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2. Définition et conceptualisation de la notion d’émotion

2.2. Classification des émotions

2.2.1. Conception dimensionnelle des émotions

2.2.1.1. Dimensions de valence et d’activation : théorie biphasique des émotions

Dans le cadre de la conception dimensionnelle, les états émotionnels sont décrits grâce à un nombre restreint de dimensions. L’objectif de la conception dimensionnelle est d’établir une analogie entre l’expression émotionnelle (mesurable, observable) et les caractéristiques des émotions (processus émotionnel, modélisation théorique). Les dimensions de valence et d’activation sont les deux dimensions principalement retenues.

La dimension de valence correspond à la « qualité positive ou négative » associée au

vécu émotionnel (Charland 2005). Elle se trouve sur le continuum bipolaire allant du plaisant au déplaisant (Lang et al. 1990) et serait la catégorie de base utilisée par le cerveau pour organiser les informations. Dans ce sens, des études ont montré que des stimuli totalement nouveaux et inconnus seraient directement évalués en termes de valence plaisante ou déplaisante (Duckworth et al. 2002). Cette dimension de valence serait effective pour tous types de stimuli tels que des mots (Osgood et Suci 1955 ; Bradley et Lang 1999 ; Leveau et al. 2011), des images (Lang et Bradley 2008a), des textes (Bradley et Lang 2007a) ou encore des sons (Bradley et Lang 2007b). Ces stimuli émotionnels peuvent être concrets et observables (par exemple, des objets, des événements) ou abstraits et de représentation interne (par

exemple, des éventualités, des possibilités - Elliot 2006). L’évaluation de la dimension plaisante ou déplaisante des stimuli serait un processus automatique (Osgood 1953 ; Bargh 1997 ; Bargh 2009). Ce caractère automatique a notamment été mis en avant de façon empirique grâce au biais de négativité (Ito et Cacioppo 2000). Ce biais correspond à la présence systématique et immédiate de réponses neurales d’alerte chez des participants exposés à des stimuli déplaisants. Cette réaction est expliquée par son « utilité adaptative (…)

permettant à l’organisme d’éviter des dommages » (Ito et Cacioppo 2000, p. 674). La notion

d’utilité adaptative de l’évaluation automatique des stimuli soutient l’idée que les émotions seraient apparues au gré de l’évolution.

La dimension d’activation est quant à elle « une charge » affective (Charland 2005) allant de la faible activation à la forte activation. Aussi appelée éveil, cette dimension peut être considérée comme un facteur d’intensité de l’effet de valence (Lang 1995). Autrement dit, la dimension de valence permettrait de qualifier l’émotion (évaluation hédonique : plaisant/déplaisant) alors que la dimension d’activation permet de la quantifier (force de l’évaluation).

L’existence de ces deux dimensions est caractéristique de la théorie biphasique des

émotions (pour quelques études principes voir, Schneirla 1959 ; Lang 1995 ; Lang et al.

1997 ; Lang 2000 ; Lang et Bradley 2010). En effet, les dimensions de valence et d’activation des stimuli émotionnels seraient intimement liées à l’engagement (en termes de qualité et de quantité) des circuits neuronaux défensif et appétitif, et donc des motivations à l’approche et à l’évitement (Bradley et al. 2001). Ainsi, une émotion plaisante (forte valence) serait la conséquence de l’engagement du circuit appétitif lors d’une situation environnementale favorisant la survie. Au contraire, une situation nuisible engagerait le circuit défensif et génèrerait une émotion déplaisante (faible valence). Bradley et al. (2001) ont par ailleurs démontré l’existence d’un lien entre la « force » du stimulus émotionnel (forte activation) et l’engagement du système motivationnel (figure 11).

