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Chapitre 1 – Etude bibliographique

III. D.1) Permittivité et accordabilité

Un exemple direct de la comparaison entre les propriétés diélectriques du BST déposé en couche mince avec une céramique d’une même composition a été proposé par Outzourhit et al. [62]. La céramique Ba0,1Sr0,9TiO3 présente une permittivité de plus de 5000 à 77K alors que la couche déposée sur un substrat de LaAlO3 (100) présente une permittivité de 480 à la même température, comme le montre la Figure 1.23. Cette chute de permittivité de plus d’un ordre de grandeur s’accompagne d’une forte chute de l’accordabilité (notée nr sur les graphiques) qui passe de 32,1% sous 1,5kV/cm pour la céramique à 5,2% pour un champ plus de dix fois supérieur pour le film.

Figure 1.23 : Permittivité en fonction du champ électrique du Ba0,1Sr0,9TiO3 (a) sous forme de couche mince de 700nm déposée par pulvérisation cathodique RF (b) sous forme de céramique polycristalline [62]. L’accordabilité est notée nr à côté de chaque courbe.

Des études plus détaillées sur l’effet de l’épaisseur de la couche sur les propriétés diélectriques ont été réalisées par Li et al. [63] et le groupe de Kingon [64, 65, 66]. La Figure 1.24 (a) compare un monocristal de SrTiO3 (STO) à des couches minces déposées par PLD sur SrRuO3/LaAlO3. Une très forte diminution du maximum de permittivité à la température de Curie est observée lors du passage du massif au film, et lorsque l’épaisseur de celui-ci diminue. Ce phénomène s’accompagne également d’un élargissement du pic de transition. Le même comportement est observé en Figure 1.24 (b) pour du Ba0,7Sr0,3TiO3 pour différentes épaisseurs, accompagné d’un décalage de la température de Curie vers les basses températures lorsque l’épaisseur est réduite.

Différents effets peuvent être à l’origine de cette différence entre les propriétés du massif et des couches minces ayant la même composition. La suite de cette section a pour objet de les détailler.

Figure 1.24 : (a) Evolution de la permittivité en fonction de la température du STO sous la forme d’un monocristal et de couches minces de différentes épaisseurs [6]. (b) Evolution de la permittivité en fonction de la température du Ba0,7Sr0,3TiO3 pour différentes épaisseurs [6].

ƒ Couche morte

Le modèle le plus communément admis est lié à la présence d’une faible couche diélectrique à l’interface entre le film et les électrodes, appelée couche morte. Un tel système peut être décrit par des condensateurs en série correspondants aux différentes couches : le film ferroélectrique de permittivité εf et la couche morte de faible permittivité εcm (Figure 1.25). La permittivité totale du film εtot dépend alors de la fraction volumique de chacune des couches :

Figure 1.25 : Schéma d’une couche mince avec une couche morte à l’interface. Le système peut être décrit par deux condensateurs en série. ͳ ߝ௧௢௧ሺݍሻ ͳ െ ݍ ߝ ݍ ߝ௖௠ (1.28)

où q correspond à la fraction volumique de la couche morte. Si on considère que l’épaisseur de la couche morte est indépendante de l’épaisseur totale e, lorsque e diminue, q augmente, et ainsi la permittivité apparente εtot diminue comme observé en Figure 1.24. La chute de l’accordabilité observée en Figure 1.23 peut être reliée à la baisse de la permittivité, et également à une baisse du champ électrique vu par la partie ferroélectrique du film [6]. L’origine de cette couche morte n’est toujours pas entièrement comprise, et différents points de vue ont fait l’objet d’un vif débat dans la littérature [67]. Certains pensent que cette couche de faible permittivité à l’interface est intrinsèque, elle serait la conséquence inévitable de la jonction entre un matériau possédant une polarisation interne et un métal [68, 69, 70, 71, 72]. Ce point de vue a été récemment appuyé par des simulations atomistiques [73]. Pour d’autres, l’origine de cette couche morte est entièrement extrinsèque, tenant son origine des défauts et imperfections liées au procédé de dépôt ou d’intégration, tels que des lacunes d’oxygène, des dislocations ou encore des phases secondaires [74, 75, 76, 77, 78]. Cette opinion a été supportée par des études du groupe de Scott, montrant qu’une fine lamelle de monocristal de BaTiO3 de l’ordre de la centaine de nanomètres présente une réponse diélectrique similaire à celle du massif [79, 80].

Récemment, après la publication de nouvelles simulations par Stengel, Vanderbilt et Spaldin [81], Scott est revenu sur son point de vue en publiant une observation de l’effet intrinsèque de la couche morte sur une fine lamelle de monocristal de SrTiO3 [67]. Il conclut que, dans le cas des monocristaux, le comportement des matériaux ferroélectriques à l’échelle nanométrique est dicté par la nature chimique des liaisons créées à l’interface avec les électrodes, spécifique à la nature des matériaux.

