rap. préc., p. 9.

488 De la formule allemande originale „Doppelziel“, v. BRÜNING, Janique, Der Richtervorbehalt im strafrechtlichen Ermittlungsverfahren, op. cit., p. 141 ; HASSEMER, Winfried, « Die "Funktionstüchtigkeit der Strafrechtspflege" - ein neuer Rechtsbegriff? », StV, n° 6, 1982, p. 277 ; SCHMIDT, Eberhard, Teil I: Die rechtstheoretischen und die rechtspolitischen Grundlagen des Strafverfahrensrechts, vol. 1, 2e édition, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1964, n° 21.

489 GASSIN, Raymond, « Considération sur le but de la procédure pénale », dans Mélanges Pradel, 2006, p. 110‑112 ; STEFANI, Gaston et al., Procédure pénale, op. cit., p. 2‑3, n° 3 ; HÉLIE, Faustin, Traité de l’instruction criminelle, vol. 5, op. cit., p. 7, n° 5 : « ce but est la complète manifestation de la vérité judiciaire [et son] principe est la protection efficace de tous les droits, de tous les intérêts, des intérêts de la société et des intérêts de l’accusé, à l’aide des formes dont elle s’entoure et des garanties qu’elle présente » ; GARRAUD, René, Traité d’instruction

criminelle, vol. 1, op. cit., p. 5, n° 1, qui parle ici d’« un but unique, la recherche de la vérité par le droit et dans le droit » ; COMMISSION DELMAS-MARTY, « Rapport sur la mise en état des affaires pénales », 1991, rap. préc., p. 8‑9 ; ROXIN, Claus et al., Strafverfahrensrecht, op. cit., Einl. (intro.), § 3, n°3, qui différencient néanmoins non 2 mais 3

objectifs (la recherche de la vérité matérielle ["materielle Richtigkeit"] sur la base d’une procédure respectueuse des règles de droit en vigueur ["Justizförmigkeit"] pour rétablir la paix sociale ["Rechtsfrieden"] ; ENGLÄNDER, Armin et VOLK, Klaus, Grundkurs StPO, op. cit., § 1, n° 1 et 5, reprenant au n° 1 les 3 objectifs nommés par Roxin mais précisant au n° 5 qu’il s’agit concernant du respect des règles de droit procédural en vigueur moins d’un but de la procédure pénale que d’un moyen ou de la voie à suivre ["Weg zum Ziel"] pour parvenir à ses fins. 490 En ce sens not. STEFANI, Gaston et al., Procédure pénale, op. cit., p. 2‑3, n° 3 ; SCHÄFER, Karl, Strafprozeßrecht, op. cit., p. 92‑94 chap. 6, n° 2-6.

inéluctablement plus pressante.491 Il est alors à l’évidence plus simple pour le législateur, sous prétexte d’efficacité, d’augmenter les prérogatives de puissance publique pour satisfaire la vindicte populaire en facilitant la recherche et la répression des auteurs d’infractions plutôt que de promouvoir le respect des garanties procédurales auxquels ces derniers peuvent prétendre.492

Force est de reconnaître que la forte probabilité d’être pris et sanctionné se révèle fortement dissuasive pour tous ceux qui seraient tentés par des actes délictueux et il est ici relativement simple pour l’État de renforcer quantitativement la répression.493 L’exemple de la délinquance routière est particulièrement illustratif à cet égard494 et de nombreuses études criminologiques montrent le rôle capital que joue le sentiment d’impunité ressenti en raison d’un faible taux d’interpellation sur le passage à l’acte et la récidive495. Les conditions sociales et familiales dans lesquelles vivent les individus seront certes encore plus décisives, mais elles sont particulièrement difficiles à cerner et donc à peine influençables par l’État qui préfère de ce fait mettre toute son énergie dans l’amplification de la répression.496 C’est la raison pour laquelle la volonté d’efficacité imprègne aujourd’hui tellement le droit pénal que certains auteurs n’hésitent ici pas à parler d’un objectif de politique criminelle et de fonctionnement du système de justice pénale à part entière.497

Mais, s’il est vrai que l’efficacité répressive peut avoir des vertus dissuasives, son exacerbation peut tout autant conduire à un état de désordre social, une forte impression

