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UN CONTEXTE COMPLEXE

Au-delà du caractère indirect des actions mentionnées plus haut, la diversité des situations socio-économiques et territoriales, des organisations politico-administratives mais également des traditions nationales d’aménagement sont autant de défis pour une action européenne en matière d’aménagement de l’espace.

3.1 La diversité des problématiques de développement socio-économique

Dès 1957, le traité de Rome mentionne, dans son préambule, la nécessité pour les États fondateurs « de renforcer l’unité de leurs économies et d’en assurer le développement harmonieux en réduisant l’écart entre les différentes régions et le retard des moins favorisées ». Fondé sur le constat d’importantes différences de développement au sein des pays fondateurs (ex. Mezzogiorno italien) et, a fortiori, entre régions des différents

pays concernés, cet objectif politique initial fait toujours écho à la situation actuelle, les élargissements successifs ayant accentué les écarts de développement et de richesses constatés entre pays membres.

À l’échelle de l’Union européenne, le développement économique n’est pas homogène. Certaines régions, très actives, concentrent la richesse, présentent une forte productivité, proposent des services de haut niveau et disposent d’activités industrielles de haute technologie ; d’autres, au contraire, sont largement restées en marge de la croissance. Cette situation, en grande partie héritée de l’Histoire de l’Europe, oppose, en schématisant, l’Est et l’Ouest, d’une part, le Nord et le Sud, d’autre part.

Cependant, au-delà de ces grands clivages, s’ajoutent des disparités internes aussi bien au sein des espaces du « Pentagone des villes européennes » qu’au sein des espaces des périphéries est et sud. Ainsi, au sein du « Pentagone » des régions particulièrement dynamiques et fortement intégrées aux relations internationales (ex. le Grand Londres) côtoient des régions en difficulté issues de la première Révolution industrielle (Wallonie, Lorraine, Sarre) ou des régions moins dynamiques (Ruhr, Rhénanie-Westphalie). À l’est, des régions capitales (Prague, Budapest, Varsovie…) profitent de l’ouverture à l’ouest et de leur intégration au marché européen alors qu’ailleurs, la fermeture des industries de la période soviétique plonge certaines régions dans le chômage de masse. Par contraste, certaines régions occidentales de ces pays, qui constituaient autrefois des glacis stratégiques, sont devenues dynamiques grâce aux investissements étrangers. En général, ce qui prévaut dans ces pays, c’est l’importance des déséquilibres spatiaux internes caractérisés par une tendance au monocentrisme et par une opposition entre des périphéries en cours d’intégration et d’autres aujourd’hui délaissées (ex. Pologne orientale, une grande partie de la Roumanie et de la Bulgarie). Au Sud, au Portugal (Alentejo), en Espagne (Galice, Estrémadure), en Grèce (Épire) mais également dans le Nord-Ouest de l’Union européenne (Highlands, les parties les plus septentrionales de la Finlande et de la Suède), les zones rurales isolées, faiblement

peuplées et en déclin démographique, pâtissent d’infrastructures et de services médiocres et d’une main-d’œuvre peu qualifiée (ÉLISSALDE, 2012).

Si cette situation justifie une intervention visant à contrebalancer les fortes inégalités au sein de l’Union européenne, la diversité des situations de développement ainsi que l’inertie de certaines dynamiques spatiales posent le problème de l’ajustement des initiatives européennes à des réalités spatiales socio-économiques très hétérogènes.

3.2 La diversité des organisations territoriales

L’action de l’Union européenne organisée selon le principe de subsidiarité doit pouvoir s’appuyer sur des relais institutionnels nationaux et sub-nationaux pour la mise en œuvre des politiques et des orientations européennes. Or, dans ce domaine également, l’Union européenne présente des profils nationaux très variés, les quatre grands types d’organisations territoriales de l’État appartenant à l’Union européenne (unitaire décentralisé, fédéral, « régionalisé ») ne rendant que partiellement compte de la diversité des situations nationales.

Ainsi, dans le cas des États unitaires, la décentralisation recouvre des réalités différentes aussi bien du point de vue du nombre de niveaux de décentralisation (de 1 à 3 niveaux) qu’en termes de pouvoirs accordés aux différentes subdivisions du territoire national. Si les différences en termes de nombre de niveaux peuvent s’expliquer par des différences de taille et de population (Malte, par exemple, ne connaît qu’un seul niveau de décentralisation), les différences de responsabilités recouvrent des choix politiques nationaux spécifiques. À titre d’exemple, alors que la Constitution des Pays-Bas autorise les collectivités territoriales à adopter leurs propres lois sur leur territoire de ressort, en France, ces mêmes collectivités restent largement soumises aux dispositions juridiques nationales.

Dans le cas des États fédéraux (Allemagne, Autriche, Belgique) ou « régionalisés » - c’est-à-dire, les États où les régions disposent de pouvoirs importants de nature étatique (Espagne, Italie) -, outre les différences que l’on peut également constater dans les niveaux de subdivision du territoire national (3 niveaux en Allemagne et en Belgique, 2 niveaux en Autriche), les pouvoirs varient d’un pays à l’autre et parfois au sein d’un même pays comme en témoignent, par exemple, les différents niveaux d’ « autonomies » en Espagne.

Enfin, la diversité européenne s’exprime également dans le domaine qui nous intéresse ici, celui de la conduite des politiques et des actions d’aménagement de l’espace.

