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Partie 2 : Cadre théorique 41

III. Application du modèle intégratif et multifactoriel au milieu carcéral : pour une

sanitaires en détention

Nous avons relevé (dans la partie contexte) l’importance que revêtent les difficultés de santé et de qualité de vie en prison (qui représentent les issues dans ce modèle, « issues » que nous ne développerons donc pas de nouveau dans cette partie). La population carcérale présente en effet des taux considérables de troubles physiques et mentaux dont la prévalence excède celle de la population générale. Cette situation est aujourd’hui communément admise (puisque régulièrement soulignée), les disparités en matière de santé entre détenus et personnes libres étant avérées en France comme dans la majorité des pays occidentaux. Il reste cependant à déterminer quelles sont les causes de telles disparités et de ces fortes prévalences, de manière à pouvoir y remédier le plus efficacement possible. Est-ce l’environnement carcéral qui est hautement pathogène ou concentre-t-il en son sein les plus démunis en matière de santé ?

Si les données épidémiologiques disponibles en la matière (Coldefy et al., 2002 ; Mouquet, 2005), confortent l’idée selon laquelle ce sont généralement les personnes les plus démunies et les plus vulnérables qui entrent en prison, d’autres travaux ont par ailleurs témoigné du caractère aversif et pathogène des institutions carcérales (Gonin, 1991 ; Freudenberg, 2002 ; Nurse et al., 2003 ; de Viggiani, 2007). Il semblerait donc qu’il faille prendre en compte ces deux facteurs pour expliquer la qualité de vie et l’état de santé des personnes incarcérées. Toutefois, tous les détenus ne réagissent pas de la même manière à l’emprisonnement, certains supportant mieux que d’autres la détention et les contraintes de la situation (Harris & Wright, 1988 ; Zamble & Porporino, 1988 ; Zinger & Wichmann, 1999). Il semble donc nécessaire d’envisager les effets de la situation de détention non comme un certain déterminisme mais bien au travers d’une approche transactionnelle.

Le modèle explicatif retenu ici semble donc bien adapté à l’étude de la situation carcérale puisqu’il permet d’intégrer l’ensemble de ces données. Ainsi, il convient de prendre en compte, pour espérer expliquer de la manière la plus complète possible les difficultés sanitaires rencontrées en prison :

- Les antécédents environnementaux et personnels des détenus avant leur incarcération ;

- Les répercussions de cet événement de vie majeur que représente l’incarcération ; - L’analyse de la situation de détention (en milieu carcéral) ;

- Les transactions entre détenu et environnement carcéral.

À la lumière de ces explications, nous pourrons alors envisager des pistes d’intervention pour espérer améliorer la situation.

1. La population carcérale, une population fragilisée au préalable :

étude des « antécédents » des personnes entrant en détention

Les personnes qui entrent en prison aujourd’hui sont majoritairement défavorisées et psychologiquement instables et ces dommages antérieurs agissent ainsi comme des

antécédents de leur future condition sanitaire.

Selon le modèle intégratif et multifactoriel de Bruchon-Schweitzer (2002) sur lequel nous basons notre analyse, les « antécédents » (ou « prédicteurs ») sont de diverses natures, facteurs environnementaux, socio-démographiques, psychosociaux et biomédicaux. Tous contribuent à expliquer une partie de la variance associée à la qualité de vie ultérieure et tous interviennent à des degrés divers pour expliquer, entre autres, la santé physique et/ou le bien- être psychique de la personne (définissant ainsi leur caractère protecteur ou fragilisant).

1.1. Les facteurs environnementaux et socio-démographiques

Les recherches menées dans le domaine (voir les revues de Rodin & Salovey, 1989 ; Taylor et al. 1997, Bruchon-Schweitzer, 2002) ont permis de mettre en évidence l’impact de certains facteurs socio-démographiques et environnementaux sur la qualité de vie et la santé ultérieures des individus. Ces facteurs concernent :

- L’âge ou le sexe des individus : les hommes sont, à titre d’exemple, plus enclins que les femmes à s’engager dans des comportements à risques et les personnes âgées témoignent d’une vulnérabilité accrue du fait de certaines altérations consécutives à leur âge.

