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Des preuves ténues d’application des grandes orientations politiques

1. LE CADRE THÉORIQUE : JUSTIFICATION ET PERTINENCE D’UNE APPROCHE PAR L’ANALYSE DE

2.1. Des preuves ténues d’application des grandes orientations politiques

Les recherches sur l’européanisation privilégient généralement une conception descendante (CAITRIONA, PASQUIER, 2010; DÜHR, COLOMB, NADIN, 2010). Dans le domaine de la recherche sur l’aménagement européen de l’espace, l’utilisation du concept d’européanisation a donné lieu à des démarches visant à repérer les effets, aux niveaux national et sub-national, des politiques et des initiatives européennes. On a notamment cherché à savoir dans quelle mesure les orientations européennes,

consignées dans des documents politiques, avaient été prises en compte par les acteurs nationaux de l’aménagement. Certes, ce type de recherche ne permet pas de mesurer les effets des politiques sectorielles et territorialisées ou de dispositions juridiques ; celles-ci relevant de démarches différentes, celles de l’évaluation des effets des politiques publiques (ex. les évaluations de la politique régionale à l’échelle des territoires concernés et, par agrégation, à l’échelle de l’Union) ou encore de l’évaluation d’impact (ex. évaluation des effets de telles ou telles directives européennes, notamment celles qui concernent l’environnement).

Cependant, porter l’attention sur les effets de documents politiques comporte l’intérêt de se placer en amont de la démarche européenne afin d’évaluer dans quelle mesure une idée commune de l’aménagement européen de l’espace se diffuse dans les différents pays membres. À ce titre, Bas WATERHOUT, Joao MOURATO et Kai BÖHME distinguent la dimension discursive de l’européanisation de l’aménagement qui peut être étudiée à partir des documents politiques tels que le SDEC ou l’Agenda territorial d’une part, de l’européanisation par la mise en œuvre des politiques (les différentes politiques sectorielles, la politique régionale) de l’Union européenne, d’autre part (WATERHOUT, MOURATO, BÖHME,2009).

Dans cette perspective, le SDEC a fait l’objet d’une importante littérature s’intéressant aux effets qu’il pourrait avoir dans les États membres. Document politique certes non contraignant, il a cependant fait l’objet d’un programme d’actions (programme d’actions de Tampere, octobre 1999) dont l’objectif était de décliner ses orientations générales (promotion d’un système urbain polycentrique et équilibré, accès équivalent aux infrastructures et au savoir, protection et mise en valeur de la Nature et du patrimoine) afin qu’elles trouvent une traduction dans la définition et la mise en œuvre des actions financées au titre de la politique régionale de l’Union européenne et des politiques menées par les États membres.

Cependant, considérant la nature même du SDEC, qui dépend pour les effets qu’il pourrait produire de relais politiques, juridiques ou techniques à différentes échelles, il est évident que les orientations qu’il contient ne peuvent pas faire l’objet d’une stricte mise en œuvre. Le SDEC est alors considéré comme un document d’aménagement stratégique (ALBRECHTS, 2004) qui doit influencer et devenir le cadre de référence des décideurs publics à d’autres échelles spatiales (RICHARDSON, JENSEN, 2000 ; BÖHME, 2002). Ainsi, alors que l’idée de mise en œuvre renverrait à une claire relation de cause à effet entre les objectifs du SDEC et leur réalisation à travers des actions et des politiques identifiées, voire des dispositifs déclinant en termes juridiques certains de ses choix, l’idée d’application fait référence à une idée d’influence sans contrainte.

Dans ce sens, Andreas FALUDI (FALUDI, 2001) propose, comme nous l’avons déjà mentionné (cf. partie 2, point 2.1), d’avoir recours à la notion d’ « application » qu’il oppose à celle de « mise en œuvre » (implementation)50. Selon lui, un tel document doit permettre de façonner les esprits (shaping minds)51, c’est-à-dire d’influencer les acteurs infra-européens au moment de définir les politiques d’aménagement à leurs niveaux. L’idée d’application correspond alors à la fois à la prise en compte, par les acteurs de l’aménagement, du contexte européen dans lequel s’inscrit leur territoire d’action, mais aussi à l’idée d’une nécessaire adaptation des orientations du SDEC à des contextes nationaux, régionaux et locaux forcément variés ; ces orientations ayant une pertinence plus ou moins grande et se révélant plus moins ou moins applicables selon les contextes. C’est sur la base de cette définition de l’application du SDEC que le projet de recherche du programme ESPON intitulé Application of the ESDP in the Member States a développé une méthodologie de mesure des effets potentiels du document politique européen (ESPON, 2007b).

50 Le SDEC, lui-même, présente la conformité aux orientations en question en termes d’ « application » et non de « mise en œuvre »

51 [...] applying any strategic planning document aims at shaping the minds of actors involved in spatial

development. The consequence is that , wherever the ESDP helps these actors in making sense of their situations, there it is being applied. (FALUDI, 2001, p. 664).