ƒ Zone de charge d’espace

Dans les régions d’interface, des interactions électrochimiques entre les électrodes conductrices et les porteurs de charges de la couche peuvent avoir lieu. Une diminution de la densité électronique peut se produire dans cette zone, appelée déplétion, créant ainsi des régions chargées appelées zones de charges d’espace. Ce phénomène peut tirer son origine de la présence d’états de surface, induits notamment par la présence de lacunes

d’oxygène [82], ou en analogie aux modèles semi-conducteurs, à la différence de travail de sortie entre le ferroélectrique, matériau à fort gap, et le métal de l’électrode [83].

Cette zone de charge d’espace peut influencer les propriétés diélectriques et ferroélectriques des films [84, 85]. En effet, un champ électrique interne résulte de cette zone chargée, créant une polarisation locale à l’interface et influençant ainsi la permittivité du matériau. En utilisant un modèle de condensateurs en série identique à celui de la Figure 1.25, il est possible de voir l’impact de cette couche sur la permittivité [6].

ƒ Taille des grains

Un autre paramètre pouvant expliquer la modification des propriétés diélectriques du matériau en couche mince, est la taille des grains. Dans un matériau ferroélectrique polycristallin, les grains, considérés comme des cristallites avec un ordre cristallin à grande distance, possèdent une forte permittivité εg, alors que les joints de grain qui les entourent, qui présentent de nombreux défauts ou des variations de composition, possèdent une permittivité beaucoup plus faible.

Dans les couches minces polycristallines, la taille de grain varie de la dizaine à la centaine de nanomètres, nettement inférieure à celle des céramiques, pouvant aller de quelques microns à la centaine de microns. Ainsi dans le cas des couches minces, le rapport du volume de grain sur le volume de joints de grain sera beaucoup plus faible. L’effet de ce rapport de volume sur la permittivité globale de la couche va dépendre de la morphologie des grains, et peut être décrit par différents modèles de composites à deux composants [6].

Dans le cas de grains colonnaires, le système peut être décrit par un modèle équivalent à deux condensateurs en parallèles [86], un de forte permittivité correspondant aux grains, et l’autre de faible permittivité correspondant aux joints de grains. La permittivité totale de la couche εtot s’exprime d’après l’équation suivante :

avec q la fraction volumique des joints de grains.

Dans le cas de grains équiaxes, de morphologie sphérique, on peut schématiquement considérer que les grains forment une matrice de forte permittivité avec des inclusions de faible permittivité. Il est possible de calculer la permittivité apparente εtot de ce type de composite, en considérant une faible concentration de matériau de faible permittivité [87]:

Dans la limite où εjg << εg, l’expression peut être réduite à :

Dans les deux cas, la diminution de la taille des grains entraîne une augmentation de q, et donc une chute de la permittivité apparente du matériau, également accompagnée d’une diminution de l’accordabilité. ߝ௧௢௧ሺݍሻ ൌ ሺͳ െ ݍሻߝ൅ ݍߝ௝௚ (1.29) ߝ௧௢௧ൌ ߝ൅ ͵ݍߝ ߝ௝௚െ ߝ ߝ௝௚൅ ʹߝ (1.30) ߝ௧௢௧ൌ ߝ൬ͳ െ͵ ʹݍ൰ (1.31)

Cet effet de la taille des grains a été exploré par de nombreux auteurs dans les couches minces ferroélectriques, et Sinnamon et al. ont notamment émis la possibilité que l’effet de la couche morte, observé sur la permittivité en faisant varier l’épaisseur des couches, n’était en fait qu’un effet de taille de grains [88]. Le groupe de Gervorgian a quant à lui montré que la taille des grains avait un effet direct sur la diminution de la température de transition comme observé en Figure 1.24 [89].

ƒ Contraintes

La couche mince étant reliée mécaniquement à son substrat, celui-ci peut exercer des contraintes sur la couche. Ces contraintes peuvent faire varier les paramètres de mailles, et stabiliser le matériau dans une certaine phase. Dans certain cas, elles peuvent être telles qu’elles peuvent entraîner de forts décalages de la température de Curie, comme l’ont montrés Haeni et al. qui ont rendu une couche épitaxiée de SrTiO3 sur DyScO3 fortement contraint ferroélectrique à la température ambiante [90]. A la température ambiante, le film a présenté une forte accordabilité, due à la proximité de la température de transition.

Aujourd’hui, ces contraintes, induites par la différence de paramètres de maille du substrat et de la couche, sont considérées comme la principale source de modification des propriétés diélectriques entre des mêmes couches déposées sur différents substrats [91, 92].

ƒ Non-stœchiométrie

L’une des difficultés lors du transfert de la céramique vers la couche mince est de conserver la stœchiométrie du matériau. Ce facteur est d’autant plus vrai pour les matériaux ferroélectriques dont les propriétés dépendent fortement de la température. Par conséquent les inhomogénéités de compositions, ou les gradients de compositions peuvent affecter les propriétés diélectriques des couches, en élargissant le pic de transition ferroélectrique/paraélectrique ou en décalant la température de Curie [6].