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Ce travail de Thèse s’intéresse à l’influence des émotions sur l’organisation biomécanique des mouvements volontaires complexes, c’est-à-dire mobilisant l’ensemble du corps et induisant une perturbation posturale substantielle.

L’organisation biomécanique du mouvement est abordée par le biais du concept de

capacité posturo-cinétique. Selon ce concept, la stabilité posturale et la performance d’une

tâche motrice (en termes de précision, force, vitesse, etc.) dépendent de la capacité du système nerveux central à générer des APA convenables en durée et en amplitude. Tout facteur altérant cette capacité posturo-cinétique a un impact négatif sur la stabilité posturale et/ou sur la performance motrice. A l’inverse, l’amélioration de cette capacité posturo-cinétique améliorerait ces deux composantes du mouvement. Par ailleurs, comme il est souligné dans la littérature (pour des revues, Bouisset et Do 2008 ; Yiou et al. 2012a), une meilleure connaissance des facteurs susceptibles d’influencer la capacité posturo-cinétique est un enjeu majeur autant sur le plan fondamental que clinique. En effet, cette connaissance est importante pour valider ou développer des outils ou des méthodes d’amélioration de la performance motrice ou de la stabilité posturale. Cette perspective semble aussi particulièrement pertinente dans les domaines sportif, ergonomique (par exemple, Hamaoui et al. 2015 ; Hassaïne et al. 2015). Dans ce cadre, l’influence de facteurs biomécaniques sur le contrôle postural, et en particulier sur les APA associés aux mouvements volontaires, a fait l’objet de nombreuses études (pour une revue, voir Yiou et al. 2012a). Ces facteurs biomécaniques (par exemple, fatigue musculaire, mobilité articulaire, stabilité posturale initiale/finale, pression temporelle) et leur modalité d’action sur la capacité posturo-cinétique sont aujourd’hui relativement bien identifiés. L’influence des facteurs a été décrite dans la revue de littérature.

Ces études ne prennent cependant jamais en compte la dimension psychologique liée à la production du mouvement et, en particulier, l’état émotionnel des participants. L’influence des émotions sur les APA est une thématique émergente qui n’a fait l’objet que d’un nombre

relativement restreint de recherches. Le présent travail de Thèse vise donc à apporter des éléments de réponse à cette problématique. Dans cette perspective, l’influence des émotions sur les APA est abordée sous l’angle de l’hypothèse de la direction motivationnelle. Cette théorie, élaborée par des psychologues théoriciens des émotions (pour les travaux pionniers, voir Lewin 1935 ; Schneirla 1959 ; Frijda et al. 1989 ; Lang et al. 1990 ; Cacioppo et al. 1993 ; Lang 1995 ; Elliot 1999 ; Lang 2000 ; Bradley et al. 2001 ; Centerbar et Clore 2006 ; Frijda 2009 ; Lang et Bradley 2010) suppose que les stimuli plaisants favorisent les comportements d’approche alors que les stimuli déplaisants favorisent les comportements d’évitement. Le processus de régulation de la distance étant alors au cœur de la mise en place de ces comportements d’approche et d’évitement.

Comme cela a été développé dans l’état de l’art, ces dernières études princeps n’utilisaient dans leurs paradigmes expérimentaux que des mouvements très simples, c’est-à-dire mono-articulés, et de faible inertie, impliquant exclusivement le membre supérieur. Ces mouvements ne perturbent pas ou du moins très peu la posture et l’équilibre et ne génèrent donc pas d’APA substantiels. L’analyse du mouvement était donc restreinte au temps de réaction. Ainsi l’augmentation de la réactivité du mouvement marquait la congruence entre le comportement émis (d’approche ou d’évitement) et le stimulus émotionnel (plaisant ou déplaisant) ; alors que la diminution de cette réactivité marquait leur incongruence (par exemple, « approche-déplaisant »). Par ailleurs, la régulation de la distance entre les stimuli émotionnels et les participants était limitée à des mouvements d’extension ou de flexion du bras. Ces études se sont très récemment élargies à l’analyse des mouvements complexes, mobilisant l’ensemble du corps. Le déplacement du corps dans son ensemble permet ainsi de mieux rendre compte des processus de régulation de la distance. Aussi, l’initiation d’un déplacement vers ou à l’encontre de stimuli émotionnels permet l’analyse des relations entre émotion, contrôle postural et performance motrice.

Traditionnellement, les études testant l’hypothèse de la direction motivationnelle s’appuie sur la présentation d’images, de sons, de mots ou de textes (Bradley et Lang 1999 ; Bradley et Lang 2007a ; Bradley et Lang 2007b ; Lang et Bradley 2008a ; Leveau et al. 2011) qui constituent autant de stimuli « virtuels ». Ces derniers sont qualifiés de virtuels dans la mesure où ils n’engagent pas l’intégrité physique des participants. Autrement dit, ces stimuli émotionnels ne représenteraient pas une « urgence motivationnelle » (Scherer 2001 ; Harmon-Jones et al. 2013) et ne seraient que faiblement liés aux comportements d’approche ou

d’évitement (Stins et Beek 2007). La production de réponses motrices, au regard de ces stimuli émotionnels, est donc probablement atténuée par rapport à des situations « réelles ». Dans ces situations dites réelles, les participants sont dans des situations qui nécessitent l’engagement de comportements d’approche ou d’évitement (par rapport aux stimuli émotionnels) afin de garantir leur intégrité physique. C’est par exemple le cas lorsque des participants sont placés à proximité du vide. Ainsi, nous prendrons soin au cours de cette Thèse de considérer cette notion de stimuli virtuels et réels.

