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B – LA PROBLEMATIQUE DE L’ETUDE : LES METAMORPHOSES DE L’OFFICE DU JUGE ADMINISTRATIF DES REFERES

35. Constatant les imperfections du droit des procédures d’urgence devant le juge administratif, ainsi que les limites du sursis à exécution, le vice-président du Conseil d’Etat a mis en place, en novembre 1997, un groupe de travail dont la direction a été confiée au Président D. LABETOULLE et qui a été chargé d’identifier et de proposer une réforme visant à perfectionner les procédures d’urgence.

Ce groupe de travail devait s’intéresser aux hypothèses dans lesquelles le juge administratif n’était pas en mesure de répondre de façon satisfaisante aux besoins des requérants, et proposer les mesures appropriées à ce constat.

Ce groupe de travail a suggéré de renforcer l’efficacité des procédures d’urgence par l’institution d’un véritable juge des référés doté de pouvoirs élargis dans le cadre d’une procédure accélérée et simplifiée. Afin de parvenir à ce résultat, le rapport du groupe de travail a formulé trois propositions.

La première proposition entendait promouvoir l’accroissement des pouvoirs du juge des référés. Cette idée a permis au référé-suspension de bénéficier d’un accroissement de son efficacité par rapport à la procédure du sursis-à-exécution en procédant à l’assouplissement des conditions de recevabilité.

La seconde ouverture portait sur la mise en place d’une procédure propre aux référés dont les mécanismes pourraient déroger aux règles communes dans la mesure où l’examen des demandes de référé est confié à un juge unique et sans présence du commissaire du gouvernement.

Enfin, le groupe de travail a réfléchit aux voies de recours envisageables pour ces nouvelles procédures de référé. Le rapport proposait deux systèmes : soit le maintien du schéma classique en retenant une procédure d’appel et une procédure de cassation, soit un contrôle unique de cassation, l’appel étant donc écarté sur la base de l’idée que l’élément essentiel de ces procédures est la première instance, et que dans tous les cas, les requérants pourront toujours revenir devant le juge des référés en cas d’élément nouveau. Mais la loi ne contient finalement pas en totalité cette vision des voies de recours. En effet, l’absence d’appel sur le référé-suspension et sur le référé-conservatoire n’a pas été remise en cause. Cependant, s’agissant du référé-liberté, procédure intéressant les libertés fondamentales, le législateur a souhaité introduire, à l’initiative du Sénat, un recours en appel devant le Conseil d’Etat pour les ordonnances rendues sur ce fondement juridique.

36. La loi n°2000-597 du 30 juin 2000 relative au référé devant les juridictions administratives57, entrée en vigueur le 1er janvier 2001, s’est fortement inspirée des conclusions de ce groupe de travail.

Cette loi a procédé à une réforme des procédures d’urgence avec l’objectif de « conférer

au juge administratif des référés une efficacité comparable à celle du juge civil des référés, tout en tenant compte, bien entendu des spécificités du contentieux administratif »58. Elle a répondu aux souhaits, depuis longtemps exprimés, des praticiens du droit et de la doctrine. Cette réforme consacre pleinement la vocation du juge administratif à agir en urgence et semble clore les tergiversations doctrinales et les vicissitudes au sujet de l’efficacité du référé.

57JO, 1erjuillet 2000, p. 9948, suivie du Décret n°2000-1115 du 22 novembre 2000, JO du 23 novembre 2000, p. 18611.

58E. GUIGOU, Sénat, séance du 8 juin 1999, JO Sénat CR, p. 3737.

Cette loi s’attache à préciser les pouvoirs du juge de l’urgence et la procédure applicable devant lui, en donnant une place plus large à l’oralité afin de garantir un véritable dialogue entre le juge et les requérants, sans ralentir la procédure.

Trois procédures de référés en urgence vont être instituées. Deux d’entre elles ne sont pas totalement nouvelles et ont pour objectif de faciliter le prononcé des mesures demandées : il s’agit du référé-suspension qui succède au sursis à exécution caractérisé par l’appréciation restrictive de ses conditions d’octroi et par la disparition du recours à la formation collégiale au profit d’un juge unique, et du référé-conservatoire qui est assoupli dans la mesure où il est mis fin à l’interdiction du juge des référés de préjudicier au principal. La troisième procédure constitue l’innovation majeure de cette loi, c’est la procédure du référé-liberté qui répondait à une nécessité : stopper la saisine massive du juge des référés civils sur des champs de compétence relevant du juge administratif.

37. Monsieur R. VANDERMEEREN annonçait, en 2002, que « dans le domaine de

la protection des droits fondamentaux par le juge administratif, l’histoire distinguera peut-être deux époques : l’ancienne et la nouvelle, c’est-à-dire avant et après la réforme du référé administratif que vient de réaliser la loi du 30 juin 2000 »59.

Cinq ans après, cette supposition est totalement vérifiée car la loi du 30 juin 2000 « a

connu un succès indéniable et a contribué à diffuser largement une culture de l’urgence au sein de la juridiction administrative »60. Le juge administratif des référés s’est affirmé, au vu de la jurisprudence, comme un véritable juge de l’urgence à l’instar de son homologue civil et s’est parfaitement habitué au « nouveau métier [de juge des référés qui] modifie de

manière notable tant les méthodes de travail que les relations du juge avec l’administration et les requérants »61.

59R. VANDERMEEREN, La réforme du référé administratif, in Regards critiques sur l’évolution des droits

fondamentaux de la personne humaine en 1999 et 2000, G. LEBRETON (sous la dir. de), L’Harmattan,

2002, p. 143.

60M. VIALETTES, A. COURREGES, A. ROBINEAU-ISRAËL, Les temps de la justice administrative, in

Mélanges en l’honneur de Daniel Labetoulle, Juger l’administration, administrer la justice, Dalloz, 2007,

spéc. p. 842.

