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L’ANALYSE DE L’EUROPÉANISATION ASCENDANTE CONFRONTÉE A L’OPACITÉ DU

L’européanisation ascendante fait référence à la capacité de certains acteurs infra-européens à faire en sorte que des options nationales puissent être reprises à leur compte par les institutions européennes (uploading). Afin d’illustrer ce processus, nous utiliserons l’analyse des modalités de prises de décisions politiques qui ont conduit aux choix des grandes orientations en matière d’aménagement dans le cadre de l’élaboration du SDEC.

Plusieurs auteurs ont montré comment l’élaboration du SDEC avait été l’occasion de faire prévaloir des conceptions nationales au niveau européen (FALUDI, WATERHOUT, 2002; ZONNEVELD, WATERHOUT, 2007). Ainsi, ce document n’aurait pas existé sans l’action des gouvernements français, néerlandais et allemand (FALUDI, 2004). Dans ce contexte, ces gouvernements ont joué un rôle à la fois convergent et complémentaire. En Allemagne et aux Pays-Bas, la question de l’emboîtement des échelles du local au national, voire à l’international, constitue un élément clé de l’action d’aménagement du territoire de ces pays. Mais, alors qu’au moment de l’élaboration du SDEC, les Pays-Bas disposent de dispositifs centrés sur la question de la coordination spatiale des actions publiques sectorielles qui assurent la complémentarité et la déclinaison des orientations d’aménagement à différentes échelles, l’Allemagne s’appuie sur un modèle d’orientations générales définies par la loi fédérale, à charge pour les régions et les investisseurs privés de définir librement les normes et les plans d’aménagement au niveau qui est le leur, cette situation s’expliquant par le contexte fédéral. Ainsi, les responsables de ces pays ont vu dans le SDEC la version européenne de l’emboîtement d’échelles proposant, dans une perspective qui est aussi la leur, des orientations indicatives en matière d’aménagement.

Le gouvernement néerlandais a également, lors de sa présidence de l’Union européenne en 1991, présenté un document intitulé Urban Networks in Europe dont l’effet s’est traduit

dans le SDEC par l’accent mis sur le concept, partagé par les Allemands, de polycentrisme. Néanmoins, si l’influence technique et conceptuelle des responsables politiques néerlandais est importante lors du processus d’élaboration, leur souhait de voir la Commission européenne jouer un rôle plus central en matière d’aménagement du territoire européen55 les a conduits à un certain isolement politique. C’est ainsi que l’Allemagne a joué un rôle politique complémentaire en soutenant le processus du SDEC tout en le cantonnant au champ des relations intergouvernementales afin d’éviter un conflit avec les Länder (FALUDI, 2004).

Pour ce qui est de la France, le processus du SDEC a été considéré par les autorités françaises comme l’opportunité de projeter une certaine idée de l’aménagement du territoire au niveau européen ; la Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale ayant ainsi trouvé, au tournant des années 1990, un nouveau rôle. Elle a notamment poussé la Direction générale de la politique régionale de la Commission européenne à élaborer le document Europe 2000 : les perspectives de développement du territoire communautaire (1991). C’est d’ailleurs dans ce contexte, qu’en 1989, sous présidence française, est lancé le processus d’élaboration du SDEC.

Dans le même ordre d’idée, dans un article intitulé Territorial cohesion: Old (French) Wine in New Bottles?, Andreas FALUDI affirme que l’introduction ultérieure de la notion de cohésion territoriale dans le débat européen n’aurait été que la formulation européenne de la politique française d’aménagement du territoire (FALUDI, 2004).

De manière générale, l’influence des États membres peut s’expliquer par leur tendance naturelle à exporter leurs propres organisations et idées politiques au niveau de l’Union européenne (BÖRZEL, 2002) mais également à faire valoir, indirectement, leurs propres intérêts. De ce point de vue, Bas WATERHOUT considère que l’insistance des

55 …the Fourth National Spatial Planning Report of the late-1980s and early 1990s argued for the European Community to assume a planning role, a position that, albeit briefly, Dutch ministers were willing to defend at Brussels (FALUDI, 2004, p. 162).

gouvernements néerlandais pour introduire un discours spécifique sur la compétitivité en lien avec une action d’aménagement européen de l’espace témoigne de l’espoir implicite de voir les financements européens de la politique régionale réorientés vers les régions pouvant jouer le rôle de « moteurs » pour l’économie européenne, situation qui serait potentiellement plus favorable aux régions du cœur de l’Union européenne et, par conséquent, aux régions néerlandaises (WATERHOUT, 2007)…

Ce type d’analyse comporte l’intérêt de proposer une conception réaliste du fonctionnement européen au moment de la définition des grandes orientations relatives à l’aménagement. Réaliste, tout d’abord, car elles témoignent clairement que les grandes orientations politiques de l’Union européenne restent entre les mains des États membres (MAGNETTE, 2006). Réaliste, également, car elle n’escamote pas la diversité des conceptions et des intérêts nationaux.

Cependant, ce type d’analyses pose deux problèmes importants : premièrement, elles font la part belle aux États et s’inscrit, de ce fait, dans la perspective d’une lecture intergouvernementaliste ; deuxièmement, elles naturalisent en quelque sorte les postures nationales en les expliquant par leurs éléments les plus visibles : les conceptions nationales de l’aménagement, les contextes institutionnels nationaux ou les orientations politiques conjoncturelles nationales. Même si ces analyses incorporent la réalité de la négociation européenne faite d’alliances fondées sur des conceptions communes (ex. Allemagne et Pays-Bas dans le cadre de l’élaboration du SDEC), d’incertitudes (ex. introduction de la compétitivité dans les débats sur la politique régionale) et de compromis, elles semblent valider, au moins implicitement, l’idée que les décisions européennes ne seraient que le produit d’un rapport de force entre États entériné au niveau européen. De ce fait, elles n’expliquent pas les mécanismes précis qui autorisent le transfert de certaines idées du niveau national au niveau européen. Certes, on peut toujours renvoyer les décisions finalement prises au poids relatif des États dans la négociation européenne. Cependant, même si cette explication peut permettre de rendre compte du résultat final, elle ne dit rien du processus de négociation au sein de

différentes instances européennes. Ces analyses réduisent le choix des orientations européennes en matière d’aménagement à une explication raisonnable des causalités sans véritablement pouvoir entrer dans une logique d’explication des mécanismes qui amènent telle ou telle idée, telle ou telle orientation politique à connaître un transfert du niveau national au niveau européen. Ici, toute tentative d’explication butte finalement sur l’opacité du fonctionnement européen.

En outre, le fait que certaines positions soient portées du niveau national au niveau européen par des États membres disposant d’un pouvoir relatif important au sein de l’Union européenne, ne garantit pas la complétude du processus d’européanisation puisque, comme nous l’avons vu précédemment, cette situation ne s’est pas traduite par une reprise significative et explicite des orientations du SDEC au niveau national, même dans une pays comme la France qui fut pourtant l’un des principaux soutiens à la démarche d’élaboration du document européen relatif à l’organisation volontaire de l’espace.

4. UNE EUROPÉANISATION HORIZONTALE EN MANQUE DE PREUVES : L’EXEMPLE DES