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Ainsi, ne connaissant pas les ressources, on pourrait penser que le recours à l’aide ne survient que lorsque la séparation est envisagée. Or, pour certaines femmes, leur contexte de vie rendait la séparation impensable, voire impossible.

Pour Lisa, la méconnaissance de la langue avait nui à ses possibilités d’emploi. D’autres femmes mentionnent cette même difficulté. Ainsi, lorsque je demande à Rebecca pourquoi c’était difficile d’avoir un bon emploi, elle me répond qu’elle devait améliorer sa maîtrise de la langue, mais qu’elle ne pouvait pas s’y consacrer, car elle devait travailler : « C’est difficile parce que je n’ai pas un bon vocabulaire, j’ai besoin d’apprendre encore et encore mais je ne peux pas, parce que si je vais à l’école, qui va payer mes comptes? ».83

Par ailleurs, Leah et Lisa évoquent l’incidence de leurs difficultés à communiquer en français sur la création d’un réseau social. Ainsi, suite à l’immigration, les femmes se Ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion. Immigrer et s’installer au Québec. Gouvernement du Québec, 2006, mis à jour le 9 août 2017, en ligne au : http://www.immigration-

quebec.gouv.qc.ca/fr/index.html, consulté le 15 août 2017.

81 -Me I didn’t know, before, for CLSC, for (organisation) but when I came… I feel better, I feel like I’m not alone.

82 Rebecca a été parrainée par son conjoint qui était un ami de la famille. Elle est tombée enceinte rapidement suite à son arrivée. Elle ne parlait ni français ni anglais à son arrivée.

83 “It’s difficult because I don’t have a good vocabulary, I need to learn again and again but I cannot, because if I go only to the school, who gonna pay my bills?”

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retrouvent seules, ayant laissé leurs familles et amis dans leur pays d’origine. Même celles qui maîtrisent la langue avaient été confrontées à l’isolement. Lisa affirme que l’isolement a eu un impact significatif sur la conciliation travail-famille, ce qui rendait la séparation difficile à envisager. D’ailleurs, une participante explique devoir rester dans la relation, car elle s’inquiète quant à sa condition financière et aux horaires de travail en l’absence de membres de la famille pour garder son fils :

Ouais, parce que la première question c’est : pourquoi? Pourquoi tu as vécu si longtemps avec lui? Ils ne peuvent pas comprendre. Et quand je dis parce que, j’ai pas de famille et j’avais peur. Qu’est-ce que je peux faire? Si je vais seule, je dois payer pour tout toute seule, je dois prendre soin de mon fils toute seule. Et mon travail doit être exactement scédulé de 9 à 5 et beaucoup de choses… […] Et en plus, j’ai pas de famille pour prendre soin de mon fils […].84. -Rebecca.

Néanmoins, la majorité indique avoir réussi à se créer un réseau, qui, à un moment ou l’autre, a pu aider, mais davantage matériellement. Cette aide avait été appréciée comme le souligne une participante, puisque sa situation économique était précaire lors de sa séparation et elle se rappelait ses difficultés pour s’insérer sur le marché de l’emploi.

Outre la conciliation travail-famille, Lisa mentionne plusieurs défis liés à l’intégration en emploi : la méconnaissance du système, ainsi qu’une santé mentale fragilisée par une combinaison de facteurs. Elle indique que le manque d’informations et de moyens financiers pour étudier afin d’améliorer ses possibilités d’emploi ¾en l’absence de soutien de la part de son conjoint¾ lui avait nui. D’autres participantes mentionnent également cette absence de soutien pour étudier. Ainsi, Leila dit qu’elle avait demandé à son conjoint de l’aide pour une

84 Yeah, because the first question is: why? Why, you was living long time with him? They cannot understand. And when I tell because I have no family and I was afraid. What can I do? If I go alone, I have to pay everything alone, I have to take care of my son alone. And my job must to be like exactly schedule 9-5, and many things… […]And plus, I have no family to take care of my son […].

formation afin de retourner sur le marché de l’emploi, mais il n’avait pas voulu. Il lui disait qu’elle ne serait pas capable, la faisant douter de ses capacités. De plus, Lisa affirme que la violence conjugale combinée au stress lié à la maternité et aux conditions de vie quant à l’immigration (adaptation, isolement) avaient fragilisé son état psychologique et par conséquent, retardé son intégration sur le marché de l’emploi. Une participante mentionne certains éléments (la maternité, l’isolement) et indique que sa situation financière s’en était ressentie :

Oui je vivais trop de stress en même temps et en plus j’étais enceinte. Puis j’étais toute seule, puis c’est pour ça. […] Financièrement j’avais beaucoup d’instabilité. J’avais un emploi, sauf que à cause de mes malaises de grossesse, je manquais toujours. - Nadia.