3.3 Des traditions d’aménagement distinctes

Dans le Compendium des systèmes et des politiques d’aménagement du territoire dans l’Union européenne publié en 2000 et réalisé par une équipe de chercheurs européens pour le compte de la Commission européenne (COMMISSION EUROPEENNE, 2001), les différents systèmes nationaux d’aménagement de l’espace sont présentés pays par pays (à la date de publication, il s’agit de l’Union européenne à quinze). Ce travail a également donné lieu à une tentative classification sous forme de types idéaux qui, certes, réduisent les différences nationales, mais permettent néanmoins de restituer la diversité européenne dans le domaine étudié.

Cette typologie présente quatre approches différentes, dénommées « traditions », (tableau n° 2) de l’aménagement au sein de l’Union européenne :

- celle du développement économique régional. Elle concerne la France et le Portugal.

- celle dite du comprehensive planning17. Elle concerne l’Allemagne, l’Autriche, les Pays-Bas et les Pays scandinaves.

- celle qui s’intéresse à la gestion de l’occupation des sols (land use management). Elle concerne le Royaume-Uni, l’Irlande et la Belgique

- celle de l’urbanisme. Elle concerne l’Espagne, l’Italie et la Grèce.

Tableau n° 2 – Description des « traditions » consignées dans le

Compendium des systèmes et des politiques d’aménagement dans l’Union européenne

Source : NADIN,STEAD, 2012, p. 1 552

Ces quatre traditions correspondent à des objectifs, des modalités et des échelles de mise en œuvre fort différents. Ainsi, alors que la tradition dite du développement économique régional renvoie à une action politique centralisée afin d’assurer le développement des territoires et la convergence des niveaux de vie à l’échelle nationale et entre régions, avec, comme but ultime, d’atténuer les inégalités territoriales, celle dite du comprehensive planning se soucie de la cohérence multiscalaire et multisectorielle des

actions menées, consignées dans des plans d’aménagement imbriqués, gage d’efficacité des actions d’aménagement. Au-delà de ces différences de modes de faire, on peut constater que ces deux traditions constituent également des modes de pensée fort différents.

Les deux autres traditions, toutes deux cantonnées à l’échelle locale, se différencient néanmoins entre elles et des autres : la tradition du Land use management passe par un contrôle juridique de l’affectation des sols ; celle de l’urbanisme, renvoie à une action de régulation des formes bâties au sein des espaces urbains.

Certes, ces analyses souffrent de lacunes (par exemple, le Town and Country Planning au Royaume-Uni ne s’inscrit pas dans une perspective d’aménagement uniquement locale), mais il convient de rappeler qu’il s’agit de types idéaux qui peuvent, par conséquent, recouvrir plusieurs traditions nationales même si certains pays relèvent plus volontiers de telle ou telle tradition. En outre, le Compendium, dont l’élaboration est maintenant ancienne, ne concerne que quinze pays de l’Union européenne.

Cependant, d’autres travaux ont été menés depuis, notamment ceux réalisés dans le cadre du projet ESPON intitulé Governance of territorial and urban policies from EU to local levels (ESPON, 2007a). Ce travail, qui prend le Compendium comme point de départ, laisse apparaître des changements, notamment dans la classification des États membres selon les quatre traditions initialement proposées (figure n° 2). Il apparaît, à travers les études de cas nationaux réalisées dans le cadre du projet, une sorte de métissage des traditions en question. Par exemple, dans le cas français, la mise en place des Schémas de cohérence territoriale à partir des années 2000 relève d’une approche de type comprehensive planning (GEPPERT, 2008). De la même manière, dans la cas britannique, la mise en place d’agence régionale de développement durant les années des gouvernements travaillistes (1997-2007) renvoie également à une modification de la tradition dite du land use management vers l’approche dite du développement économique régional.

Figure n° 2 – Changement dans les « traditions » d’aménagement des pays de l’Union européenne à 15 et caractérisation des « traditions » des nouveaux États membres (+ Suisse et Norvège)

Source : ESPON, 2007a

Cependant, dans le cas français, l’approche comprehensive reste cantonnée à l’échelle locale18. Dans le cas britannique, le nouveau gouvernement conservateur a renoué, à partir de 2010, avec la tradition plus locale de l’aménagement et du développement territorial (O’BRIEN,SYKES,SHAW, 2015).

18 A noter, cependant, que la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République du 7 août 2015 prévoit, au titre de son article L. 4251-3, les dispositions suivantes : « Les schémas de cohérence territoriale et, à défaut, les plans locaux d'urbanisme, les cartes communales ou les documents en tenant lieu, ainsi que les plans de déplacements urbains, les plans climat-énergie territoriaux et les chartes des parcs naturels régionaux : 1° Prennent en compte les objectifs du schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires ; 2° Sont compatibles avec les règles générales du fascicule de ce schéma, pour celles de leurs dispositions auxquelles ces règles sont opposables... ». Ces dispositions ouvrent donc la voie à une planification multi-échelle au niveau régional.

Dans tous les cas, même si certaines formes de convergence existent, la diversité persiste. De manière générale, elle s’explique par le fait que les systèmes nationaux d’aménagement sont enracinés dans des contextes sociopolitiques, des langages, des modèles sociaux et culturels (NADIN, STEAD, 2012 ; KNIELING, OTHENGRAFFEN, 2009a). Les « cultures d’aménagement » (BISHWAPRIY, 2005) sont des produits en évolution, certes influencés par des contextes sociaux, politiques et économique externes mais aussi internes, chaque pays ayant ses propres manières de répondre à ces évolutions (FRIEDMAN, 2005).