Afin de mieux déterminer l’influence des émotions sur l’organisation biomécanique du mouvement volontaire, nous chercherons à identifier les facteurs susceptibles de l’influencer. Nous nous intéresserons ainsi à l’existence de différences interindividuelles dans l’organisation posturo-cinétique du mouvement volontaire en réponse aux émotions. Par ailleurs, nous tenterons d’expliquer ces différences interindividuelles, grâce aux dispositions individuelles des participants. Le rôle de ces dernières dans l’explication de la variabilité des réponses émotionnelles (psychologiques ou biomécaniques) semble d’autant plus intéressant à considérer qu’il a déjà été démontré dans la mise en place des motivations à l’approche et à l’évitement (Carver et White 1994 ; Carver 2004 ; Perkins et Corr 2006 ; Pickering et Corr 2008 ; Corr et McNaughton 2012 ; Corr et al. 2013) et, très récemment, dans l’organisation posturale (lors du maintien de la position orthostatique) en réponse à une menace posturale (Zaback et al. 2015).

L’objectif principal de cette Thèse est de tester l’influence des émotions sur l’organisation biomécanique d’un mouvement volontaire complexe sous l’angle de la théorie motivationnelle. Dans cette perspective, deux conceptions des émotions ont été abordées. Selon la conception dimensionnelle, les émotions sont définies grâce à un certain nombre de dimensions, notamment la dimension de valence et d’activation (entre autres, Lang et al. 1990 ; Lang 1995 ; Bargh 1997 ; Duckworth et al. 2002 ; Charland 2005 ; Lang et Bradley 2008b). Les études adhérant à cette conception des émotions induisent des émotions plaisantes ou déplaisantes grâce aux images de l’IAPS. Selon la conception catégorielle des émotions, il existerait un nombre limité d’émotions dites basiques (par exemple, la peur, la joie, le dégoût, la tristesse, la colère). Ces émotions auraient alors des patterns d’expressions reconnaissables, stables et universels (entre autres, Ekman et Friesen 1971 ; Plutchik 1980 ; Pribram 1980 ; Ekman 1992 ; Scherer 1993 ; LeDoux 1996 ; Ekman 1999 ; Cosmides et

Tooby 2000 ; Keltner et Ekman 2000 ; Scherer 2005). En induisant de la peur de chuter, les protocoles utilisant une menace posturale adhère à cette conception catégorielle des émotions.

L’utilisation de ces deux conceptions émotionnelles complémentaires (pour cette idée de complémentarité, voir la notion de structure dimensionnelle des émotions catégorielle d’Adolphs 2002) permet ainsi une approche globale et intégrative de l’influence des émotions sur l’organisation biomécanique du mouvement volontaire. Sur cette base, deux situations expérimentales ont été testées. Dans une première situation expérimentale (étude 1), les effets de la présentation d’images émotionnelles sur l’organisation biomécanique de l’initiation du pas ont été examinés. L’initiation du pas vers l’avant ou vers l’arrière matérialisait respectivement un comportement d’approche ou d’évitement. Dans une deuxième situation expérimentale (étude 2), les effets de la menace posturale sur l’organisation biomécanique d’un mouvement d’élévation latérale rapide de la jambe ont été examinés. Les participants étaient placés au bord latéral d’une plateforme surélevée (1 m) : la menace posturale que représentait la proximité du vide induisait alors une peur de chuter. Selon les conditions expérimentales, les APA associés à l’élévation de la jambe étaient dirigés vers la menace posturale (matérialisant ainsi un comportement d’approche) ou à son encontre (matérialisant un comportement d’évitement). L’existence de différences interindividuelles dans l’organisation biomécanique du mouvement volontaire en réponse à une menace posturale (étude 3) sera spécifiquement recherchée dans le cadre de cette deuxième situation expérimentale. Enfin nous chercherons à expliquer ces différences interindividuelles grâce aux dispositions individuelles (personnalité) des participants (étude 4).

Au regard de cette problématique, nous émettons les hypothèses suivantes :

1) les comportements d’approche sont facilités par les émotions plaisantes (favorisant la survie de l’individu) et perturbés par les émotions déplaisantes (nuisibles à l’individu) ;

2) les comportements d’évitement sont facilités par les émotions déplaisantes et perturbés par les émotions plaisantes ;

3) des différences interindividuelles existent dans la mise en place de ces comportements en réponse aux émotions ;

4) les dispositions individuelles de participants expliquent une partie de ces différences interindividuelles.