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La déqualification professionnelle des aides familiales résidantes

Chapitre 1 : Revue de littérature

1.4. La situation professionnelle des aides familiales résidantes à la suite du PAFR

1.4.3. La déqualification professionnelle des aides familiales résidantes

Quand on regarde le portrait de la situation professionnelle des AFR venues sous le PAFR (Atanackovic & Bourgeault, 2014 ; Castonguay, 2009), tout comme les constats sur les immigrantes venues sous le système permanent d’immigration (Chicha, 2012 ; Kelly, Astorga- Garcia & Esguerra 2009 ; Man, 2003 ; Rojas-Viger, 2006), on peut faire l’hypothèse que leur intégration au Canada est associée dans la plupart des cas à une mobilité sociale descendante. Le concept de mobilité sociale est le changement de statut social des individus dans le temps. Oso Casas (2002) cite Sorokin dans son article Social and Cultural Mobility (1964) pour expliquer les dimensions de l’espace social, soit la dimension horizontale et la dimension verticale. La mobilité horizontale est le fait de changer d’appartenance à l’un ou à l’autre groupe du même niveau de l’échelle sociale tandis que la mobilité verticale est le changement de position dans la hiérarchie sociale. On parle donc de mobilité verticale quand on fait référence à une régression ou une progression.

Justement, l’étude de Oso Casas (2002) concernant les « domestiques » en Espagne ainsi que l’étude de l’OIT (2013) concernant les AF immigrantes en Belgique, en France, en Italie et en Espagne, rapportent des constats semblables. Les deux études, qui examinaient l’intégration de ces immigrantes dans le pays d’accueil, affirment entre autres que les femmes migrantes dans le « travail domestique » sont dans la situation la plus précaire, lorsqu’on les compare aux autres catégories de travailleuses. De plus, ces deux mêmes études rapportent que ces travailleuses ont besoin de certains facteurs pour pouvoir améliorer leurs conditions de travail ou progresser verticalement, soit : l’acquisition d’un statut d’immigration régulier ;

l’accès à un réseau de soutien ; l’accès à de l’information à propos de leurs droits ; l’acquisition de compétences linguistiques ; la reconnaissance des diplômes et qualifications ; ainsi que l’accès sur une base égale aux autres travailleuses et travailleurs à la formation, aux compétences et aux qualifications (OIT, 2013). Oso Casas (2002), par ses conclusions, affirme par ailleurs que, « fréquemment des facteurs d’ordre micro et macro structurels empêchent d’atteindre les buts fixés » (p.303). Elle affirme que malgré les décisions individuelles de ces travailleuses, les objectifs d’ascension sociale (notamment au niveau professionnel) ne sont pas souvent atteints. Leur situation peut même régresser socialement. Oso Casas (2002) explique également que les projets migratoires de ces femmes étaient motivés par ce que l’auteure appelle des stratégies familiales et des stratégies individuelles. L’auteure indique que, parmi ses interlocutrices, certaines exerçaient dans leur pays d’origine une occupation comme maîtresse d’école, infirmière, psychologue, secrétaire, employée de banque, ouvrière et étudiante, et qu’immigrer pour devenir AF était un pas en arrière dans l’échelle sociale. Elle indique aussi que, même pour celles qui étaient « maîtresses de maison » (p.290) dans leur pays d’origine, elles vivaient un sentiment de dévalorisation sociale dans le pays d’accueil puisqu’elles « ramassaient la poussière d’autrui » (p.290) et non la leur qui était considérée comme ce qui était « naturel » (p.290). L’auteure, pour expliquer le fait qu’il était exceptionnel que ces femmes puissent obtenir un emploi mieux perçu socialement, aborde en premier lieu l’obstacle de la dette de celles-ci contractée pour la migration (comme déjà développé précédemment) et les facteurs externes en deuxième lieu. Pour ce qui est des facteurs externes, elle en constate quelques-uns. Elle nomme la non-reconnaissance des diplômes en Espagne qui empêche ces femmes de se trouver un emploi dans leur domaine initial. Elle rapporte aussi le facteur des réseaux sociaux ethnoculturels dans lesquels ces femmes s’insèrent et qui ne

« facilitent pas la recherche d’un emploi autre que celui qu’elles trouvent dans le service domestique » (p.296).