- L’environnement ou milieu de vie : confrontation à de multiples stresseurs ; influence quant à l’adoption de comportements et styles de vie sains ou à risques. L’environnement constitue en effet le « contexte dans lequel les comportements et

style de vie liés à la santé sont appris, encouragés et pratiqués » (Taylor et al. 1997,

(sécurité, vie familiale stable, travail) ou fragilisant (faible niveau socio-économique, chômage, isolement, conflit, bruit, entassement résidentiel) sur la santé et la qualité de vie des individus.

- Le soutien social perçu : qualité des relations sociales ; soutien subjectif que l’individu retirera et évaluera de ces relations.

- Les événements de vie stressants (perte d’un être cher, divorce, chômage…) : stresseurs « objectifs » induits par l’événement aversif et retentissement, signification pour la personne (stress perçu). Les effets produits par ces événements seront modulés, entre autres, par certains états émotionnels (Dantzer, 1989), par le sens donné à la situation par le sujet (Lazarus & Folkman, 1984 ; Cohen & Williamson, 1988) et par la contrôlabilité (réelle ou perçue) de l’événement stressant (Nuissier, 1994; Dantzer & Goodall, 1994 ; cités par Bruchon-Schweitzer, 2002, p.132).

L’ensemble de ces facteurs ont été repérés comme pouvant protéger ou fragiliser les individus et ils ont de fait un impact réel en matière de santé et de qualité de vie. Nous allons voir qu’une des caractéristiques de la population carcérale est que ces personnes cumulent, malheureusement, un grand nombre de ces facteurs de risques.

Pour Obrecht (2002), « la prison est ainsi devenue un lieu de prise en charge médicale

de ceux que la société peine de plus en plus à intégrer, véritable observatoire de la précarité

(…) [qui concentre] de plus en plus une population marginalisée, précarisée par rapport à

l’emploi, au logement, aux revenus, au tissu social. (…) La prison est par ailleurs plus que jamais le lieu du pauvre (…) les détenus présentent donc tous les stigmates médicaux de leurs conditions de vie extérieure. ».

Le rapport conjoint de l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS) et de l’Inspection Générale des Services Judiciaires (IGSJ) sur « l’organisation des soins aux

détenus » (Fatome et al. 2001) fait état d’une population pénale présentant un état sanitaire

globalement dégradé et ce dès leur entrée en détention, au regard des nombreux facteurs de risques qu’elle cumule. « Le faible accès aux soins de cette population avant qu’elle n’entre

en prison et, plus fondamentalement, les situations de précarité et d’exclusion auxquelles elle a souvent été confrontée, en font une population qui cumule les facteurs de risques ». Ces

auteurs rendent compte entre autres, d’un vieillissement accéléré de la population carcérale (compte tenu du poids des facteurs de risques), de l’importance de la situation de précarité à

l’entrée en détention, des différentes formes d’addiction (avec une augmentation certaine de la polytoxicomanie) et de la surexposition de ces personnes au VIH et aux hépatites (B et C).

L’état de santé de tous les entrants en prison a fait l’objet d’études récentes à l’échelon national. Un tel travail d’investigation a été réalisé en 1997, par la Direction de la Recherche, des Etudes, de l’Evaluation et des Statistiques (DREES, Mouquet et al. 1999) et a été réitéré en 2003 lors de la visite médicale d’entrée de la quasi-totalité des détenus nouvellement incarcérés (80 621 nouvelles entrées). Malgré le fait que 80% des entrants aient été jugés en bon état de santé général, le rapport de cette étude (Mouquet, 2005) fait état de conditions de vie extérieures jugées difficiles pour la majorité des personnes entrant en détention.

Ainsi, la population des entrants en prison est en quasi-totalité masculine (94% d’hommes) et relativement jeune. Ces personnes connaissent de grandes difficultés d’insertion, au niveau professionnel, social et quant à l’accès aux systèmes de soins ou à un logement décent. À leur entrée en prison, plus d’une personne sur cinq déclare ne pas avoir de domicile stable (6% sont sans domicile fixe et 10,7% occupent un logement précaire), 13,6% déclarent ne pas avoir de protection sociale et 17,3% bénéficient de la CMU (Couverture Maladie Universelle). Ces chiffres sont bien supérieurs à ceux relevés en population générale et témoignent de nombreux facteurs de risques fragilisant cette population au regard des considérations précédentes.

