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1. Organisation biomécanique du mouvement humain

1.3.4. Adaptabilité des APA

Les APA ont donc la capacité de s’adapter aux paramètres du mouvement volontaire à venir (vitesse, précision, force etc.). Comme nous le décrivons dans les paragraphes qui suivent, les APA ont également comme caractéristique de s’adapter aux contraintes biomécaniques qui peuvent être imposées au système postural (pour une revue voir Yiou et al. 2012a). Ces contraintes peuvent être de nature exogène (par exemple, la charge additionnelle, la contrainte temporelle) ou endogène (par exemple, la stabilité posturale, la fatigue musculaire, le vieillissement).

1.3.4.1. Contraintes posturales exogènes

1.3.4.1.1. APA et charge additionnelle

Comme nous l'avons évoqué plus tôt (voir partie 1.3.1.1), les APA évoluent en fonction de l’inertie des segments focaux mobilisés. Ainsi, la réalisation d’un mouvement avec une charge additionnelle (par exemple de 1 kg) engendre des modifications de l’organisation des APA (Bouisset et Zattara 1987 ; Zattara et Bouisset 1988). Lors de l’initiation de la marche, il a été démontré que l’ajout d’une charge additionnelle au niveau des hanches n’avait pas d’effet sur l’amplitude des APA. En revanche, la durée des APA était augmentée. L’allongement du temps des APA permettait ainsi la création d’une vitesse de progression du centre des masses équivalente à celle obtenue en condition « sans charge » (Caderby et al. 2013a).

1.3.4.1.2. APA et contrainte temporelle

De nombreux travaux se sont intéressés aux effets de la contrainte temporelle sur les APA. Une contrainte temporelle correspond à une restriction du temps donné aux participants

pour exécuter une tâche. Ainsi, une « forte » contrainte temporelle qualifie les situations où les participants doivent exécuter une tâche motrice le plus rapidement possible après un signal de départ (situation de temps de réaction). Au contraire, une « faible » contrainte temporelle correspond aux situations où la tâche motrice est librement initiée par les participants (situation auto-initiée). La littérature récence de nombreuses tâches motrices testées en situation de contrainte temporelle telles que : la flexion d’une épaule (Nougier et al. 1999) ou des deux épaules (Benvenuti et al. 1997), l’extension de l’épaule lors d’un mouvement de tir au handball (Ilmane et LaRue 2008), l’initiation d’un pas (Delval et al. 2005) ou encore la flexion de la cuisse (Yiou et al. 2012b). Toutes ces études ont démontré que la présence d’une forte contrainte temporelle, comparativement à une faible contrainte, engendre une diminution de la durée des APA. Ceux-ci commencent alors quasiment en même temps que le mouvement focal alors qu’en condition de faible contrainte temporelle les APA apparaissent bien avant le début du mouvement volontaire (Horak et al. 1984 ; Benvenuti et al. 1997 ; De Wolf et al. 1998 ; Nougier et al. 1999 ; Slijper et al. 2002). Cette diminution de la durée des APA en condition de forte contrainte temporelle permet alors de commencer le mouvement volontaire plus tôt et est notamment compensé par une augmentation de l’amplitude des APA (Yiou et al. 2012b). Au contraire, en condition de faible contrainte temporelle, les sujets disposent de tout leur temps pour préparer leur mouvement : la durée des APA est donc augmentée pour optimiser l’exécution du mouvement. Il est à noter que la modification de la durée des APA semble ne pas modifier la performance motrice.

1.3.4.2. Contraintes posturales endogènes

1.3.4.2.1. APA et stabilité posturale

L’influence de la stabilité posturale (initiale) dans l’organisation des APA a largement été étudiée. Les résultats ont montré qu’une augmentation de la stabilité de la position orthostatique, grâce à un support thoracique (Cordo et Nashner 1982) ou un appui contre un mur (Friedli et al. 1984), induisait une diminution des APA (en termes, par exemple, d’activation musculaire, d’amplitude du centre des pressions lors des APA et/ou de durée des APA). Il en est de même lorsque les individus doivent exécuter un mouvement en position assise ou allongée (van der Fits et al. 1998). Dans ces conditions, la stabilité est telle que les APA ne sont pas essentiels pour le maintien de l’équilibre durant le mouvement ; ils sont donc considérablement réduits par mesure d’« économie ».

Au contraire, la stabilité posturale peut-être diminuée, notamment par une réduction de la base posturale qui entraîne alors une diminution forcée de l’amplitude des déplacements du centre des pressions (Couillandre et al. 2002 ; Couillandre et Brenière 2003). Afin de compenser cette réduction de la mobilité, le système nerveux central est capable de mettre en place des stratégies anticipatrices compensatoires. Par exemple, lors de l’initiation de la marche à partir d’une position orthostatique sur la pointe des pieds, la possibilité de recul du centre des pressions lors des APA est réduite (comparativement à une position orthostatique « classique » où les pieds sont entièrement en contact avec le sol). Ce moindre recul est alors compensé par un allongement de la durée des APA. Cette compensation permet d’obtenir une vitesse du centre des masses - au moment du décollement du pied oscillant et lors du pas - comparable à celle obtenue en condition d’appui « classique ». La diminution de l’amplitude peut aussi être compensée par une atténuation de la vitesse du centre des masses à la fin des APA (Nouillot et al. 1992 ; Aruin et al. 1998 ; Yiou et al. 2007a). Cette atténuation semblerait alors être une stratégie protectrice visant à réduire l’effet déstabilisateur des APA eux-mêmes. Ces exemples illustrent bien la capacité du système nerveux central à exploiter la redondance du système moteur pour garantir la performance de la tâche.

