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Les difficultés sanitaires sont donc prégnantes en détention, compte tenu d’une part des

antécédents et styles de vie à risques cumulés par les détenus avant même leur entrée en

détention et d’autre part, de l’évaluation de leur relation à la situation carcérale, généralement perçue comme stressante au regard de son caractère incontrôlable, imprévisible, des conditions de détention parfois difficiles qui la composent et des faibles possibilités de coping des individus. Ce « facteur stress » initié par la situation va dès lors jouer un rôle important quant à la santé et la qualité de vie ultérieures des détenus, participant à l’apparition de nouvelles difficultés ou à l’aggravation de celles précédemment contractées. Au-delà de la « pathogénicité » de la prison (Lhuilier, 2000, p.206), c’est également la représentation que s’en font les détenus et leurs faibles possibilités d’y faire face qui vont s’avérer dommageables, couplées à leur propre histoire personnelle et sociale.

Cette situation, nous l’avons vu, est d’autant plus préjudiciable pour les détenus incarcérés pour des délits relatifs aux mœurs, puisqu’ils cumulent les difficultés en prison, faisant l’objet d’un ostracisme certain en détention. Cette stigmatisation et le « traitement » qui leur est parfois infligé de la part des autres détenus (ou la crainte de ce « traitement ») leur confèrent des contraintes supplémentaires, réelles (« double isolement ») ou appréhendées comme un sentiment d’insécurité et la peur d’être confronté aux autres. Cette situation leur fait anticiper les éventuelles conséquences qu’ils pourraient subir en détention et entraîne de fait un stress élevé et un certain retrait quant à la vie sociale en prison (confinement dans leur quartier de détention, refus de participer à certaines activités). Cette population s’avère être soumise à un isolement et un confinement plus prononcés, de même qu’à une sédentarité majorée comparé au reste de la population carcérale. Leur qualité de vie semble ainsi plus compromise.

Face à cette situation sanitaire en détention, il est donc capital de développer des programmes de prévention et de promotion de la santé auprès des détenus et des membres du personnel, en plus de leur prise en charge sanitaire et des soins médicaux dont ils bénéficient. Il convient en effet de favoriser la qualité de vie du plus grand nombre et de veiller à la non dégradation de leur condition au regard des contraintes de la situation. Divers programmes d’éducation pour la santé et campagnes d’informations sont aujourd’hui menés en ce sens

dans les prisons françaises (concernant le VIH, le VHC, le tabac, l’alimentation…), utilisant des outils et des méthodes diverses (affichages, ateliers d’écriture, vidéo, formations…). Dans la continuité des actions entreprises, nous nous sommes proposée d’étudier l’efficacité « réelle » des APS dans une telle démarche de promotion de la santé en prison.

Nous avons donc souhaité étudier l’influence d’une pratique physique régulière sur la qualité de vie des détenus et notamment sur leur bien-être subjectif étant donné le caractère stressant et parfois « déstructurant » de la situation carcérale. Notre volonté était ici de pouvoir mesurer concrètement les éventuels apports d’une pratique physique régulière sur certaines composantes de la qualité de vie de personnes incarcérées, de manière à pouvoir « valider ou non » l’intérêt des APS en détention et de pallier les carences de données « scientifiques » sur le sujet.

S’inscrivant de plus, au même titre que l’administration pénitentiaire, dans une démarche et une volonté d’amélioration des conditions de détention et de la situation carcérale, notre intérêt s’est porté sur une étude du type « recherche-action ». Nous l’entendons au sens de « recherches dans lesquelles il y a une action délibérée de

transformation de la réalité ; recherches ayant un double objectif : transformer la réalité et produire des connaissances concernant ces transformations » (Hugon & Seibel, 1988, p.13).

