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PRÉSENCE DU JUGE DE L ’ AVANT PROCÈS

DES LIBERTÉS INDIVIDUELLES

La conciliation de l’intérêt général et des intérêts privés (ou particuliers) est un problème originel de la procédure pénale.470 L’intérêt général, intérêt de tous, c’est-à-dire de la société et de tous ses membres, guide en soit la procédure pénale.471 La commission d’une infraction génère un trouble social. 472 L’objectif de la procédure pénale est alors principalement d’élucider les faits à l’origine de ce délit, c’est-à-dire de rechercher la vérité, par le biais d’une bonne administration de la justice et du respect de l’ordre public afin d’y apporter une réponse pénale appropriée et de rétablir ainsi la paix sociale.473 Or, l’intérêt particulier, au sens de l’intérêt de l’individu ou de ses libertés individuelles face au groupe, n’est pas toujours en adéquation avec l’intérêt général.474 Ce double impératif (efficacité dans la recherche des infractions et de leurs auteurs/respect des droits fondamentaux de la

470 V. déjà en ce sens not. HÉLIE, Faustin, Traité de l’instruction criminelle, vol. 1, op. cit., p. 4, n° 1, qui indique ici que « Deux intérêts également puissants, également sacrés, veulent être à la fois protégés : l’intérêt général de la société, qui veut la juste et prompte répression des délits ; l’intérêt des accusés, qui est bien aussi un intérêt social et qui exige une complète garantie des droits de la cité et des droits de la défense. »

471 PRADEL, Jean, Procédure pénale, op. cit., p. 19‑21, n° 3.

472 SÉGAUT, Julie, Essai sur l’action publique, version électronique, Reims, Atelier national de reproduction des thèses, 2010, p. 16, n° 3 ; RIEß, Peter, « Über die Aufgaben des Strafverfahrens », JR, n° 7, 2006, p. 271 ; ENGLÄNDER, Armin et VOLK, Klaus, Grundkurs StPO, 9e édition, München, Beck, 2018, § 3, n° 1.

473 Dans ce sens e. a. ROXIN, Claus et al., Strafverfahrensrecht, op. cit., Einl. (intro.), § 1, n° 3 ; ENGLÄNDER, Armin et VOLK, Klaus, Grundkurs StPO, op. cit., § 3, n° 1 et 5 ; RIEß, Peter, « Aufgaben des Strafverfahrens », JR, 2006, art. cit., p. 270‑271 ; MEYER-GOßNER, Lutz et SCHMITT, Bertram, « Einl. (intro.) », dans Strafprozessordnung, Kommentar (StPO-Ko.), München, Beck, 2019, n° 4 ; égal. en ce sens quoi qu’avec une compréhension plus répressive de la procédure pénale PRADEL, Jean, Procédure pénale, op. cit., p. 19-20, n° 3 ; SCHENIQUE, Laurie, La réforme de la phase préparatoire du procès pénal, op. cit., p. 16, n° 3. Si la poursuite de la paix sociale est perçue majoritairement comme l’objectif supérieur de la procédure pénale, il convient ici néanmoins de souligner que l‘objectif de la procédure pénale dans ses détails fait en Allemagne comme en France toujours débat. Pour une exposition détaillée des différentes opinions à ce sujet, v. pour l’Allemagne p. ex. RIEß, Peter, « Aufgaben des Strafverfahrens », JR, 2006, art. cit.; MURMANN, Uwe, « Über den Zweck des Strafprozesses », GA, 2004, p. 65‑86 ;

du côté français, se rapporter not. à GASSIN, Raymond, « Considération sur le but de la procédure pénale », dans Mélanges Pradel, 2006, p. 109‑120.

474 PRADEL, Jean, Procédure pénale, op. cit., p. 20-21, n° 3 ; COMMISSION DELMAS-MARTY, « Rapport sur la mise en état des affaires pénales », 1991, rap. préc., p. 9 ; SCHÄFER, Karl, Strafprozeßrecht, Berlin, de Gruyter, 1976, p. 92‑93, chap. 6, n° 2 et 3 ; BURGSTALLER, Manfred, « Kriminalpolitik nach 100 Jahren IKV/AIDP. Versuch einer Bestandsaufnahme », ZStW, vol. 102, n° 3, 1990, p. 646, qui va ici même jusqu’à dire que les exigences de l’état de droit pour protéger l’individu interviennent clairement au détriment de l’efficacité de la procédure. L’avis ici partagé sera en revanche plus nuancé, la protection de l’individu pouvant se révéler également utile pour l’efficacité de la procédure (p. ex. il suffit ici de penser à l’interdiction de la torture qui protège l’individu mais aussi la recherche de la vérité en empêchant l’exploitation de faux aveux livrés uniquement pour éviter la torture).

