• Aucun résultat trouvé

Au chapitre précédent, j’ai présenté la littérature scientifique portant sur la situation des femmes minoritaires en contexte de violence conjugale. J’ai brossé un tableau des divers obstacles et situations rencontrés par des femmes minoritaires quant au recours à l’aide. Toutefois, peu d’études se sont intéressées aux réalités des femmes minoritaires et plusieurs s’intéressent à des groupes spécifiques (allophones, hispanophones, arabo-musulmanes, etc.). Or, les femmes minoritaires seraient plus vulnérables à la violence. Selon Burman et al. (2004) cités par Strid et al. (2013), omettre les dimensions de classe et de « race » dans l’appréhension de la violence conjugale mène à l’exclusion des femmes minoritaires quant à l’accès aux services de soutien60. Il est donc important d’inclure leurs voix afin de cibler les

stratégies adéquates pour l’action politique. Avec cette préoccupation en tête, ce mémoire de

60 Burman, Erica, Sophie Smailes, and Khatijda Chantler. “Culture’ As a Barrier to Service Provision and Delivery: Domestic violence Services for Minoritized women”, Critical Social Policy, 24 (3), 2004, p.332 – 57.

69

maîtrise vise à accroître les connaissances quant aux expériences de femmes immigrantes racisées à Montréal. Je me suis donc demandé :

« Comment la position sociale de « femme immigrante racisée » peut-elle influencer la trajectoire de recours à l’aide dans un contexte de violence conjugale? Quels obstacles peuvent être rencontrés et quels éléments peuvent faciliter ce recours? »

L’objectif de cette recherche est double. D’une part, je souhaite recueillir la parole de femmes racisées ayant vécu de la violence conjugale pour contribuer à l’amélioration des pratiques d’intervention et faciliter le recours à l’aide. D’autre part, il consiste à mettre à l’épreuve la théorie intersectionnelle en l’appliquant empiriquement.

Échantillonnage

J’ai préconisé une approche qui visait à expliquer la réalité de femmes immigrantes à partir de leur perspective. Comme je cherchais à connaître l’expérience de femmes qui ont vécu une situation réelle de violence conjugale, j’ai choisi de m’adresser à elles directement.

La recherche s’est déroulée à Montréal. D’abord, parce qu’à Montréal, il y aurait davantage de ressources. Ensuite parce qu’elles seraient accessibles (transport en commun, protocole de collaboration entre le SPVM, le CAVAC et les CLSC, ressources d’hébergement et ligne téléphonique spécialisées en matière de violence conjugale multilingue) et que malgré tout, le recours à l’aide serait parsemé d’obstacles. Il devient donc intéressant de les connaître afin de faciliter l’accès aux ressources.

Pour répondre à ma question de recherche, j’avais besoin d’un échantillon homogène, c’est-à-dire d’un échantillon composé de : a) femmes immigrantes; b) ayant vécu une situation de violence conjugale; c) qui peuvent être susceptibles de vivre des inégalités sociales qui mènent à leur racisation; et d) qui peuvent me parler de leur expérience de recours à l’aide, des obstacles qu’elles ont rencontrés et de ce qui les a aidées.

Premièrement, tel que je l’ai mentionné au chapitre trois, je ne ferai pas de différence entre la « racisation » et « l’ethnicisation », puisque cette assignation renvoie au même phénomène de différenciation sociale. D’ailleurs la race n’existe pas. C’est plutôt la croyance en une différence biophysique qui assigne les identités (Guillaumin, 2002). Or, la marque physique, à laquelle Guillaumin fait allusion, réfère à un marqueur identitaire, qui sert à la différenciation de l’ « Autre » par rapport au groupe dominant. Dans ce cas-ci, aux Occidentaux. Ainsi, le critère d’opérationnalisation du concept de racisation était l’origine nationale combinée à la possibilité de vivre des inégalités sociales légitimées par la différenciation en tant que non-occidental-e. C’est-à-dire toute personne d’origine autre que britannique ou française (puisque ce sont les peuples dits fondateurs), mais susceptible de vivre des inégalités sociales qui la placent en situation de minorité. Cette situation pourrait être attribuée par les marqueurs identitaires suivants : la couleur de la peau, la confession religieuse, la culture, l’origine nationale, l’accent ou le fait de ne pas maîtriser le français. J’ai inclus ces deux derniers critères, puisqu’au Québec, la langue demeure un enjeu majeur. 61