Aussi, le statut d’immigration avait un impact sur les possibilités de travailler, comme l’indique une participante. Celui-ci lui accordait la possibilité de travailler pour un nombre d’heures maximal, alors elle ne pouvait gagner suffisamment d’argent pour vivre et payer la garderie: « […] je pourrais retourner travailler […] mais c’est impossible parce que je dois payer la garderie, carrément tout ce que je gagne. J’ai droit à 20h de travail par semaine et la garderie coûte au moins 35$ par jour, du coup… » -Lana85.

Ces circonstances affaiblissent leur situation financière et compromettent leurs possibilités de quitter la relation.

De plus, cette décision était également influencée par leur rôle de mère. Une femme mentionne l’impossibilité de pouvoir retourner dans son pays avec ses enfants. Elle explique que son conjoint refusait de signer l’autorisation requise. Une autre femme dit qu’elle a préféré fermer les yeux sur sa situation, puisque c’était déjà assez difficile d’être tombée

85 Lana est venue étudier au Québec, elle a rencontré son conjoint ici et a eu un bébé peu de temps après son arrivée.

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enceinte dans un contexte d’isolement, alors elle ne voulait pas se séparer : « C’était déjà assez difficile d’être tombée enceinte sans famille, sans amis, et j’ai dit… j’y ai pas donné trop d’importance. J’ai décidé de ne pas y accorder trop d’importance.86. -Lina87.

Le fait de ne pas être prête à quitter la relation était également en lien avec la préoccupation de l’impact d’une séparation sur les enfants, comme Lisa le mentionne. Une participante évoque également cette crainte, tandis qu’une autre femme affirme qu’elle s’inquiétait pour le sort des enfants avec leur père suite à une séparation et se disait parfois que ce serait préférable de rester dans la relation pour les protéger :

[…] parce qu’on a l’impression que c’est mieux de retourner là-dedans et de se courber la tête et puis attendre que ses enfants grandissent. […] Moi j’étais là pour dire qu’y a des choses qu’on dit pas à un enfant, c’est comme tu dois pas parler comme ça à mon enfant. Moi j’étais là pour dire ça. –Nadia88.

La culture ne semblait pas influencer la décision de quitter la relation abusive. Cependant, Lisa mentionne l’importance de la famille, puisqu’elle pensait qu’une séparation ferait souffrir ses enfants. Une femme explique que dans sa « culture », le fait de vouloir préserver la famille est très important et par conséquent, cela l’empêchait de se séparer. Elle se disait qu’elle ne pouvait donc « détruire » sa famille, n’étant pas prête à prendre une telle décision. Une autre femme évoque également l’importance de la famille et du couple, se disant qu’elle pouvait endurer :

[…] si c’est au nom de la famille, ok, je peux tout laisser tomber, mais si c’est pas au nom de la famille, c’est pas la peine. […] je me serais même pas rendue compte à quel

86 […] ya era bastante difícil haber salido embarazada sin familia, sin amigos, y dije… no le tome mucha importancia. Decidí, no tomarle mucha importancia.

87 Lina était venue étudier au Québec, a rencontré son conjoint qui l’a finalement parrainée et elle est tombée enceinte dès le début de leur relation. Elle a alors opté pour fonder une famille et s’y consacrer comme femme au foyer tout en poursuivant ses études.

88 Nadia est venue étudier au Québec. Elle a rencontré son conjoint ici. Elle est tombée enceinte rapidement au début de la relation et a eu ses enfants dans un intervalle très court.

point c’est grave ce qu’il fait… parce qu’à chaque fois je me disais, bon, tous les couples ne sont pas parfaits donc moi je peux supporter encore un peu… je peux supporter. -Lana.

Leah mentionne qu’elle ne voulait pas que « les gens jugent son mariage » et c’est la raison pour laquelle elle ne voulait pas se séparer. Bien qu’elle affirme qu’il s’agissait d’une condition personnelle, on pourrait penser que le jugement des autres serait lié à la culture (qui régit les attitudes et les croyances) et que, par conséquent, une séparation serait inadéquate après seulement deux ou trois ans de mariage. Similairement, une femme avait mentionné que c’était mal vu de divorcer, alors elle ne pouvait quitter son conjoint, car elle n’était pas venue au Canada pour divorcer. Quant à la religion, Lisa juge que cette dernière faisait obstacle au divorce. Une autre femme souligne également cet obstacle.

En somme, la méconnaissance de la langue, l’isolement, la précarité financière, la maternité, la culture et la religion s’influencent et parfois s’imbriquent, limitant les possibilités de quitter la relation. Ces circonstances ont également un effet sur l’identification de la violence.