Ces données sont corroborées par l’enquête de Coldefy et al. (2002), menée auprès des entrants en détention accueillis par les Services Médico-Psychologiques Régionaux (SMPR). Les nouveaux incarcérés sont des hommes jeunes, en grande difficulté d’insertion sociale, majoritairement célibataires (76% contre 47% en population générale), ne bénéficiant pas ainsi du rôle protecteur du conjoint ou d’une structure familiale stable et pour 54% d’entre eux, sans activité professionnelle. Ils ne disposent donc pas d’un niveau socio-économique satisfaisant pour leur permettre de vivre sereinement.

De plus, ces personnes sont à plus de 15% illettrées, plus du quart ont quitté l’école avant 16 ans (et n’ont donc pas de formation professionnelle) et la moitié d’entre elles ont quitté leur famille trois ans plus tôt que les jeunes dans la population générale (Korsia, 2006, p.5). La majorité de ces personnes ne dispose donc pas d’un soutien familial optimum (les relations sociales et familiales étant souvent conflictuelles et violentes) et sont socialement, économiquement et culturellement désinsérées. La population qui arrive en détention se trouve donc majoritairement en « situation d’échec : échec du système scolaire, échec du

Enfin, les personnes incarcérées présentent également de lourds antécédents en termes d’événements de vie aversifs, « qu’il s’agisse du décès d’un membre de leur famille proche,

de maltraitances de nature physique, psychologique ou sexuelle ou d’autres événements traumatisants (violence chez des proches, accidents…) » (Falissard & Rouillon, 2004, p.87).

Cette situation semble favorisée par le fait que l’ensemble de ces facteurs sont souvent intimement liés, la précarité étant corrélée à un état de santé dégradé et au fait souvent de commettre un délit et d’être incarcéré (Michaels et al., 1992). On observe en effet un basculement de « l’État-providence » à « l’État-pénitence » (pour reprendre les propos de Wacquant, 1999), c’est-à-dire un basculement du traitement social de la pauvreté à son traitement pénal, véritable « criminalisation de la misère » et « pénalisation de la pauvreté », où l’on a recours au pénal pour « juguler les effets délétères de la montée de l’insécurité

salariale ». Le recours à l’incarcération concerne donc de manière plus générale les zones

inférieures de l’espace social, ce qui condamne la prison à enfermer des personnes démunies, pauvres socialement et économiquement et dont la santé est pour le moins compromise.

L’ensemble de ces facteurs environnementaux et socio-démographiques agissent donc comme des antécédents fragilisant les personnes en passe d’être incarcérées et il en est de même de certains facteurs personnels, antécédents psychosociaux et biomédicaux.

1.2. Les facteurs psychosociaux et biomédicaux

L’attention portée aux facteurs personnels et à leur impact sur la santé et la qualité de vie est assez ancienne et a fait l’objet d’études de natures diverses : épidémiologiques, psychosomatiques, psychopathologiques et en psychologie de la santé. L’ensemble de ces recherches permet aujourd’hui de pouvoir avancer plusieurs résultats (voir la revue de Bruchon-Schweitzer, 2002) quant à l’influence de ces variables dispositionnelles en matière de santé :

- Certains styles comportementaux seraient associés à certaines maladies (type A associé au risque de développer des maladies coronariennes, type C associé au risque de développer un cancer).

- Certains traits de personnalité (« variables dispositionnelles pathogènes ») pourraient fragiliser les individus en augmentant leurs risques de développer une maladie, comme l’hostilité, le névrosisme, la dépression, l’anxiété-trait, l’affectivité négative, ou l’alexithymie.

- D’autres traits de personnalité (« variables dispositionnelles salutogènes ») pourraient protéger les individus du risque de développer certaines maladies ou de s’inscrire dans des comportements et styles de vie à risques. Par exemple l’optimisme, le lieu de contrôle, l’auto-efficacité, l’endurance, le sens de la cohérence, la résilience, ou l’affectivité positive.

De la même manière que les facteurs environnementaux précédemment décrits, ces caractéristiques personnelles vont influencer de manière directe ou indirecte les « issues » (état de santé, bien-être, qualité de vie…) en induisant des réactions, évaluations et comportements spécifiques chez l’individu. La personnalité du sujet, son vécu psychosocial et biomédical, vont également participer à la définition de son état de santé et de sa qualité de vie ultérieurs et nous allons voir que cela représente un obstacle supplémentaire pour les personnes entrant en détention.