61 D’ailleurs, il faut comprendre les rapports entre minoritaires et majoritaires, en tenant compte de la position des Québécois en tant que groupe minoritaire par rapport au reste des Canadiens (Juteau, 1999). De plus, McAll (1992) a noté que le marché du travail était divisé selon des frontières ethnolinguistiques, tel que je l’ai

71

À l’égard des inégalités sociales, au chapitre précédent, j’ai mobilisé les données de Statistique Canada de 2011 pour rendre compte du fait que les femmes immigrantes présentent un taux de chômage plus élevé et une rémunération inférieure aux femmes nées au Canada. Toutefois, cela ne veut pas dire que malgré la possibilité de vivre des inégalités cette racisation est déterminante pour l’expérience de la personne. En outre, cela n’élimine pas les possibilités et les stratégies d’action pour surmonter ces possibles inégalités.

Deuxièmement, les femmes composant l’échantillon devaient être immigrantes et âgées de plus de 18 ans au moment de leur arrivée au Canada. Ce choix méthodologique permettait ainsi de révéler les contraintes potentielles liées à cette position sociale : la perte de réseau social, la méconnaissance de la langue ou du système, l’isolement, la difficulté à trouver de l’emploi, la non-reconnaissance des diplômes, la transformation des rôles liés au genre, les difficultés reliées aux impacts des lois d’immigration.

Troisièmement, les femmes interrogées devaient avoir vécu une situation de violence conjugale, sans exclusion quant aux formes de violences (psychologique, verbale, économique, sexuelle ou physique). À cet effet, je ne m’intéressais pas à une forme particulière de violence, mais plutôt à leur expérience de recours à l’aide. Donc, le critère était d’avoir vécu de la violence conjugale perpétrée dans le cadre d’une relation conjugale, que ce soit pendant la relation ou après la fin de la relation. Pour m’assurer de constituer un échantillon fidèle à ce critère, j’ai recruté mes participantes auprès d’organismes d’aide aux mentionné au chapitre précédent. Tandis que Damant et al. (2015) ont relevé les oppressions linguistiques vécues par des mères racisées victimes de violence conjugale à Montréal.

femmes victimes de violence conjugale. Partant de la prémisse que peu de femmes ont recours aux ressources de soutien, celles qui y ont recours sont susceptibles d’avoir effectivement vécu de la violence conjugale62. Par ailleurs, afin que les souvenirs associés aux épisodes de violence ne soient pas trop lointains dans la mémoire des femmes interrogées, les événements reliés à l’expérience de violence conjugale devaient s’être déroulés préférablement dans les deux ans précédant l’entrevue.

Compte tenu du fait que cette étude reposait sur des ressources financières limitées, je ne pouvais me permettre d’engager des interprètes. Par conséquent, le fait de ne pas parler français, anglais ou espagnol constituait un critère d’exclusion. De plus, pour éviter des risques de représailles de la part de l'agresseur-e ou des agresseur-e-s, le fait de vivre de la violence conjugale au moment de l’entrevue constituait le deuxième critère d’exclusion. Par ailleurs, ce critère permettait un certain recul face à la situation vécue pour les femmes interrogées, assurant ainsi une meilleure rétrospective des événements.

Les entrevues se sont déroulées du mois d’août au mois de décembre 2016. Le tableau suivant décrit le profil des participantes.