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2. Définition et conceptualisation de la notion d’émotion

2.1. Définition du concept d’émotion

Le phénomène émotionnel tente d’être expliqué depuis l’Antiquité grecque (Channouff et Rouan 2002 ; Luminet 2004). Depuis, de nombreuses théories émotionnelles ont vu le jour, considérant alternativement les phénomènes adaptatifs, le caractère hédonique, les processus d’évaluation ou de catégorisation, l’origine, les causes et les conséquences associées aux émotions (Kleinginna et Kleinginna 1981). Les définitions de l’émotion sont si nombreuses qu’il est difficile de pouvoir les recenser de façon exhaustive. Dans cette Thèse, nous considèrerons l’émotion comme « un ensemble de variations épisodiques dans plusieurs

composantes de l’organisme en réponse à des événements évalués comme importants pour l’organisme » (Scherer 2001, p 93). Selon cette définition, l’émotion est constituée de cinq

composantes : cognitive (incluant l’évaluation du stimulus), physiologique (incluant le système autonome), motivationnelle (incluant les tendances à l’action), comportementale (incluant l’expression motrice) et subjective (incluant les sentiments). L’épisode émotionnel débuterait avec la synchronisation de ces différentes composantes émotionnelles et finirait avec leur retour à un fonctionnement indépendant. Ainsi, la notion d’épisode émotionnel plutôt que d’état émotionnel semble être plus adaptée pour définir le vécu émotionnel (Sander et Scherer 2009).

Ainsi, la définition de Scherer (2001) envisage une approche intégrative des différentes composantes des émotions. L’émotion est en effet un « phénomène

motivationnel complexe » (Izard 1971) dans lequel un lien fort existerait entre chaque réponse

(Cacioppo et al. 1992 ; Cacioppo et al. 1999 ; Van den Stock et al. 2007). Ainsi, la compréhension des émotions passe par la considération et l’évaluation de l’ensemble des composantes émotionnelles.

2.1.1. Étude de la composante physiologique des émotions

Les études physiologiques des émotions tentent d’identifier les manifestations somatiques et cérébrales impliquées lors d’un épisode émotionnel. La composante physiologique des émotions peut être distinguée en trois catégories : les manifestations liées

au système endocrinien, les manifestations liées au système nerveux autonome (système nerveux sympathique et parasympathique), et celles liées à l’activité cérébrale.

Ainsi, les modifications du système endocrinien générées par les stimuli émotionnels se manifesteraient par :

1) des modifications du taux de sécrétion hormonale (Mason 1975 ; Yehuda et al. 1993 ; Öhman 1995) ;

2) des modifications de l’activité du système nerveux autonome. Ainsi, le réflexe de sursaut (startle reflex - réflexe qui survient lors de l’émission d’un signal aversif soudain), le rythme cardiaque, la conductance thermique (Ekman et al. 1983 ; Lang et al. 1990 ; Davis 1992 ; Lang et al. 2000 ; Bradley et al. 2001) sont affectés par la présence de stimuli émotionnels ;

3) l’implication spécifique de certaines structures cérébrales et de patterns neuronaux (Papez 1937 ; Mogenson et al. 1980 ; Pribram 1980 ; Rinn 1984 ; MacLean 1993). L’une des premières structures cérébrales impliquée dans le processus émotionnel est le système limbique (Broca 1878 ; McLean 1952). Les éléments qui composent ce système font partie du lobe temporal et sous-cortical. Elles comprennent l’hypothalamus, l’hippocampe, le thalamus, l’amygdale, le septum, la substancia Nigra et l’insula. D’autres structures (par exemple, le putamen et le cervelet) sont impliquées lors d’un épisode émotionnel (Morris et al. 1996 ; Lane et al. 1997 ; Sprengelmeyer et al. 1998) ; cependant l’amygdale (Davis 1992 ; Öhman et Mineka 2001 ; de Gelder et al. 2004 ; Öhman 2005) semble être une structure clé. Elle agirait comme un détecteur de pertinence, et serait activée par les stimuli pouvant influencer, de manière positive ou négative, les buts, les besoins ou le bien-être de l’individu (Grafman et al. 2003).

2.1.2. Étude de la composante cognitive des émotions

Les études cognitivistes s’attachent davantage à comprendre la relation entre les émotions et les fonctions cognitives (Arnold 1960 ; Schachter et Singer 1962 ; Schachter 1964 ; Zajonc 1980 ; Lazarus 1982 ; Lazarus 1984 ; Zajonc 1984) telle que les évaluations du stimulus émotionnel (Chen et Bargh 1999 ; Lang et Bradley 2008a ; Bargh 2009 ; Brosch et

al. 2010), de la pertinence du stimulus (favorable ou nuisible à l’individu) et de l’urgence de la situation (Frijda 1986 ; Scherer 2009 ; Harmon-Jones et al. 2013). L’analyse des temps de réaction permet, par exemple, de rendre compte de cette composante (Chen et Bargh 1999 ; Rotteveel et Phaf 2004 ; Eder et Rothermund 2008 ; Eder et Hommel 2013 ; Laham et al. 2014).

2.1.3. Étude de la composante subjective des émotions

L’expression subjective des émotions est identifiée grâce à l’auto-évaluation, orale ou écrite, de l’affect, du ressenti, des sentiments, de l’humeur, etc. (Plutchik 1980 ; Scherer et al. 1986 ; Frijda et al. 1995 ; Feldman Barrett 2006). Les résultats ont par exemple démontré l’existence de douze termes fréquemment mentionnés pour définir les émotions (Frijda et al. 1995). Les équivalents linguistiques (l’enquête a été menée dans onze pays différents) de la joie, la tristesse, la colère, la peur et l’amour y figuraient.