Plusieurs auteurs affirment que la constitution de réseaux sociaux ethnoculturels peut avoir un effet sur la déqualification professionnelle de la travailleuse (Atanackovic & Bourgeault, 2014 ; Chicha, 2012 ; Kelly, 2009 et 2008 ; Oso Casas, 2002 ; Pratt & Pendakur, 2003). Les répondants de l’étude de Kelly, Astorga-Garcia et Esguerra (2009) disaient compter sur leurs réseaux ethnoculturels (famille, amis, entourage) pour leur recherche d’emploi. Les auteurs indiquent cependant que le fait que les Philippines comptent sur d’autres Philippines reproduit des niches professionnelles existantes  qui sont caractérisées par des emplois non qualifiés et de bas salaires. Ils ajoutent que le fait de compter sur seulement ces réseaux informels peut mener à l’auto-entretien  de cette segmentation professionnelle. Les conséquences de la marginalisation des minorités ethniques dans les emplois à bas salaires affectent ces gens, et ce, en raison d’un effet de chaîne (Kelly, Astorga-Garcia & Esguerra 2009). En plus de vivre une dévalorisation quand elles commencent en tant qu’AF, il est constaté par ces auteurs que ces femmes, qui par leur stratégie de mobilité, entrevoyaient ce métier comme transitoire, restent souvent coincées dans cette situation.

Selon les constats d’Atanackovic et Bourgeault (2014), la situation des AFR au Canada est semblable à celles vécues à l’international. La vaste majorité des AFR ayant immigré sous le PAFR et ayant maintenant leur résidence permanente s’insèrent dans une strate inférieure à celle à laquelle elles appartenaient dans leur pays d’origine. Plus de 95 % des participantes possédaient un diplôme d’études postsecondaires et certaines, qui ont décidé de retourner travailler dans leur domaine, ont mentionné les obstacles qui ont nui à leur intégration. L’utilisation de réseaux ethnoculturels pour la recherche d’emploi est l’un des obstacles

mentionnés par les deux auteurs. Les travailleuses sous le PAFR affirmaient entretenir en majorité ou exclusivement des liens avec des gens de leur propre communauté culturelle. Plusieurs disaient pouvoir discuter avec des gens originaires du même pays de problèmes reliés à leur travail d’AF, de leurs problèmes personnels, de leurs questionnements par rapport aux papiers concernant l’immigration, etc. De plus, en parlant d’employabilité, elles ont aussi, tout comme dans l’étude de Kelly, Astorga-Garcia et Esguerra (2009), affirmé en majorité dépendre de leur réseau ethnoculturel pour leur recherche d’emploi. En contraste avec l’utilisation massive des réseaux informels, elles ont dit utiliser très peu ou pas du tout les services offerts aux immigrantes et immigrants pour l’intégration en emploi.

Lors de leur intégration au pays sous le PAFR, ces femmes seraient exposées à des obstacles qui auront des impacts lorsqu’elles auront terminé l’obligation de 24 mois de travail en tant qu’AFR et qu’elles voudront trouver un autre emploi. Tout d’abord, le programme fait en sorte qu’elles ne pratiquent pas pour au moins 24 mois leur profession. À ce sujet, Kelly, Astorga-Garcia et Esguerra (2009) indiquent que le fait que l’État oblige la travailleuse à travailler dans un domicile en tant qu’AFR pendant deux ans avant de pouvoir postuler pour un autre emploi ou d’adapter sa scolarité aux exigences canadiennes est un problème structurel du PAFR. Elles ne peuvent adapter leur scolarité aux exigences canadiennes, parce qu’elles n’ont pas le droit de suivre des cours de plus de six mois crédités si elles n’ont pas de permis d’étude (Atanackovic & Bourgeault, 2014). Hodge (2006), va dans le même sens. Ces femmes, compte tenu des structures restrictives des conditions de travail que le programme impose, n’ont pas non plus l’argent ou le temps pour ajuster leurs compétences aux exigences canadiennes dans le but de se trouver un autre emploi. De plus, elles viennent ici en majorité en parlant anglais et travaillent dans un environnement où la famille communique en anglais,

ce qui fait qu’elles n’ont pas d’occasion d’apprendre ou d’améliorer leur connaissance du français. Selon l’étude d’Atanackovic et Bourgeault (2014), tout comme celles qui ont continué de pratiquer l’emploi d’AF, l’anglais était la langue utilisée majoritairement par ces femmes (62,2 %) dans leur milieu de travail.

Ensuite, après avoir obtenu leur résidence permanente, elles continuent de faire face à des obstacles. Avec la possibilité de résidence permanente pour leur famille et elles, l’emploi d’AFR est souvent vu comme transitoire. Plusieurs restent cependant à long terme à travailler en tant qu’AF ou dans un autre emploi dit « de survie », souvent non qualifié et caractérisé par des conditions précaires. Le temps requis pour se former au Canada peut aussi en décourager plusieurs et les coûts requis peuvent être inabordables, surtout lorsque la travailleuse a des membres de sa famille dépendants de ses revenus, qu’ils soient arrivés ou non au pays.

Finalement, en plus des effets du programme considéré comme étant la base de la déqualification professionnelle, le manque de reconnaissance des qualifications étrangères, l’accès aux réseaux ethnoculturels pour la recherche d’un emploi ainsi que les coûts sont les quatre facteurs identifiés par les auteures qui mènent à une déqualification professionnelle.