1.3.4.2.2. APA et fatigue

Afin d’adapter au mieux les APA, le système nerveux central semblerait prendre en compte la fatigue des muscles posturaux des membres inférieurs (Vuillerme et al. 2002 ; Morris et Allison 2006 ; Strang et Berg 2007 ; Kanekar et al. 2008 ; Strang et al. 2009) ou de l’ensemble de la musculature (Strang et al. 2008). Dans ces études, le niveau d’excitation musculaire au cours des APA était drastiquement diminué en situation de fatigue. Dans cette situation de fatigue, comparativement à la situation de non fatigue, l’apparition des APA était plus précoce. La durée des APA était augmentée alors même que la dynamique anticipatrice (représentée par le déplacement du centre des pressions durant les APA) restait identique. Cette augmentation de la durée des APA venait ainsi compenser la diminution de la production de force des muscles posturaux. Contrairement à ces études, Mezaour et al. (2010) ont récemment montré que la fatigue des muscles posturaux ne modifiait pas la durée des APA lors d’une tâche de poussée symétrique d’une barre vers l’avant. En revanche, en condition de fatigue comparée à la condition de non fatigue, ces auteurs ont observé une diminution du pic de déplacement du centre des pressions et de l’accélération du centre des

masses durant les APA. La différence de résultats obtenus avec les études précédentes pourrait être due à l’intensité de la fatigue. En effet, les premières études génèrent une fatigue musculaire beaucoup plus faible que l’étude de Mezaour et al. (2010) : une moindre fatigue des muscles posturaux pourrait donc induire de plus faibles perturbations des informations proprioceptives utilisées pour contrôler la posture et l’équilibre.

L’applicabilité de ces résultats a récemment été testée dans une tâche impliquant les membres inférieurs, à savoir l’initiation de la marche (Yiou et al. 2011b). Les résultats ont montré qu’en condition de fatigue, comparativement à la condition de non fatigue : la dynamique posturale anticipatoire (recul du centre des pressions et vitesse du centre des masses vers l’avant) et la performance motrice lors des APA (pic de vitesse du centre des masses à la fin du pas) diminuaient alors que la durée des APA et de celle de la phase d’exécution du pas augmentaient. Selon les auteurs, ces changements ne seraient pas directement associés à la faiblesse musculaire (induite par la fatigue) mais seraient plutôt le reflet d’une stratégie de protection ayant pour but de préserver l’intégrité des muscles fatigués.

L’ensemble de ces études suggère que l’adaptabilité des APA à la fatigue dépende de la tâche motrice réalisée et de la manière dont la fatigue est induite (force de la fatigue, nature des muscles fatigués, etc.).

1.3.4.2.3. APA et vieillissement

Le vieillissement physiologique (c’est-à-dire non pathologique), s’accompagne inexorablement d’une altération du contrôle postural (Maki et al. 2000 ; Rogers et Mille 2003 ; Mille et al. 2005 ; Hyodo et al. 2012 ; Singer et al. 2013). Cette altération pourrait être associée à une modification ou une dégradation structurelle et fonctionnelle du système sensori-moteur (Shaffer et Harrison 2007). L’effet du vieillissement sur les APA a notamment été démontré lors d’une tâche de flexion de l’épaule (Bleuse et al. 2006). L’exécution rapide de cette tâche par les séniors engendrait une diminution de l’amplitude des APA, comparativement aux jeunes participants. Cette différence organisationnelle des APA disparaissait pour des mouvements à vitesses lente et normale. D’après les auteurs, le maintien des caractéristiques des APA lors des mouvements lents ou normaux (à vitesse naturelle) serait lié à la mise en place d’une stratégie musculaire (de la hanche) permettant de

maintenir la stabilité. À vitesse rapide, cette stratégie n’est plus suffisante : la diminution de l’amplitude des APA serait ainsi une conséquence d’une stabilité posturale amoindrie.

1.3.4.2.4. APA et émotions

L’influence des émotions sur les APA a été démontrée par de nombreux travaux. Classiquement, ces études utilisent deux types de protocoles expérimentaux : les protocoles utilisant l’International Affective Pictures System (IAPS) et les protocoles utilisant une menace posturale. Alors que le premier type de protocole induit des émotions plaisantes ou déplaisantes (pour quelques exemple, Lang 1995 ; Chen et Bargh 1999 ; Bradley et al. 2001 ; Azevedo et al. 2005 ; Stins et Beek 2007 ; Lang et Bradley 2008a ; Lang et Bradley 2010 ; Naugle et al. 2011), le second induit de la peur de chuter (pour quelques exemple, Adkin et al. 2002 ; Brown et al. 2002 ; Carpenter et al. 2004 ; Adkin et al. 2008 ; Huffman et al. 2009 ; Yiou et al. 2011a). La question de l’adaptabilité des APA aux émotions est au cœur de ce travail doctoral : nous détaillerons donc spécifiquement ce point un peu plus tard (voir partie 3).