Dans le cadre de ce projet, j’ai réalisé une étude sur l’application du SDEC en France en étudiant les références à ce document dans les documents d’aménagement français aux niveaux national et régional. Une revue systématique a été réalisée en mobilisant les documents suivants :

o les comptes-rendus des Comité interministériel d’aménagement du territoire sur la période 1997-2005 qui comprend donc les années de finalisation (1997-1999) du SDEC52 jusqu’à l’année de réalisation de l’étude ;

o les 9 Schémas de services collectifs validés en 2002 ;

o 12 Schémas régionaux d’aménagement du territoire validés entre 1999 et 200353 ;

o Les 26 Contrats de plan États-Régions pour la période 2000-2006.

Le tableau n° 8 (page suivante) présente les principaux résultats de cette analyse. Comme on peut le constater, dans le cas français, le nombre de références au SDEC dans les principaux documents considérés est très faible. Cette conclusion générale rejoint celle du rapport ESPON qui porte sur les 29 pays impliqués dans le programme de recherche appliquée. En effet, ses principaux résultats témoignent d’une application limitée du SDEC à l’échelle de l’Union européenne et dans les pays ayant fait l’objet de l’étude (ESPON, 2007b). Si l’on peut repérer l’existence d’idées comparables à celles du SDEC, on ne relève généralement pas de références explicites au document européen. Par ailleurs, il est encore plus difficile d’identifier des effets tangibles et significatifs sur la définition des actions et des politiques qui découleraient du SDEC. Par conséquent, en s’appuyant sur les travaux réalisés, on ne peut que constater la faiblesse de la prise en compte du document européen dans les États membres. Cette situation pose donc la question de la capacité politique de l’Union européenne à façonner les esprits, selon l’expression d’Andreas FALUDI. Par ailleurs, du fait de l’importance politique que revêt ce document au niveau européen, on peut en déduire la faiblesse du processus

52 En 1997, un premier projet de SDEC a été présenté et soumis aux États-membres.

53 Les autres SRADT n’ont pas été pris en compte pour les raisons suivantes : 5 SRADT validés avant l’approbation du SDEC (1999), 7 SRADT en cours d’élaboration ou de renouvellement et 2 SRADT non obtenus au moment de l’enquête en 2005.

d’européanisation voire une forme de remise en cause d’une conception européenne de l’aménagement…

Tableau n° 8 – Les références au SDEC dans les documents d’aménagement français étudiés Échelles Actes/Documents (corpus) Références au SDEC

Comité interministériel d’aménagement du territoire

(Comptes-rendus de 1997 à 2005).

- du 15 décembre 1997 : manifestation d’intérêt pour la démarche d’élaboration, consultation nationale via la DATAR.

- du 13 décembre 2002 : appel à une meilleure coordination des politiques nationales

d’aménagement avec les orientations prévues par le document européen.

Échelle nationale

9 Schémas de services collectifs

(SSC), validés en 2002. - SSC des transports (annulé par ordonnance en juin 2005…) : évoque brièvement le SDEC pour en faire un cadre d’élaboration du schéma

(«L’élaboration des schémas de services collectifs de transports s’inscrit dans un ensemble de textes ou de documents de planification des actions à différents niveaux : … - au niveau européen : le Schéma de développement de l’espace

communautaire…», p. 677).

- SSC des paysages naturels et ruraux : présente une exégèse visant à identifier ce qui concerne la France dans les dispositions européennes développées et à repérer ce qui est déjà fait et ce qui pourrait être fait dans le domaine du schéma, notamment au titre de la coopération européenne. Cependant, ce SSC présente le SDEC comme un outil parmi d’autres (SRADT, CPER…) qui permet d’orienter la réflexion proposée.

- Aucune référence dans les autres SSC.

12 Schémas régionaux d’aménagement et de développement du territoire

(SRADT Alsace, Auvergne, Basse-Normandie, Bourgogne, Bretagne, Centre, Champagne-Ardenne, Guyane, Languedoc-Roussillon, Limousin, Picardie, Poitou-Charentes validés entre 1999 et 2003).

- Régions Bretagne, Guyane : pas de référence. - Régions Alsace, Auvergne, Basse-Normandie, Bourgogne, Centre, Champagne-Ardenne, Languedoc-Roussillon, Limousin, Picardie et Poitou-Charentes : références très générales au document sans déclinaison systématique de ses principes et de ses propositions et sans relation précise avec les actions régionales envisagées.

Échelle régionale

26 Contrats de plan État-Régions

(2000-2006) Pas de référence à l’exception des CPER de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (le SDEC est cité pour aborder la coopération dans le domaine de l’aménagement du territoire visant à renforcer l’intégration et la compétitivité économiques de l’espace Sud européen) et de la région Limousin (le SDEC est considéré comme un document

prospectif de référence). Source : SANTAMARIA, 2009

2.2. Une européanisation sans homogénéisation des systèmes nationaux