Figure 11 : Relation entre évaluation des stimuli émotionnels et motivation à l’approche et l’évitement (Bradley et al. 2001). Représentation de l’évaluation de stimuli émotionnels (images issues de l’International Affective Pictures System) sur la base des dimensions de plaisance (du moins plaisant au plus plaisant - en abscisse) et d’activation (du plus engageant au moins engageant - en ordonnée). Chaque cercle représente l’évaluation d’un

stimulus. Les lignes de régression associées aux stimuli plaisants (cercle vide) et déplaisants (cercle plein) sont supposées refléter les systèmes motivationnels sous-jacents. Le système motivationnel appétitif engageant une

motivation à l’approche et le système motivationnel défensif induisant une motivation à l’évitement.

2.2.1.2. Modélisation des émotions : modèle de l’affect central

Considérées comme indépendantes l’une par rapport à l’autre, les deux dimensions sont à l’origine de la représentation circulaire du modèle dimensionnel de l’affect central et

des émotions (figure 12 - Russell 1980 ; Russell et Barrett 1999). L’affect central (core affect - Russell et Barrett 1999) étant un « processus primitif (…) accessible à la conscience par de simples sentiments non réfléchis : se sentir bien ou mal, léthargique ou actif » (Russell

2009). Ce modèle propose l’existence d’un espace affectif bidimensionnel représenté par un cercle comprenant deux axes ; un premier axe correspondant à la dimension de valence, borné par le caractère plaisant et déplaisant de l’affect ; un second axe composé de la dimension

d’activation allant de l’état affectif désactivé à l’état affectif activé. Ainsi, l’état affectif

l’état affectif « serein », de valence fortement plaisante et de moyenne activation. Ces états affectifs peuvent également se combiner. Par exemple, la peur serait la combinaison de deux états affectifs de forte activation et de faible valence : la tension et la nervosité.

Figure 12 : représentation circulaire du modèle de l’affect central et des émotions (Russell et Barrett 1999). L’intérieur du cercle représente la structure schématique de l’affect central. Le cercle externe présente plusieurs

émotions prototypiques en relation avec leurs caractéristiques affectives.

2.2.1.3. Hypothèse de la direction motivationnelle

Les études s’ancrant dans cette conception dimensionnelle des émotions se sont largement intéressées à la composante comportementale des émotions et, plus spécifiquement, aux comportements d’approche et d’évitement. Le lien entre les stimuli émotionnels et les comportements d’approche et d’évitement est fait grâce à l’hypothèse de la direction

motivationnelle (Lang et al. 1990 ; Lang 1995 ; Bradley et al. 2001). Selon cette dernière, les

stimuli émotionnels engendreraient des comportements d’approche et d’évitement par le biais du système motivationnel activé. Autrement dit, la dimension de valence des stimuli émotionnels engagerait le système motivationnel adéquat et induirait un comportement dans une orientation précise. Par contre, la dimension d’activation des stimuli émotionnels traduirait l’impulsion initiale qui guide l'organisme dans l’orientation donnée (Elliot 1997). Le système motivationnel pourrait donc déterminer la direction et la vigueur des comportements (Hebb 1949). Dans ce sens, l’hypothèse de la direction motivationnelle suppose que :

1) les stimuli émotionnels plaisants favorisent les comportements d’approche ; 2) les stimuli émotionnels déplaisants favorisent les comportements d’évitement ; 3) plus la dimension d’activation des stimuli est forte, plus les comportements

d’approche ou d’évitement sont exprimés.

2.2.1.4. Protocoles utilisant l’International Affectives Picture System Classiquement, les protocoles de recherche considérant la conception dimensionnelle émotions induisent (de façon expérimentale) les émotions grâce à l’International Affective

Pictures System (IAPS - Lang et al. 1997 ; Lang et Bradley 2008a). Cet outil validé et

particulièrement exhaustif, catégorise une batterie d’images émotionnelles de différentes natures (menace, mutilation, baby face, érotique, etc…) selon leur valence et leur activation (figure 13). Les participants sont alors exposés à ces images qu’ils doivent ensuite évaluer de façon subjective.

Figure 13 : Images de natures différentes issues de l’IAPS (Lang et Bradley 2008a).