La plupart des études concernant la santé mentale et psychologique des personnes incarcérées (présentées dans la partie contexte) portent sur la prévalence de tels troubles en détention et non à l’entrée en prison. Il est donc difficile de pouvoir distinguer les pathologies contractées et développées avant l’incarcération de celles qui se seraient déclarées intra- muros. Cependant, les rapports et enquêtes précédemment cités (Mouquet et al., 1999 ; Fatome et al., 2001 ; Coldefy et al., 2002 ; Mouquet, 2005) rendent compte de telles difficultés à l’entrée des institutions pénitentiaires françaises. Au-delà du fait que les personnes entrant en prison aujourd’hui sont, pour la majorité, socialement défavorisées, il s’avère qu’elles présentent également d’importantes fragilisations psychologiques, qu’elles sont inscrites dans des comportements et styles de vie considérés comme à risques et qu’elles témoignent pour certaines de lourds antécédents biomédicaux, notamment en matière de maladies infectieuses.

Concernant la santé mentale des entrants en détention, l’enquête menée par Coldefy et

al. (2002) auprès des SMPR des prisons, rend compte de troubles psychiatriques relevés chez

un entrant sur deux (55%). Ces troubles concernent :

- Des troubles anxieux (anxiété, phobie, pensée obsédante) pour 55% des personnes présentant des troubles psychiatriques ;

- Des tendances addictives et notamment la consommation d’alcool, pour 54% d’entre eux ;

- Des troubles psychosomatiques, incluant des troubles du sommeil et de l’alimentation, pour 42% d’entre eux ;

- Des troubles de la conduite, impulsivité, tendance au passage à l’acte, colère, conduite antisociale, excitation psychomotrice.., pour 42% de ces personnes.

Ces auteurs ont croisé ces résultats avec d’autres données spécifiques, permettant ainsi de pouvoir relever une prévalence plus élevée de ces troubles pour les personnes sans activité professionnelle avant leur entrée en détention et pour celles ayant des antécédents judiciaires. De même, cette prévalence semble plus importante pour les individus ayant été arrêtés pour une atteinte aux personnes (comparé aux atteintes aux biens) et ce, d’autant plus lorsqu’il s’agit d’une infraction criminelle. Ainsi, selon l’enquête, « la probabilité de présenter un

trouble psychiatrique est de 55% pour un prévenu de sexe masculin, âgé de 30 ans, sans antécédent judiciaire et incarcéré pour une atteinte aux biens. Elle atteint 60% s’il a déjà eu affaire à la justice et 61% s’il est incarcéré pour crime, à situation de référence identique ».

(Coldefy et al., 2002, p.4). Ces données témoignent d’une « tendance à la pénalisation de la

maladie mentale » (OIP, 2005, p.140) où l’irresponsabilité pénale, du fait de l’état de santé

mental de la personne, est de plus en plus occultée, les prisons se substituant ainsi de plus en plus aux hôpitaux psychiatriques. À l’entrée en détention, une personne sur cinq déclare avoir déjà été suivie par les secteurs de psychiatrie (avec de fréquents antécédents de prise en charge pour des problèmes de santé mentale) et un suivi psychiatrique est préconisé en prison pour 52% d’entre elles (Coldefy et al., 2002).

L’étude menée par Mouquet (2005) sur la santé des entrants en prison donne des résultats quelque peu moins alarmistes au regard des besoins de cette population en termes de santé mentale. D’après cette étude, « seul » un dixième des entrants en détention se voit prescrire une prise en charge psychiatrique en prison9, cette différence étant principalement due à la « qualité » du diagnostic réalisé, les entretiens étant menés par des médecins spécialisés en santé mentale dans l’étude de Coldefy et al., sans doute plus à même de déceler les carences et besoins de cette population.

L’étude de Mouquet (2005) est cependant riche de données concernant l’état de santé et certains comportements à risques des entrants en détention. Ainsi, « près d’un entrant en

prison sur dix déclare avoir été régulièrement suivi par un psychiatre, un psychologue ou un infirmier psychiatrique au moins une fois par trimestre ou avoir été hospitalisé en psychiatrie dans les douze mois précédant son incarcération », contre un homme sur trente en population

générale (p.7). De même, un sur sept déclare avoir fait une tentative de suicide dans l’année

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Ce taux monte cependant à un sur cinq si l’on y ajoute les consultations d’alcoologie et de toxicomanie.

précédant son incarcération, contre un sur 375 en population générale et également un entrant sur sept déclare un traitement psychotrope en cours. Ces données témoignent de l’importance de la fragilité psychologique de ces personnes avant même leur mise en détention.