Nous avons donc souhaité mettre en place une étude nous permettant d’une part, de pouvoir étudier les apports des APS en termes de qualité de vie en prison et d’autre part, de pouvoir intervenir directement auprès de détenus nécessiteux de tels apports en mettant en place un programme d’APS leur étant destiné et adapté. Partant du constat que les délinquants sexuels, ou considérés comme tels en détention, demeurent, pour la majorité, relativement sédentaires du fait de leurs craintes de s’engager dans de telles activités, nous avons souhaité adresser cette étude à cette population spécifique, ayant souvent un moindre accès à ce type de programmes et des besoins non négligeables.

Nous avons donc visé deux objectifs majeurs pour cette étude :

1) L’évaluation de l’influence des APS sur la qualité de vie des personnes incarcérées, avec la volonté de produire des données quantitatives jusqu’alors faiblement présentes des considérations et études dans le domaine ;

2) La (ré) inscription de détenus particulièrement sédentaires (délinquants sexuels) dans une pratique physique régulière, favorisant ainsi l’adoption d’un comportement sain et protecteur au pendant de leur style de vie « à risques » en détention.

Au regard du modèle intégratif et multifactoriel sur lequel nous nous sommes basés pour étudier la situation carcérale, nous avons envisagé les APS comme une stratégie de coping particulière en détention. En ce sens, en s’appuyant sur cette stratégie de faire face chez les détenus, par leur inscription dans une pratique physique régulière, nous espérions améliorer leur perception de la situation, diminuer leur stress perçu, issu de leur évaluation de leur relation à la situation, favoriser leur ajustement à la situation carcérale et ainsi améliorer leur qualité de vie ultérieure.

De manière plus précise, nous avions envisagé, au regard du « potentiel » des APS en matière de qualité de vie et de santé, obtenus en population générale et des besoins et caractéristiques de la population carcérale, qu’une pratique physique régulière et raisonnée favoriserait chez les détenus :

- Une diminution de leur stress perçu : évaluation de la situation comme étant moins stressante du fait d’une représentation des contraintes diminuées et d’un sentiment de contrôle accru face à la situation (hypothèse 1) ;

- Une diminution de leur éventuelle dépression : limitation des critères d’ajustement négatifs en lien avec la diminution de leur stress perçu (hypothèse 2) ;

- Une amélioration de leur estime de soi : critère d’ajustement positif qui se développerait en lien avec la diminution de leur stress perçu (hypothèse 3) ;

- Une amélioration de leur satisfaction corporelle du fait d’une réappropriation de son corps, d’une (re) découverte de ses sensations corporelles (hypothèse 4) ;

- Une amélioration de leur qualité de vie associée à la santé, qui serait issue des bienfaits physiques, psychologiques et sociaux initiés par la pratique des APS (hypothèse 5) ;

- Une diminution de leur éventuelle dépendance tabagique au profit de l’adoption d’un comportement sain (hypothèse 6) ;

- Une amélioration de leur condition physique du fait de la régularité de la pratique et de leur engagement physique lors des séances (hypothèse 7) ;

- Une amélioration de leur santé subjective ou ressentie (hypothèse 8).

Sachant qu’une « stratégie de coping est efficace (ou adéquate) si elle permet à

l’individu de maîtriser la situation stressante ou de diminuer son impact sur son bien-être physique et psychique » (Bruchon-Schweitzer, 2001b, p.77), l’obtention d’améliorations sur

les issues considérées nous permettrait ainsi de pouvoir justifier de l’apport des APS dans ce sens.

Les APS sont pratiquées de différentes manières en détention19 et poursuivent divers objectifs20. Elles semblent toutefois majoritairement investies dans un désir d’émancipation des contraintes carcérales, c’est-à-dire répondant à un souci de rupture du confinement, d’évitement des contraintes institutionnelles, d’évasion symbolique, ou d’évacuation des tensions. De ce fait, elles répondent principalement à diverses stratégies de coping centrées sur l’émotion (Zamble & Porporino, 1990), dans le sens où ces activités sont utilisées à des fins de liquidation de la tension émotionnelle, de réduction de l’impact émotionnel du stress, d’évitement, de fuite des contraintes et de la situation jugée stressante. En ce sens, elles ne s’inscrivent pas forcément comme une habitude saine participant au maintien à long terme de sa qualité de vie et de sa santé, mais plutôt comme une occasion, à un moment donné, d’évacuer ses tensions, physiques et émotionnelles.

