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Problématique de l’évaluation de la contribution des entrées visuelles

Chapitre 1. Généralités et Etat de l’art

1.3 Evaluation clinique et instrumentale de la posture et de l’équilibre

1.3.3 Problématique de l’évaluation de la contribution des entrées visuelles

Plusieurs auteurs, depuis Romberg, ont signalé le rôle des contributions visuelles dans la régulation de l’équilibre statique en l’absence d’afférences proprioceptives. Nous aborderons ici cette problématique en l’étendant à l’équilibre dynamique et à la marche.

Ø En statique : le signe de Romberg

L’évaluation du signe de Romberg au cours de l’équilibre statique est connue de longue date (1840). En position debout les pieds serrés, le test de Romberg est considéré comme positif lorsque le sujet est incapable de maintenir son équilibre en fermant les yeux et change de position en faisant un pas.

D’ordinaire, si le sujet oscille ou fait un pas en fermant les yeux, l’interprétation est que la proprioception est atteinte. Si les systèmes vestibulaires et proprioceptifs sont intacts, cette position ne doit pas poser problème. .

posturographie statique permet de mesurer le quotient de Romberg à partir de la surface du statokinésigramme. Gagey et al., (2007) suggèrent que le quotient de Romberg doit être calculé à l’aide de la surface et de la longueur du statokinésigramme pour être sûr d’évaluer correctement le poids de l’information visuelle dans le contrôle postural (Borel & Lacour, 2008).

Ø Au cours de la marche : La technologie eye-tracking

Les patients atteints d’ataxie proprioceptive sont incapables de marcher les yeux fermés. La compensation visuelle intervient également pendant cette activité, mais l’examen clinique ne nous permet pas de définir l’utilisation des yeux pendant cette activité. Le recours à une technologie d’analyse instrumentale s’avère donc nécessaire et nous nous sommes tournés vers le seul dispositif compatible avec une analyse du regard pendant la locomotion,

l’eye-tracker.

La technologie eye-tracking a été proposée pour détecter les mouvements des yeux et analyser le traitement humain de l’information visuelle pour les applications interactives et de diagnostic. Différents domaines de la recherche scientifique comme les neurosciences, la psychologie expérimentale, les sciences du sport, l’informatique et l’analyse des facteurs humains, peuvent bénéficier de cette technologie pour investiguer discrètement les données quantitatives qui sous-tendent les processus visuels : par exemple la relation entre l’attention et l’apprentissage, la lecture labiale et la durée des fixations chez les nourrissons(Zhu & Ji, 2007) (Mele & Federici, 2012) (Wass, Smith, & Johnson, 2013).

Cependant, la croissante utilisation de cette technologie au cours des dernières années fait également émerger de nombreux défis. Par exemple, comment soutenir l’augmentation rapide du nombre d’utilisateurs des eye-trackers, et comment analyser et interpréter le grand nombre de données que cette technologie nous apporte ?

Les premiers eye-trackers ont été conçus à la fin du dix-huitième siècle, ils étaient techniquement difficiles à construire, principalement mécaniques et pas très confortables pour les patients. Delabarre, en 1898, anesthésiait le globe oculaire des patients avant d’attacher un anneau de Paris à l’œil qui le reliait à un niveau mécanique pour calculer et analyser les mouvements oculaires. En 1901, Dodge et Cline ont introduit le principe consistant à photographier le réflexe d’une source lumineuse de la fovéa. En étant beaucoup moins invasive, cette technique est devenue la plus couramment utilisée pour enregistrer les mouvements des yeux (Holmqvist et al., 2011). A partir des années 70, ont été proposés des dispositifs eye-trackers très avancés et fabriqués en petites séries.

Les informations visuelles nécessaires à la compréhension et au déplacement dans l’environnement sont directement acquises par les mouvements oculaires. Parmi ces mouvements, ce sont les saccades et les fixations qui sont habituellement analysés par cette technologie. Les paramètres d’analyse les plus utilisés sont les suivants: la durée de la fixation et du regard, la vitesse et l’amplitude de la saccade et les paramètres de transition entre la fixation et les « régions d’intérêt » (areas of interest (AOI) pour les anglo-saxons) (Salvucci et Goldberg, 2000) (Uiga, Cheng, Wilson et al., 2015).

Jacob & Karn (2003) ont analysé 21 études incorporant des techniques eye-tracking et ont observé les six mesures qui sont fréquemment utilisées : le nombre de fixation, le pourcentage du temps passé sur chaque « région d’intérêt » (AOI), la moyenne de la durée de fixation, le nombre de fixations sur chaque AOI, la durée moyenne du regard sur chaque AOI et le taux de fixation (nombre/s).