61B. STIRN, Juge des référés, un nouveau métier pour le juge administratif, in Mélanges en l’honneur de

Daniel Labetoulle, Juger l’administration, administrer la justice, Dalloz, 2007, spéc. p. 795.

38. Parlant de la genèse de la loi du 30 juin 2000, le Président D. LABETOULLE disait qu’« il va falloir essayer de la faire marcher, de la faire courir, de la faire

grandir »62.

39. L’intérêt de notre étude intitulée « L’office du juge administratif des référés.

Entre mutations et continuité jurisprudentielle » repose entièrement sur les conciliations

que ce juge a été appelé à établir dans le cadre des procédures de référé afin que ces procédures puissent grandir de façon à être les plus efficaces possibles. Ces conciliations portent sur des notions dont la compatibilité n’est pas toujours évidente, comme la conciliation entre contradictoire et urgence, entre impartialité et référé. Mais à côté de cela, le juge des référés a su faire bénéficier son office des apports jurisprudentiels effectués sous l’empire des anciennes procédures de référé.

40. La problématique de cette étude consiste alors à démontrer que la réforme du 30 juin 2000 a procuré les moyens et les pouvoirs nécessaires au juge des référés pour que son office devienne plus efficace, mais surtout que ce juge a su saisir l’opportunité offerte par cette réforme pour s’affirmer comme un véritable juge des référés.

Pour traiter cette problématique, il était nécessaire d’étudier les différentes ordonnances rendues, au fur et à mesure par le juge administratif afin de retracer sa démarche dans la mise en œuvre de l’ensemble des procédures de référé. La matière étant nouvelle, nous constatons, outre le fait qu’elle se construit de jour en jour, l’influence des différents cas de figures qui se présentent au juge des référés. La matière est mouvante et sujette à des évolutions, à des prises de positions innovantes ou même à des affinements de certaines notions conditionnant l’application de ces référés.

Mais ce qui peut frapper au premier abord, c’est que parmi les vingt-quatre procédures de référé contenues dans le Livre V du Code de justice administrative, nous ne retrouvons, dans les différentes publications juridiques que quelques unes de ces procédures.

Sur ces vingt-quatre référés, nous pouvons remarquer que les référés des Titres II, III et IV, respectivement relatifs aux référés en urgence, aux référés constat et instruction, et enfin au référé-provision, sont régulièrement mis en œuvre par les requérants. Alors que parmi les procédures instituées au sein du Titre V, seules les procédures de référé-précontractuel ou de référé en matière fiscale sont régulièrement utilisées.

62D. LABETOULLE, La genèse de la loi du 30 juin 2000, Annales Fac. de droit de Strasbourg, 2002, n°5, p. 15.

C’est pourquoi, l’ensemble des procédures de référé n’est pas repris au sein de cette étude. Seuls les référés ayant permis au juge des référés de faire évoluer son office seront étudiés. De plus, nous ne mentionneront pas toutes les ordonnances prises, par exemple, sur le fondement de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative car même si elles reconnaissent de nouvelles libertés fondamentales, elles n’influent pas sur l’office de ce juge. Il en sera de même pour les ordonnances de référé-suspension ; sinon le sujet aboutirait à un véritable catalogue des ordonnances de référé concurrençant le Recueil Lebon, ce qui n’est pas notre objectif.

41. Incontestablement, la notion qui nous préoccupe le plus dans cette étude est celle de « l’office du juge des référés », objet et âme du juge des référés, conditionnant la mise en œuvre de l’ensemble des procédures de l’introduction de la requête au prononcé de l’ordonnance, voir même jusqu’aux répercussions de sa décision.

La question qui se pose est : quel est l’office du juge administratif des référés ?

42. Maintenant que l’objet de l’étude est clairement délimité – l’office du juge administratif des référés – l’étape suivante est celle de retracer la démarche de ce juge des référés.

Pour mieux comprendre cette démarche, il faut faire un point sur les différents protagonistes. Quatre ans après l’entrée en vigueur de la loi du 30 juin 2000, Monsieur D. LANZ63 dressait le bilan de ce qu’avaient gagné les différents acteurs des procédures d’urgence.

Tout d’abord, le requérant y a gagné en simplicité, rapidité et efficacité.

Ensuite, l’administration y « gagne beaucoup en rapidité. Ce n’est pas toujours agréable [selon Monsieur D. LANZ] de s’entendre dire qu’on a probablement commis une

illégalité, mais l’administration de bonne foi préfère souvent savoir rapidement à quoi s’en tenir, pour éventuellement corriger l’erreur et repartir du bon pied, y compris à l’audience ».

Ce contentieux étant souvent triangulaire, le tiers saura, comme pour l’administration, ce qu’il peut ou ne peut pas faire.

Enfin, le juge a gagné en « rapidité, efficacité, oralité, [ce] qui permet une compréhension

meilleure des pièces du dossier. On peut faire préciser les choses à l’audience. Le juge ne

63 D. LANZ, Procédures d’urgence : qu’ont gagné les différents acteurs ?, colloque sur les référés administratifs du SJA, 4 juin 2005, www.sja-juradm.org.

se contente plus seulement de résoudre des questions compliquées, et de bâtir de belles constructions intellectuelles, mais il a aussi plus le sentiment d’être directement efficace ».

43. Ainsi, force est de constater, que sur la forme, de nouvelles règles procédurales plus simples et allégées ont été introduites par cette loi de 2000.

Sur le fond, l’office du juge des référés se trouve bouleversé dans son ensemble. Le juge, conformément au souhait du législateur, s’est placé au cœur des procédures de référé et il en devient le maillon central disposant de nouvelles fonctions mais aussi de nouvelles responsabilités.