personne) n’est certes pas forcément conflictuel.475 En effet, en renonçant à régler leurs propres conflits, les personnes concernées par la procédure pénale comme les auteurs d’une infraction mais aussi les victimes et les témoins, se placent sous la protection des pouvoirs publics (à la différence de la justice privée médiévale)476 puisque la légitimité de la procédure n’est ici admise que parce que l’État s’engage lui-même à respecter les exigences en matière de protection des libertés individuelles sans recourir à des moyens de coercition abusifs.477 C’est la raison pour laquelle Montesquieu, considérant la justice sous un angle sociétal, affirmait qu’ « une injustice faite à un seul homme [était] une menace faite à tous », c’est-à- dire à la société dans son ensemble.478 Par ailleurs, une recherche efficace de la vérité peut aussi tout simplement conduire à faire tomber les charges qui pesaient contre la personne concernée et inversement les exigences de protection des droits fondamentaux requises pourront prémunir les autorités de poursuite contre les erreurs résultant de conclusions trop hâtives ou entrainées par un trop grand parti-pris contre un suspect donné.479 Les deux termes, ordre et liberté, ne sont donc pas nécessairement opposés mais bien plus « corrélatifs », la liberté n’allant pas sans l’ordre et ce dernier ne valant rien sans la liberté.480

Et pourtant, en pratique, la question de la bonne conciliation de ces deux idéaux difficilement compatibles reste entière : où convient-il en particulier de positionner « le curseur sur la règle des droits et libertés ? » 481

S’il est indispensable d’attribuer de larges pouvoirs aux autorités chargées d’enquêter pour qu’elles puissent établir les faits et les responsabilités afférentes, ceux-ci engendreront

475 JUNG, Heike, « Le ministère public : portrait d’une institution », Arch. po. crim., 15-1993, art. cit., p. 18 ; JUNG, Heike, « Vers un nouveau modèle de procédure pénale ? », Rev. sc. crim., 3-1991, art. cit., p. 530 et s. ; BRÜNING, Janique, Der Richtervorbehalt im strafrechtlichen Ermittlungsverfahren, op. cit., p. 141 ; COMMISSION DELMAS- MARTY, « Rapport sur la mise en état des affaires pénales », 1991, rap. préc., p. 9.

476 Dont les dangers pour l’individu ont été mis en évidence lors des développement historiques dans l’introduction, v. les n° 14 et s., p. 17 et s.

477 COMMISSION DELMAS-MARTY, « Rapport sur la mise en état des affaires pénales », 1991, rap. préc., p. 9 ; ROXIN, Claus et al., Strafverfahrensrecht, op. cit., Einl. (intro.), § 1, n° 2 ; SCHÄFER, Karl, Strafprozeßrecht, op. cit., p. 92, chap. 6, n° 2.

478 Citation attribuée à Montesquieu, reprise par ex. not. dans DELGA, Jacques, Manuel de l’innocent  : « De l’atteinte à la présomption d’innocence », Paris, Éditions Eska, 2008, p. 13.

479 BRÜNING, Janique, Der Richtervorbehalt im strafrechtlichen Ermittlungsverfahren, op. cit., p. 141‑142.

480 V. en ce sens not. Alain, Propos d’un normand : « Les deux termes, ordre et liberté sont bien loin d’être opposés ; j’aime mieux dire qu’ils sont corrélatifs, la liberté ne va pas sans l’ordre, l’ordre ne vaut rien sans la liberté » tels que cité par PRADEL, Jean, Procédure pénale, op. cit., p. 20, n° 3 ; v. égal. JUNG, Heike, « Le ministère public : portrait d’une institution », Arch. po. crim., 15-1993, art. cit., p. 18.

481 BOISVERT, Anne-Marie, « La lutte au terrorisme et les réflexes du législateur canadien à un déplacement des frontières du droit répressif », dans UNIVERSITÉ DE POITIERS (éd.), Les nouveaux territoires du droit et leur impact sur l’enseignement et la recherche, Paris, LGDJ, 2004, p. 74. Reprenant cette cit. not. PRADEL, Jean, Procédure pénale,

eux-mêmes inexorablement des atteintes importantes aux droits et libertés fondamentaux des personnes concernées (Chapitre I). C’est pour cette raison que les principes constitutionnels comme les engagements internationaux pris par la France tout comme l’Allemagne ont conduit à construire un socle solide de droits procéduraux pour garantir la protection des parties impliquées dans le procès pénal, droits qui restent néanmoins à un stade embryonnaire au moment de l’avant-procès (Chapitre II)

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