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CHAPITRE I : RECENSION D’ÉCRITS

1.8 Problématique

À partir de la recension des écrits des différentes recherches faites sur l’homicide conjugal depuis environ les 15 dernières années, nous avons pu observer que certains constats au sujet de ce crime font l’unanimité auprès des chercheurs alors que d’autres se révèlent contradictoires. Bien que les résultats d’études disponibles sur les homicides conjugaux apportent leur lot de connaissances sur le crime lui-même et sur les acteurs impliqués, ces connaissances restent descriptives et nous semblent peu contribuer à la compréhension de la dynamique conduisant à l’homicide. Certains manques ont notamment été relevés dans les écrits concernant les hommes qui tuent leur conjointe.

De fait, les recherches antérieures, essentiellement quantitatives, ont principalement porté sur les facteurs de risque entourant l’homicide conjugal sans toutefois chercher à leur donner un sens. Il nous est apparu qu’une approche qualitative pourrait permettre non seulement d’approfondir les connaissances sur les homicides conjugaux, mais aussi de cerner la dynamique menant à un tel crime.

Au plan méthodologique, différentes sources de données ont été utilisées par les chercheurs, telles les statistiques concernant l’homicide conjugal généralement bâties à partir d’informations trouvées dans les dossiers de différents corps policiers. Certaines recherches, comparant des hommes ayant tué leur conjointe à d’autres types de meurtriers ou d’hommes violents, mais non meurtriers envers leur conjointe, ont aussi été réalisées. D’autres recherches, plus qualitatives, sont basées sur des entrevues réalisées avec des hommes qui ont tué leur conjointe et qui sont incarcérés pour ce crime, ou encore sur des entrevues avec des proches de la victime et de l’agresseur.

Ces recherches s’appuyant sur une méthode qualitative, particulièrement celles faites auprès des hommes ayant tué leur conjointe, semblent avoir été menées de façon à recueillir des informations spécifiques. Les principaux thèmes abordés sont l’enfance et l’adolescence de l’homme, la dynamique de la relation entre les conjoints, le contexte entourant le crime ou les raisons immédiates du passage à l’acte. On peut alors parler de cueillette d’informations factuelles et précises concernant la situation des hommes auteurs d’uxoricide. À cet effet, certaines sphères de la vie de ces hommes, présumées en lien avec l’homicide, ont été retenues et examinées en profondeur.

À notre connaissance, aucune étude ne s’est intéressée au déroulement général de la vie des hommes ayant tué leur conjointe, en mettant l’accent sur les événements qu’ils ont vécus tout au cours de leur vie et qui ont pris un sens particulier pour eux.

Agnew (2006), et sa notion de trajectoire de vie, apportent une nouvelle conception de l’étude de la criminalité. L’auteur mentionne que, dans l’étude des crimes, les chercheurs ne se concentrent que sur deux types de facteurs : les facteurs antérieurs, comme l’enfance ou la supervision parentale, et les facteurs situationnels entourant le moment où le crime prend place. L’auteur mentionne que le fait de négliger la période se situant entre les facteurs se rapportant à l’enfance et les facteurs situationnels entraîne un manque dans la recherche liée à la criminalité. Agnew (2006) rapporte que lorsque les délinquants sont questionnés sur les raisons faisant en sorte qu’ils ont commis un crime, ceux-ci vont raconter une histoire immédiate qui explique comment ils en sont venus à commettre ce crime. Mais cette histoire prend possiblement assise bien plus tôt dans la vie de l’homme, et son dénouement doit alors être considéré comme un dénouement, et non pas un accident de parcours.

Dans notre recherche, nous nous sommes inspirée de la stratégie d’Agnew (2006) qui consiste à considérer la vie de l’homme comme une trajectoire faite d’un enchaînement événementiel s’étendant de l’enfance au crime. Nous nous sommes aussi intéressée, au-delà des événements mentionnés par les interviewés, à la signification que ces événements avaient prise pour eux et aux réactions qu’ils avaient, de l’avis des répondants, provoquées. Nous avons considéré qu’une telle approche pourrait amener à identifier un ou des éléments, voire un enchaînement d’événements, déterminants dans la vie des hommes interrogés et qui auraient finalement conduit ceux-ci au passage à l’acte.

Dans notre recherche, les éléments déterminants se définiront à travers les différentes séquences d’événements vécus par les hommes rencontrés en entrevue. En d’autres termes, il ne s’agit pas de tenter de voir si les homicides conjugaux entrent dans les catégories de trajectoires de vie les plus fréquentes, mais bien de prendre l’approche proposée par Agnew (2006) comme un cadre guidant l’analyse des données de cette recherche, quitte à découvrir l’existence de nouvelles trajectoires de vie.

En somme, à partir de la recension des écrits que nous avons réalisée, un constat important s’est imposé : il ne semble pas y avoir de données permettant d’appréhender la dynamique susceptible d’avoir conduit des hommes à tuer leur conjointe. La présente recherche, qui est exploratoire, a voulu contribuer à combler cette lacune, en postulant que les déterminants de la dynamique conduisant au passage à l’acte se retrouvent dans l’enchaînement des événements de la vie des individus et non dans une caractéristique ou dans la présence d’un facteur de risque en particulier. Un regard sur l’enchaînement des différents événements de la vie de ces hommes, tel que dessiné par eux-mêmes à travers le récit rétrospectif de leur vie, nous est apparu être une approche novatrice pour ce type de crime violent. Nous avons pensé qu’une telle démarche permettrait de mieux connaître les hommes rencontrés dans le cadre de cette recherche et de mieux cerner leur vie d’une façon dynamique jusqu’au moment où se produit l’événement fatal de l’homicide de leur conjointe ou ex-conjointe. Il s’agit de constater la place que ces différents événements ont prise dans la vie de l’individu et ainsi connaître de quelle façon ceux-ci se répercutent dans leur quotidien et dans leurs façons de gérer leurs relations. En somme, il s’agit de découvrir le sens que ces hommes donnent à ce qu’ils ont vécu dans leur vie jusqu’au moment de l’homicide et d’en dégager, le cas échéant, des pistes de compréhension du passage à l’acte homicidaire. Ultimement, il s’agit d’en tirer des éléments de prévention.

Le prochain chapitre précise les objectifs de notre étude ainsi que la méthodologie qui a soutenu sa réalisation.

CHAPITRE II