L’identification de la fixation s’avère très utile pour les analyses de cette technologie, puisqu‘elle diminue la taille et la complexité des données du protocole utilisant l’eye-tracker. De plus, très peu de traitements visuels, voire aucun, peuvent être réalisés au cours d’une saccade ; les chemins parcourus pendant des saccades ne sont pas pertinents pour de nombreuses applications dans la recherche de l’analyse du regard. En résumé, l’identification de la fixation est une méthode pertinente pour diminuer la complexité des données fournies par l’eye-tracker, tout en conservant ses caractéristiques les plus essentielles pour la compréhension du traitement cognitif et visuel (Salvucci & Goldberg, 2000).

L’analyse du regard à partir de l’eye-tracker se fait par la détection de l’« Evénement Oculomoteur (EO) » (Oculomotor Event (OE) pour les Anglo-Saxons). Selon Lappi (2015) « une grande partie de ce que nous savons (ou croyons) savoir à propos de l’implication des différents circuits de contrôle oculomoteur dans des tâches complexes est basée sur l’extrapolation à partir des expériences simples de laboratoire ». Ces expériences isolent généralement un évènement oculomoteur spécifique et contribuent ensuite à modéliser le comportement du circuit sous-jacent.

En ce qui concerne les échelles de mesure, trois catégories peuvent être identifiées d’après Lai et al. (2013):

• Temporelle : les mouvements des yeux sont mesurés dans une dimension temporelle. Il s’agit du temps passé sur chaque « région d’intérêt ».

• Spatiale : les mouvements oculaires sont mesurés dans une dimension d’espace. Il s’agit des emplacements, distances, directions, séquences, transactions, de l’arrangement spatial ou des relations de fixations et de saccades.

• Le comptage : les mouvements oculaires sont mesurés sur une base de comptage ou de fréquence. Ces mesures de comptage sont généralement utilisées pour révéler l’importance du matériel visuel.

Les différents types de mesure pourraient éventuellement refléter le même traitement cognitif. Selon Lai et al. (2013) une étude qui porte son regard sur la perception visuelle peut se concentrer davantage sur les mesures spatiales.

Duchowski (2002) constate que la recherche de la technologie eye-tracking entre dans sa quatrième ère, qui se distingue par l’émergence des applications interactives. Afin de répondre aux exigences expérimentales concernant la variété des domaines d’application, différentes solutions, de cette technologie, utilisant des caméras haute vitesse sont en cours d’élaboration (par exemple : les systèmes head-mounted ou desk-mounted et des lunettes

eye-tracker (Figure 10)) qui sont également compatibles avec d’autres dispositifs d’analyse tels

(A) (B)

(C)

Figure 10 : Exemples des systèmes eye-tracking : (A) Head-mounted ; (B) deskmounted et (C) des lunettes eye-tracker.

Les lunettes eye-tracker font partie d’un système portable qui rend possible une grande variété de contextes expérimentaux. Elles nous ont permis d’étudier le regard et les mouvements oculaires dans des situations réelles (contexte écologique) et dynamiques (ex : lors de la marche), avec pleine liberté des mouvements des yeux, de la tête et du corps.

Un scanpath (chemin de balayage des yeux fourni par l’eyetracker) consiste en plusieurs séquences de fixations et saccades regroupées dans une image (Figure 11). Quand on examine un scanpath au cours d’un stimulus visuel, on peut généralement dire quelles régions ont été regardées ou fixées par le sujet, par contre, nous ne pouvons pas être sûrs que ces mêmes régions ont été perçues ou traitées par le SNC. Il n’existe pas de moyen facile de dire ce que le cerveau traite lors d’une analyse visuelle particulière, et pour cela, l’idéal serait d’enregistrer non seulement le point du regard du sujet, mais également son activité cérébrale (Lai et al., 2013) (Duchowski, 2002).

(A) (B)

Figure 11 : Exemples des chemins de balayage des yeux fourni par l’eye-tracker (Scanpaths) : (A) Lors d’une exploration d’une affiche publicitaire ; (B) Lors d’une exploration d’un

environnement réel

Land (2006) a étudié le rôle des informations visuelles lors de tâches de la vie quotidienne comme se préparer une tasse de thé ou un sandwich, ou bien se laver les mains. Il a pu observer que, même ces activités considérées comme « automatiques » ou qui impliquent très peu de conscience, exigent un nombre assez important de fixations, les yeux surveillent de près chaque étape du processus. Il a également constaté que les mouvements oculaires précédaient l’acte moteur pendant ces activités (les adultes fixaient spontanément les objets avant de les atteindre).

D’après les travaux de Land (2006), nos actions reposent sur des informations visuelles, ce y compris lors de tâches très connues et répétitives du quotidien, ainsi, nous pouvons nous poser la question suivante : jusqu’à quel point notre action repose-t-elle sur des informations visuelles pendant la locomotion ? Y aurait-il des stratégies visuelles mises en place dans le cas d’une atteinte proprioceptive pendant la locomotion ? Ces questions seront explorées et détaillées dans le troisième chapitre.

Chapitre 2. Equilibre statique : Dans quelle mesure les