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Un problème pour la pratique ?

3. L’ANALYSE DE L’EUROPÉANISATION ASCENDANTE CONFRONTÉE À L’OPACITÉ DU

2.2 Un problème pour la pratique ?

Pour Cécile ROBERT et Antoine VAUCHEZ (cf. supra point 1.1), la production politico-scientifique de l’Union européenne renvoie également à des catégories produites pour la pratique. Dans le cas de l’aménagement européen de l’espace, cette idée peut être rapprochée d’un débat scientifique sur les effets que produisent la diffusion des concepts sur la pratique des acteurs infra-nationaux de l’aménagement. Les termes du débat en question sont les suivants : faut-il, afin de concevoir et mettre en œuvre des actions en conformité avec les objectifs communautaires , disposer de concepts clairement définis auxquels pourraient se référer les acteurs ? Ou, au contraire, le caractère incertain des concepts au niveau européen permet-il de générer des effets adaptés à des situations territoriales différentes ?

Ainsi, se fondant sur des études empiriques en matière d’aménagement de l’espace européen, certains auteurs (FALUDI, WATERHOUT, 2002) considèrent que les notions jouent un rôle dans l’élaboration de plans d’action en dépit de leur manque de clarté conceptuelle. Pour Andreas FALUDI, les notions mobilisées par l’Union européenne ont une « capacité créatrice » (generative capacity) à l’intérieur de cadres politiques existants ou dans le cadre de l’élaboration de nouvelles politiques. Dans le même ordre d’idée, David SHAW et Olivier SYKES considèrent que le concept qu’ils ont étudié, celui de

polycentrisme, performs in different ways in different planning processes and contexts (SHAW, SYKES, 2004, p. 300). Dans un article récent, reprenant le débat présenté ci-dessus, Gareth ABRAHAMS conclut que, pour ces auteurs, il est moins important de déterminer avec exactitude ce que recouvre une notion que d’identifier ce qu’elle produit comme résultats (ABRAHAMS, 2013). Dans le même article, l’auteur élargit le débat à l’aménagement en général en faisant référence aux théoriciens d’un aménagement « pragmatique » (pragmatic planning) au nombre desquels il compte des auteurs comme Stanley M. STEIN et Thomas L. HARPER (STEIN, HARPER, 2012). Pour ces derniers, les outils développés à partir de définitions « normatives »79 imposent une série de règles à suivre plutôt que d’encourager des réponses innovantes adaptées à des contextes toujours singuliers. Ces auteurs militent donc plus volontiers pour des concepts disposant d’une certaine fluidité ouvrant la voie à des utilisations plus ajustées à leurs contextes de déploiement.

A contrario, certains auteurs (MARKUSSEN, 1999) considèrent que les notions floues ou ambigües sont difficiles à mettre en pratique et compromettent la cohérence d’ensemble des actions menées. Pour qu’un concept soit utile, il conviendrait donc de le relier à un ensemble d’objectifs précis, ce qui permettrait qu’il soit compris de la même manière par les personnes qui le mobilisent (chercheurs, élus, praticiens…).

Si l’approche « pragmatique » permet ainsi de prendre acte du caractère adaptable des concepts selon les contextes80, elle peut donner l’impression aux praticiens situés aux différents échelons territoriaux de la relativité fondamentale du discours européen sur l’aménagement de l’espace, ce qui pose à nouveau le problème de la constitution d’un domaine d’action suffisamment identifié au niveau de l’Union européenne.

79 Nous utilisons ici le terme « normatif » car il rend mieux compte de l’idée développée par les auteurs cités. En effet, même si ces derniers emploient, en anglais, le terme essentialist, dont la traduction littérale pourrait laisser penser qu’il renvoie à l’analyse conceptuelle, il s’agit bien, pour les auteurs mentionnés, de désigner, par ce terme, un ensemble de règles qui guident l’action d’aménagement. Dans leur interprétation, ces règles sont considérées comme des contraintes.

80 Les résultats du projet CaDEC valident d’ailleurs cette analyse : pour plus de détail sur ce point, se reporter au volume 1.

Pour ce qui nous concerne, nous considérons que la dichotomie entre « normativité » et « pragmatisme » ne permet pas de rendre pleinement compte de la réalité plus complexe de l’activité de l’Union européenne dans le domaine de l’aménagement de l’espace qui renvoie à des dimensions à la fois politique, scientifique et opérationnelle qui combinent des éléments de « normativité » et des éléments de « pragmatisme ». En effet, même mal définis, les concepts relèvent d’une approche politique et scientifique « normative » mais leur caractère vague, et donc adaptable, renvoie à une dimension « pragmatique ». Par conséquent, on ne peut que prendre acte de cette situation qui ne contribue certes pas à la cohérence du domaine étudié.

C’est sur la base de ce constat que nous proposons d’avoir recours à la mise en place d’une ontologie de domaine. Ce projet, présenté ici comme une perspective de recherche est à la fois modeste et ambitieux ; modeste car il ne vise pas à réduire la complexité du domaine ; ambitieux car il permettrait aux différents acteurs de l’aménagement européen de l’espace, mais aussi aux chercheurs, d’y voir plus clair et pourrait ainsi contribuer à une vision plus cohérente (cf. note 56) du domaine.

3. VERS UNE ONTOLOGIE DE DOMAINE

Tout d’abord, il convient de préciser que la perspective de recherche que nous entendons présenter ici à travers l’utilisation d’une démarche dite d’ontologie de domaine correspond à un travail qui n’est ni accompli ni même commencé aujourd’hui. Nous avons toutefois engagé, dans le cadre de l’UMS-RIATE81, une réflexion mobilisant à la fois des collègues de six pays européens mais également des collègues français informaticiens spécialisés dans le montage d’ontologies. Ce qui suit correspond donc à une présentation de l’état de notre réflexion et vise à préciser l’intérêt de ce type de

81 Ce projet figure d’ailleurs dans le programme d’action de l’Unité dans le cadre du contrat quinquennal 2014-2018.

démarche dans la perspective de la clarification du domaine de l’aménagement européen de l’espace à partir de l’entrée choisie dans cette partie, celle des concepts.

3.1. Définition et intérêt d’une ontologie de domaine pour l’aménagement européen