2.1.4. Étude de la composante motivationnelle des émotions

L’étude de la composante motivationnelle se base sur l’expression des motivations à

l’approche et à l’évitement (Elliot et al. 2006 ; Elliot 2006 ; Eder et al. 2013a ; Elliot et al.

2013). Ces motivations sont respectivement organisées autour des systèmes motivationnels

appétitif et défensif (Lang 2000). Ces systèmes motivationnels seraient eux-mêmes médiés par

deux circuits neuronaux : appétitif et défensif (Bradley et al. 1990 ; Lang 1995 ; Lang et al. 1997 ; Bradley et al. 1999 ; Lang 2000 ; Bradley et al. 2001 ; Lang et Bradley 2008b ; Bargh 2009 ; Lang et Bradley 2010). L’activation spécifique des systèmes motivationnels est influencée par le contexte environnemental. Ainsi, le système appétitif serait engagé dans des contextes plaisants et favorisant la survie de l’espèce ; au contraire, le système défensif serait engagé dans des contextes déplaisants et menaçants.

Les motivations à l’approche ou à l’évitement engendrent alors des tendances à

l’action vers (c’est-à-dire tendance à l’approche) ou à l’encontre (c’est-à-dire tendance à

l’évitement) des stimuli émotionnels, respectivement. Ces tendances à l’action sont définies comme des états de préparation « dans le but d’exécuter un certain type d’action » (Frijda 1986, p. 70). Il est important de noter que, même si ces tendances à l’action sont généralement associées aux comportements d’approche et d’évitement associés (voir ci-dessous, partie

2.1.5), elles n’en sont pas forcément synonymes (Eder et al. 2013a ; Elliot et al. 2013 ; Förster et Friedman 2013 ; Harmon-Jones et al. 2013).

2.1.5. Étude de la composante comportementale des émotions

Les études s’intéressant à la composante comportementale des émotions cherchent à identifier des réactions prototypiques de l’épisode émotionnel. Ces réactions peuvent être de différentes natures telles que la tonalité de la voix (Scherer 2003), les expressions faciales (Ekman et al. 1972 ; Ekman 1984 ; Ekman 1992 ; Ekman 1993 ; Ekman 2003), les postures et le mouvement - automatique ou volontaire - du corps (pour quelques exemples, Mehrabian 1968 ; Carpenter et al. 1999 ; Frijda et al. 2000 ; Pollick et al. 2001 ; Adkin et al. 2002 ; Atkinson et al. 2004 ; Atkinson 2005 ; Azevedo et al. 2005 ; Atkinson et al. 2007 ; Van den Stock et al. 2007 ; Davis et al. 2009 ; Dael et al. 2012). Les comportements d’approche et

d’évitement - en lien avec la motivation à l’approche et à l’évitement - sont des

comportements souvent étudiés. Alors que les comportements d’approche mènent à la récompense et à l'absence de punition ; les comportements d’évitement, tels que la fuite, l’évasion et le retrait, permettent de faire face à la menace, le conflit ou la punition (Lang et al. 1990 ; Lang et al. 1997 ; Bradley et al. 1999 ; Bradley et Lang 2000 ; Lang 2000 ; Bradley et al. 2001 ; Marsh et al. 2005 ; Eder et Rothermund 2008 ; van Dantzig et al. 2008 ; Bargh 2009 ; Corr 2013 ; Eder et Hommel 2013 ; Harmon-Jones et al. 2013 ; Dignath et Eder 2015).

Ces comportements d’approche et d’évitement sont généralement interprétés au regard du processus de régulation de la distance (Lavender et Hommel 2007 ; Seibt et al. 2008 ; Krieglmeyer et al. 2010 ; Krieglmeyer et al. 2011 ; Förster et Friedman 2013 ; Balcetis 2015). Ainsi, les stimuli plaisants induiraient chez les individus une tendance à diminuer la distance physique qui les sépare des stimuli ; alors que les stimuli émotionnels déplaisants les inciteraient à augmenter cette distance. La régulation de la distance par rapport à un stimulus émotionnel se ferait de façon automatique à partir du moment où le mouvement (spatial) est rendu saillant par la tâche (Krieglmeyer et al. 2013). Cette régulation de la distance est notamment étudiée grâce à : l’analyse biomécanique des déplacements du centre des masses et du centre des pressions - par rapport au stimulus émotionnel - en position orthostatique (pour quelques exemples, Hillman et al. 2004 ; Azevedo et al. 2005 ; Stins et Beek 2007 ; Stins et al. 2011b) ; l’analyse du temps de réaction pour initier un déplacement du membre supérieur au regard d’un stimulus émotionnel (par exemple lors d’une tâche consistant à

pousser ou tirer un joystick - Chen et Bargh 1999 ; Duckworth et al. 2002 ; Rinck et Becker 2007 ; Eder et Rothermund 2008) ; l’analyse posturo-cinétique du déplacement du corps - par rapport au stimulus émotionnel - lors la marche ou l’initiation de la marche, (pour quelques exemples, Naugle et al. 2011 ; Stins et Beek 2011 ; Gélat et al. 2011 ; Naugle et al. 2012).

Dans le cadre de cette Thèse nous nous intéresserons principalement à cette composante comportementale des émotions. Cependant, interpréterons nos résultats en considérant les relations avec les autres composantes émotionnelles. Afin de mieux considérer et caractériser les émotions (modalités d’expression, situations déclenchantes, etc.), la littérature recense deux types de classifications des émotions que nous allons maintenant décrire.