491 V. du côté français not. TOUILLIER, Marc, « Quelle politique criminelle (droits de la défense/ procédures dérogatoires) ? », Arch. po. crim., 37-2015, art. cit., p. 45‑46 ; attestant de cette même tendance du côté allemand, e. a. ALBRECHT, Peter-Alexis, « Vom Unheil der Reformbemühungen im Strafverfahren », StV, n° 7, 2001, p. 417 ; HÜLS, Silke, Polizeiliche und staatsanwaltliche Ermittlungstätigkeit, Berlin, Berliner Wissenschafts-Verlag, 2007, p. 260 et s. ; HUND, Horst, « Polizeiliches Effektivitätsdenken contra Rechtsstaat: Die sogenannten Vorfeldstrategien », ZRP, vol. 24, n° 12, 1991, p. 345 ; KNIESEL, Michael, « Vorbeugende Bekämpfung von Straftaten im neuen Polizeirecht — Gefahrenabwehr oder Strafverfolgung? », ZRP, vol. 22, n° 9, 1989, p. 329. 492 TOUILLIER, Marc, « Quelle politique criminelle (droits de la défense/ procédures dérogatoires) ? », Arch. po. crim., 37-2015, art. cit., p. 46.

493 V. en ce sens not. JEAN, Jean-Paul, « De l’efficacité en droit pénal », dans Mélanges Pradel, 2006, op. cit., p. 136‑137 ; GIACOPELLI, Muriel, « Les procédures alternatives aux poursuites, Essai de théorie générale », Rev. sc. crim., n° 3, 2012, p. 505‑522, n° 9.

494 JEAN, Jean-Paul, « De l’efficacité en droit pénal », dans Mélanges Pradel, 2006, art. cit., p. 136.

495 BRUNET, Bernard, « Le traitement en temps réel : la Justice confrontée à l’urgence comme moyen habituel de résolution de la crise sociale », Droit et Société, vol. 38, n° 1, 1998, p. 96 et s. ; JEAN, Jean-Paul, « De l’efficacité en droit pénal », dans Mélanges Pradel, 2006, art. cit., p. 136‑137 ; GIACOPELLI, Muriel, « Les procédures alternatives aux poursuites », Rev. sc. crim., 3-2012, art. cit., n° 9.

496 JEAN, Jean-Paul, « De l’efficacité en droit pénal », dans Mélanges Pradel, 2006, art. cit., p. 137.

497 Ibid., p. 136. Dans un sens similaire égal. TOUILLIER, Marc, « Quelle politique criminelle (droits de la défense/ procédures dérogatoires) ? », Arch. po. crim., 37-2015, art. cit., p. 46.

d’injustice, lorsqu’elle ne s’accompagne pas des garanties suffisantes en matière de droits et libertés individuelles, en témoigne par exemple la pratique très controversée des contrôles d’identité au faciès.498 La soi-disant efficacité, loin d’apporter la paix sociale recherchée contribuera bien plus à creuser les inégalités et attiser les tensions sociales, ce qui ne manquera pas de se traduire par un regain de criminalité dont les flambées de violence régulières dans les zones urbaines défavorisées, notamment françaises, sont la triste illustration.499

Il est donc capital pour le législateur de ne pas céder aux seules sirènes répressives mais bien plus d’organiser la collecte des preuves nécessaires à la manifestation de la vérité dans le respect des libertés et droits fondamentaux des personnes concernées afin que la réponse pénale puisse être socialement pleinement acceptée.500

Conclusion de la Section 1

En conclusion de cette section, on retiendra que les règles de procédure pénale relèvent d’un véritable exercice d’équilibriste pour parvenir à allier efficacité mais aussi respect des libertés individuelles sur le chemin conduisant à la vérité matérielle. Marc Touillier nous semble ici résumer de manière particulièrement pertinente cette difficulté : « Si la recherche de la vérité apparaît comme le but ultime de la procédure pénale, les notions de légitimité et d’efficacité constituent des objectifs sous-jacents et concurrents qu’il appartient au législateur de concilier en permanence afin de répondre aux attentes de la société ».501

498 V. sur ces dangers not. MAILLARD, Jacques (de) et ZAGRODZKI, Mathieu, « Styles de police et légitimité policière. La question des contrôles », Droit et société, n° 97, décembre 2017, p. 491 et s.

499 V. l’ens. des réf. préc. en n.498 .

500 TOUILLIER, Marc, « Quelle politique criminelle (droits de la défense/ procédures dérogatoires) ? », Arch. po. crim., 37-2015, art. cit., p. 46 ; JEAN, Jean-Paul, « De l’efficacité en droit pénal », dans Mélanges Pradel, 2006, art. cit., p. 146.

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ECTION

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