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Chapitre 2 : Problématique, modèle d’analyse, observation et analyse

2.1. Problématique et question de recherche

Le portrait statistique au plan international des AF indique des enjeux semblables auxquels doivent faire face ces travailleuses et qui les placent dans une situation de vulnérabilité. Les AF sont notamment soumises à des conditions difficiles d’emploi, des situations précaires les exposant à de l’exploitation et de l’abus ainsi qu’à une exclusion partielle ou totale de la protection sociale et juridique, conséquence des lacunes au niveau de la législation nationale et transnationale. Ces conditions de travail et de vie rendent difficile l’intégration sociale et économique de celles-ci aux pays d’accueil, notamment l’intégration au segment primaire du marché du travail.

Le Canada n’y fait pas exception. Les AFR qui viennent au Canada sous le PAFR, en majorité des femmes détenant des diplômes d’études postsecondaires dans leur pays d’origine, subissent une importante déqualification professionnelle. D’une part, les écrits expliquent la déqualification professionnelle des immigrantes qualifiées par la non-reconnaissance des qualifications étrangères, par les stratégies et les obligations familiales et par les pratiques des employeurs. Pour ce qui est des auteurs analysant la situation de déqualification

professionnelle spécifiquement des AFR au Canada (Atanackovic & Bourgeault, 2014 ; Castonguay, 2008 ; Kelly, Astorga-Garcia & Esguerra 2009 ; Spitzer & Torres, 2008), ils vont dans le même sens en soulevant que ces trois facteurs influencent la déqualification dont elles sont victimes. De plus, la recension des écrits sur le sujet de la déqualification professionnelle des immigrantes qualifiées soulève que les trois premiers obstacles ont aussi un impact sur la requalification de celles-ci (Germain, 2013).

Notre recherche vise donc à savoir si la reconnaissance des qualifications étrangères, les stratégies et obligations familiales ainsi que les pratiques des employeurs ont un impact sur la requalification professionnelle ultérieure des AFR ayant immigré sous le PAFR. Le statut temporaire sous lequel elles se retrouvent ainsi que les pratiques des agences privées d’emploi, créant notamment de l’endettement, se rajouteront aux variables qui pourraient influencer leur requalification professionnelle.

Donc, la question de cette recherche est :

COMMENT LE PASSAGE PAR LE PAFR, DE MIGRANTES QUALIFIÉES, AFFECTE LEUR

REQUALIFICATION PROFESSIONNELLE ULTÉRIEURE ?

Le sujet de la requalification professionnelle est pertinent pour le champ des relations industrielles. Bien qu’il ait été indiqué que les migrantes subissaient une importante déqualification professionnelle en raison de leur passage par le PAFR, la question de la requalification professionnelle des AFR a été peu explorée. De plus, bien que l’on puisse comparer leurs situations à celle des immigrantes qualifiées ayant immigré sous le système d’immigration permanente, la comparaison ne peut se faire qu’en partie étant donné que les sujets ont migré sous un programme spécial de main-d’œuvre du gouvernement fédéral renfermant des obstacles différents. En plus d’une pertinence scientifique, cette

problématique présente une importante pertinence sociale. En effet, le PAFR fait depuis sa création l’objet de fortes critiques par rapport aux conditions qu’il impose aux femmes (statut temporaire, permis de travail nominatif et obligation de résidence). Ce sujet est d’autant plus pertinent dans le contexte des changements au PAFR de novembre 2014, qui peuvent créer une situation d’incertitude pour celles déjà au Canada et celles prévoyant une migration sous le nouveau programme.

De plus, prendre en compte l’intersection des discriminations pour analyser une telle problématique est inévitable. Les immigrantes et les migrantes racisées seraient les plus touchées par la discrimination, celle menant à la déqualification professionnelle. Le sexe, la race ou la classe pris séparément ne priment pas pour expliquer une inégalité. Il n’y a pas de facteur unidimensionnel pour expliquer ce phénomène, mais plutôt un processus dynamique (Chicha, 2009, 2013).

Ensuite, l’analyse féministe des mouvements migratoires pour comprendre les impacts de la mondialisation est pertinente. Falquet (2006) indique que la mondialisation a permis à plusieurs femmes de pays industrialisés d’avoir accès à des emplois rémunérés conduisant à une meilleure autonomie financière et émancipation. Les luttes féministes ont conduit les femmes citoyennes de plusieurs pays industrialisés à refuser les emplois précaires de « travailleuses domestiques ». Ces activités ont alors été relayées à des femmes migrantes. La mondialisation de la circulation des femmes qui exercent ces activités permet alors de « dé- professionnaliser » et de « re-domestiquer » les activités de ce secteur, tout en s’appuyant sur la précarité juridique, la stigmatisation et le racisme  (Lauthier, 2006). La mondialisation, sous l’idéologie néolibérale, a précarisé le travail de beaucoup de ces femmes venant notamment de pays pauvres. Certains tentent de montrer les femmes comme actrices et stratèges de leur

propre migration. Cependant, ces migrations sont très souvent surdéterminées par des logiques et des responsabilités familiales (Falquet, 2006).

Il est aussi important de mentionner qu’explorer le parcours professionnel des AFR qui font face à la dévaluation de leurs compétences est un enjeu politique, parce qu’elle met en cause les dispositions du PAFR, programme du gouvernement fédéral. Ce projet aborde aussi un enjeu social, parce qu’il met en lumière la réalité d’une proportion marginalisée de la société. Enfin, il se positionne également comme un enjeu économique, parce qu’il est question d’une perte de compétence menant à la requalification professionnelle, stratégie pour l’intégration au segment primaire du marché du travail.