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Les condensateurs accordables étant amenés à être utilisés avec une tension de contrôle, l’application d’un champ électrique va entraîner une certaine conduction dans le BST, caractérisée par la mesure de courants de fuite. Ces mesures de courants en fonction de la tension I(V) sur des condensateurs MIM permettront par la suite d’étudier les mécanismes de conduction abordés dans le chapitre 1. Néanmoins, l’obtention du courant de fuite « réel » s’avère être complexe, nécessitant d’établir au préalable une procédure d’acquisition adaptée. En effet, les résultats de mesures I(V) peuvent varier suivant les conditions d’acquisition, à cause de la dépendance temporelle des courants de fuite [115]. L’étude de l’évolution du courant en fonction du temps est donc dans un premier temps nécessaire. Plusieurs phénomènes physiques peuvent se produire dans le matériau en réponse à l’application d’un champ électrique constant. Ces différents comportements, également dépendants de la température, induisent chacun une signature caractéristique sur les mesures de courants de fuite en fonction du temps, et vont se différencier en plusieurs régions sur les courbes. La Figure 2.20 présente un exemple typique de l’évolution temporelle du courant de fuite des titanates ferroélectriques.

Figure 2.20 : Exemple d’évolution temporelle du courant de fuite d’un condensateur à base de (Pb,Zr)TiO3 pour différentes températures [115].

ƒ Pour les basses températures, dans la partie initiale des courbes, le courant diminue avec le temps. Cette relaxation s’étalant parfois sur plusieurs centaines de secondes présente une constante de temps nettement supérieure au temps de charge du circuit de mesure, inférieur à la seconde pour les valeurs de résistance et capacité utilisées [182]. Différents mécanismes ont été proposés pour expliquer l’origine des courants de relaxation [115], tels que les modèles de « distribution de mécanismes de polarisation interfaciale » [183], « d’interaction à N corps » [184] et de « relaxation de charge d’espace » [185]. Ce n’est qu’après la stabilisation de ce courant de relaxations qu’il est possible d’étudier les courants de fuite « réel » du condensateur.

ƒ Après un certain temps sous la contrainte du champ électrique, le courant augmente jusqu’à un maximum. Ce régime de la courbe est dû à la dégradation de la résistance, largement reportée dans la littérature, pouvant être expliquée par différents modèles. L’explication la plus acceptée, proposée par Waser et al. [186] et complétée par Wouters [187], relie ce phénomène à la présence de lacunes d’oxygène dans le matériau. Sous l’effet du champ électrique appliqué, les lacunes ou leurs charges associées migrent vers la cathode. La modification spatiale de la concentration de porteurs change la conductivité du film. L’accumulation de lacunes chargées près de la cathode entraîne la modification du diagramme de bandes et une diminution de la hauteur de barrière à l’interface, ayant pour conséquence d’augmenter le courant. Ce mécanisme de dégradation est entièrement réversible comme l’ont montré Bouyssou et al. [107].

ƒ Après s’être stabilisé à un maximum, le courant diminue à nouveau après la dégradation de la résistance. Ce comportement, appelé par analogie restauration de la résistance, ne peut pas être interprété comme la réversibilité de la dégradation. Peu d’études peuvent être trouvées à ce sujet dans la littérature. Certains modèles ont été proposés, attribuant cet effet à la création de pièges dus à des lacunes cationiques ou des impuretés du matériau [110, 187, 188].

La mesure du courant de fuite en fonction du champ électrique peut être réalisée suivant différentes procédures. Les plus répandues sont, le mode Staircase pour lequel la tension est augmentée en escalier, et le mode Pulse pour lequel des paliers successifs de tension sont appliqués, séparés par des intervalles de mise en court-circuit. Dans cette étude, c’est le mode

Staircase qui a été utilisé, dont le profil temporel est présenté en Figure 2.21. Pour chaque palier, la tension est appliquée pendant un certain temps avant d’effectuer la mesure.

Figure 2.21 : Illustration d’une rampe de tension en mode Staircase.

Pour obtenir des courbes I(V) stables, il faut éviter de mesurer les courants de relaxation ou le phénomène de dégradation de résistance, qui vont perturber la mesure du courant de fuite « réel » comme l’illustrent les exemples en Figure 2.22. Pour éviter la mesure du courant de relaxation, une solution peut être d’augmenter le temps de palier avant la mesure en mode

Staircase, comme le montre la Figure 2.22(a). Une autre solution peut être de stresser le condensateur avant la mesure I(V), en lui appliquant une tension à haute température pendant un temps supérieur à la constante de temps de relaxation. Si le stress est trop long, la mesure I(V) peut être perturbée par la dégradation de la résistance, intervenant pendant l’acquisition, comme le montre la Figure 2.22(b).

Pour cette étude, les mesures ont été effectuées à l’aide d’une station de pointes Cascade Microtech, reliée à un Keithley 2636A SourceMeter Unit. Pour les acquisitions I(V) via la

méthode stair case, le temps de palier tp appliqué avant la mesure était de 400ms, et les hauteurs de marches ǼV était de 0,25V.

(a) (b)

Figure 2.22 : Exemples de perturbation de mesures I(V) [115]. (a) Effet des courants de relaxation sur l’allure des courbes, en faisant évoluer le temps de palier en mode Staircase : 1 s (S1), 10 s (S10)

et 100 s (S100). (b) Comparaison d’une mesure obtenue après la dégradation de la résistance (Jmax)

et d’une mesure où la dégradation intervient durant l’acquisition (Jmin).

III.B.2) Résultats expérimentaux

ƒ Mesure en fonction du temps

Dans un premier temps, des mesures temporelles du courant de fuite ont été effectuées, présentées en Figure 2.23. Les condensateurs de BST70 recuits à différentes températures ont été soumis à un champ de 700kV/cm, pendant 1800s à 85°C. A cette température, aucune relaxation du courant n’est observée, et la dégradation de la résistance est initiée aux alentours de 100s. Les valeurs de densité de courant obtenues sont élevées, et une légère augmentation est observée avec l’élévation de la température de recuit. L’absence totale de courant de relaxation va permettre de faciliter les mesures I(V) à l’aide d’un pré-stress de condensateurs.

Figure 2.23 : Mesure du courant en fonction du temps du BST70 recuit à différentes températures. Acquisition sous 700kV/cm à 85°C.

ƒ Mesure en fonction du champ électrique

Afin d’éviter de perturber la mesure I(V) par d’éventuels courants de relaxation et mesurer les courants de fuites réels, les condensateurs ont au préalable été stressés sous 700kV/cm à

85°C pendant 100s. Les plaquettes ont ensuite été trempées par contact avec une plaque de marbre à température ambiante pour figer le matériau dans cet état contraint.

Les mesures de densité de courant en fonction du champ électrique obtenues à différentes températures sont présentées en Figure 2.24. Les courbes ne sont pas perturbées, et comme attendu, une augmentation du courant est observée avec l’élévation de la température de mesure. A température ambiante, les densités de courants sont supérieures à 10-2A/cm², soit plus de trois décades supérieures aux valeurs maximum préconisées par le cahier des charges. Une légère augmentation du courant est également observée lorsque la température de recuit est augmentée.

Figure 2.24 : Evolution de la densité de courant en fonction du champ électrique à différentes températures

De telles courbes mesurées à différentes températures sont exploitables pour étudier les mécanismes de conduction gouvernant ces courants de fuite. Cette étude abordée dans la suite du manuscrit nécessite la connaissance de la permittivité diélectrique du matériau aux fréquences optiques, qu’il est possible de déterminer par ellipsométrie.