De gauche à droite et de haut en bas : image de mutilation (image n° 3060 ; valence moyenne : 1.79 ± 1.56 ;

activation moyenne : 7.12 ± 2.09) ; image érotique (image n° 4668 ; valence moyenne : 6.67 ± 1.69 ; activation moyenne : 7.13 ± 1.62) ; image d’attaque (image n° 1304 ; valence moyenne : 3.37 ± 1.58 ; activation moyenne : 6.37 ± 1.93) ; image de bébé (image n° 2045 ; valence moyenne : 7.87 ± 1.19 ; activation moyenne : 5.47 ± 2.34.

Cette évaluation se fait grâce au Self Assessment Manikin (SAM - figure 14). Le SAM se compose de deux échelles distinctes, notées de 1 à 9, représentant d’une part la dimension de valence, d’autre part la dimension d’activation. Ainsi, les images plaisantes ont des scores de valence élevée (de 6 à 9) alors que les images jugées déplaisantes ont des valences faibles (1 à 4). Les images neutres, considérées comme des images non émotionnelles, ont alors une valence moyenne (score de 5). De la même façon, la dimension d’activation des images peut prendre un score allant de 1, quand il n’y a qu’une faible activation, à 9 pour une forte activation. Les images neutres se situant alors dans des faibles scores d’activation. Notons que ce SAM est aussi utilisé pour l’évaluation de toutes sortes de stimuli (mots, sons, etc.).

Figure 14 : Exemple de SAM version papier-crayon utilisé pour évaluer les images de l’IAPS.

En haut : échelle de valence du plus plaisant au plus déplaisant (de gauche à droite). En bas : échelle de l’activation du plus activant au moins activant (de gauche à droite).

2.2.1.5. Limites majeures de la conception dimensionnelle des émotions

La construction d’une conception dimensionnelle des émotions a été argumentée à de nombreuses reprises. Cette approche présente le fort avantage de représenter les émotions sans chercher à les dénommer, ce qui laisse la place à des émotions complexes, qu’elles soient définissables ou non. En contrepartie, une des critiques majeures de cette approche, est justement la perte d’informations concernant certaines émotions (Izard 1971 ; Ekman 1984 ; Ekman 1989). Par exemple, la peur et la colère se situent plus ou moins à la même place sur

le cercle de l’affect central et des émotions. En effet, ces émotions sont toutes deux particulièrement négatives et intenses. Cependant, aux niveaux subjectif, expressif et comportemental, ces deux émotions s’expriment très différemment (Ekman 2003 ; Wacker et al. 2003 ; Marsh et al. 2005 ; Carver et Harmon-Jones 2009).

En outre, le nombre de dimensions semble dépendre du choix de l’outil de départ. Il est difficile de savoir si les dimensions obtenues correspondent à un matériel spécifique, à la nature des émotions ou aux limites du vocabulaire dont nous disposons pour exprimer le ressenti et les émotions (Scherer 1984).

Par ailleurs, bien que la plupart des auteurs se focalisent sur les deux dimensions que sont la valence et l’activation, le nombre de dimensions, comme leur dénomination, varient selon les auteurs et les variables étudiées. Les analyses des expressions faciales (Woodworth 1938 ; Osgood 1952 ; Schlosberg 1952 ; Schlosberg 1954 ; Osgood 1966) et verbales (Russell et Mehrabian 1977) ont par exemple démontré l’existence d’une troisième dimension : la dimension de contrôle, aussi appelée dimension de dominance. Cette dernière se rapporterait davantage à l’évènement qui a provoqué la réaction plutôt qu’à la réaction elle-même (Russell 1978 ; Russell et Barrett 1999). Malgré tout, selon Russell (2003, p. 153) « L’observation de

deux dimensions générales [de valence et d’activation] est tellement omniprésent, et les modèles descriptifs actuels tellement similaires, que le mot consensus apparaît désormais dans les écrits sur ce sujet (Watson et Tellegen 1985) ».

Malgré ces limites, cette approche reste largement utilisée et permet de rendre compte, en partie, de l’influence des stimuli émotionnels.