En règle générale, l’efficacité des stratégies de coping dépend de la durée et de la contrôlabilité de la situation stressante. Ainsi, les stratégies centrées sur le problème semblent plus efficaces pour faire face à long terme ou lorsque la situation est jugée contrôlable par l’individu, alors que les stratégies centrées sur l’émotion semblent plus efficaces à court terme ou plus adaptées face à une situation incontrôlable pour l’individu (Lazarus & Folkman, 1984 ; Bruchon-Schweitzer, 2001b ; Rascle, 2001).

La situation de détention étant jugée majoritairement incontrôlable, il est compréhensible que les détenus optent plus aisément pour des stratégies centrées sur l’émotion. Cependant, de telles stratégies ne s’avèrent guère efficaces à long terme. Dans le cas de l’utilisation des APS comme stratégie de coping spécifique, cela signifie qu’utilisées comme coping centré sur l’émotion (évitement de la situation, défoulement, fuite des contraintes), elles permettraient des bienfaits émotionnels et sanitaires à court terme. Par contre, pour être efficaces à des fins d’ajustement durable à la situation, elles devraient être envisagées comme une stratégie de coping centré sur le problème, c’est-à-dire orientées vers une volonté de diminuer le poids des stresseurs et de l’emprise carcérale. Cela peut passer par une réappropriation de son corps, le maintien d’une pratique physique saine et régulière dans un contexte peu propice à ce type de comportements, une implication et un réel engagement

19

Individuellement ou collectivement, dans les salles ou autres installations sportives, pratique en cellule, dans la cour de promenade…

20

(physique, psychologique et social) de l’individu, œuvrant à la limitation de l’empreinte institutionnelle sur son corps, son esprit, son comportement et style de vie.

Le corps est en effet au centre de l’incarcération et de la situation de détention. « L’emprise carcérale est d’abord une prise sur le corps, une perte de contrôle de son usage

et de ses rapports à l’environnement. » (Lhuilier & Lemiszewska, 2001, p.207). Réinvestir

son corps, se le réapproprier, renouer avec ses sens, devrait ainsi limiter l’emprise carcérale que « subissent » les détenus et contribuerait à ce qu’ils préservent une certaine intégrité physique et mentale. C’est en ce sens, selon nous, que les APS prennent une résonance particulière en détention, puisqu’elles offrent une certaine liberté de mouvement, d’expression, de communication, d’investissement au corps, corps qui se trouve initialement empêché, limité, contraint, voire maltraité pour certains en prison.

C’est donc dans la combinaison de ces deux types de coping (centré sur l’émotion et centré sur le problème) que nous envisageons de réels bienfaits sanitaires issus des APS en détention. Nous pensons en effet que les bénéfices pouvant être retirés de ces activités dépendront d’une part, de la possibilité de défoulement et de décharge émotionnelle que la pratique physique offre en détention (coping centré sur l’émotion) et d’autre part, de l’investissement des détenus, de leur implication à long terme dans une pratique saine et raisonnée, dépassant la simple occupation et le seul évitement de la situation (coping centré sur le problème). Nous sommes en effet d’avis qu’au-delà de la « simple » pratique, un engagement dans un programme spécifique d’activités physiques peut également offrir un cadre d’apprentissages multiples, favorisant une transmission de connaissances, une éducation à une pratique hygiénique et l’inscription de cette pratique dans la redéfinition d’un style de vie plus sain. C’est pourquoi nous avons souhaité mettre en place une étude du type « recherche-action », de manière à pouvoir faire profiter directement les détenus de ces éventuels apports.