Concernant la prévalence des comportements à risques, là encore les chiffres sont pour le moins conséquents :

- Quatre entrants sur cinq déclarent fumer quotidiennement (dont un sur sept plus de 20 cigarettes par jour) ce qui multiplie par deux la prévalence du tabagisme quotidien dans cette population comparée à la population générale ;

- Plus de trois entrants sur dix présentent une consommation excessive d’alcool, ce qui entraîne la prescription d’une consultation en alcoologie pour 6% des entrants ;

- Un tiers est toxicomane avec une consommation régulière et prolongée de substances ;

- Un quart déclare au moins deux consommations de substances psychoactives.

Cette surreprésentation des personnes toxicomanes (et polytoxicomanes) à l’entrée en détention semble liée à la toxicomanie elle-même, les délits étant souvent réalisés dans le but de se procurer de la drogue ou réalisés sous l’emprise d’un produit. Cette « catégorie » de la population pénale ne cesse de croître et pose de multiples problèmes en termes de prise en charge en détention. « Au total, près de 40 000 toxicomanes, réguliers ou occasionnels,

entreraient chaque année en prison, soit environ un quart de la population toxicomane française, évaluée entre 150 000 et 200 000 personnes » (Hyest & Cabanel, 2000, p.39).

Enfin, 3,1% des entrants se déclarent séropositifs au VHC (hépatite C), 0,8% séropositifs au VHB (hépatite B) et 1,1% séropositifs au VIH10. Selon Jaeger et Monceau (1996, p.10), le taux de prévalence du VIH serait en effet dix fois plus important en prison que dans la population générale.

Les personnes entrant en détention sont donc au préalable fortement précarisées d’un point de vue sanitaire et social et cumulent nombre de facteurs de risques. La prison concentre en son sein des personnes démunies, vulnérables et tend ainsi à se substituer aux hôpitaux psychiatriques, centres de soins et aide sociale. Le rapport du Sénat (Hyest & Cabanel, 2000) témoigne dans ce sens, considérant que la prison d’aujourd’hui tend vers la « prison-refuge » concentrant les exclus, la « prison-hôpital » se substituant aux centres de désintoxication, la

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Ces données étant toutefois à nuancer car relevant uniquement des déclarations des entrants et non de tests avérés, lesquels sont proposés à l’entrée en détention mais non obligatoires.

« prison-asile » au regard du nombre de malades mentaux étant incarcérés et la « prison-

hospice » face au vieillissement de la population pénale soumise à des peines de plus en plus

longues.

L’incarcération représente également un risque supplémentaire pour ces personnes, le « choc de l’incarcération » étant un événement de vie majeur et stressant, induisant nombre de difficultés supplémentaires en détention.

1.3. L’incarcération : un événement de vie majeur

L’incarcération est un événement de vie fortement stressant, déjà repéré et considéré comme tel dans les travaux traitant du stress selon une conception objective et quantitative de l’impact des événements de vie, considérant uniquement le nombre et l’intensité des événements de vie comme étant aversifs et non leur retentissement. Pour exemple, dans

l’Échelle d’Évaluation du Réajustement Social (SRRS : Social Readjustment Rating Scale) de

Holmes et Rahe (1967), l’emprisonnement était considéré comme le quatrième événement de vie (sur 43 listés) ayant le plus fort impact en termes de gravité, quant à ses répercussions sur l’état de santé ultérieur des individus. Certes, les conceptions et approches concernant l’impact des événements de vie sur la santé et la qualité de vie ont été depuis modérées au regard de la prise en compte de leur perception et retentissement pour l’individu. Cependant l’incarcération reste considérée comme un événement de vie majeur, très stressant et éprouvant pour les personnes qui y sont confrontées.

L’incarcération constitue une rupture, le passage d’un monde connu, extérieur, au monde inconnu, dans le cas des primo-entrants, de la prison. L’entrée en prison, la confrontation physique aux murs, grilles et barreaux, l’organisation de l’admission, son passage en détention, sont des moments hautement stressants pour celui qui entre en prison pour la première fois. Lhuilier et Lemiszewska (2001) parlent à ce sujet de « choc carcéral ».