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La probation : être un fardeau pour l’équipe soignante

CHAPITRE 4 : ÊTRE PRÉPOSÉ AUX BÉNÉFICIAIRES : DESCRIPTION DE

4.2. Le métier de préposé aux bénéficiaires : les premiers pas

4.2.2. La probation

4.2.2.2. La probation : être un fardeau pour l’équipe soignante

La probation amène les nouveaux préposés à faire partie d’une équipe de travail, une équipe où les routines et les habitudes sont déjà établies et où le rythme de travail est bien maitrisé par les anciens. Le manque de temps est un enjeu majeur au sein de l’organisation, ce qui influence la dynamique dans les équipes et conduit à un travail de plus en plus individualisé. Une conséquence de ce chacun pour soi est que les anciens préposés n’ont pas de temps à consacrer aux nouveaux en probation. Ils ne peuvent pas perdre du temps pour répondre à leurs questions. C’est pourquoi les nouveaux doivent apprendre rapidement. Plusieurs participants ont même mentionné leur crainte de poser des questions, de peur de ralentir leurs collègues :

Je trouvais ça plate que je commence dans une nouvelle place et que personne ne peut m’aider. L’infirmière m’a ensuite demandé de suivre mon plan de travail pour m’en sortir.

(Répondante #01)

On essaie vraiment de s’intégrer dans le métier, tu demandes, ce que tu ne sais pas tu demandes… Tu essaies vraiment de t’améliorer au fur et à mesure et tu vois ce que les autres font, tu regardes dans tous les sens pour voir si vraiment tu es correct dans ce que tu fais. Souvent, tu poses des questions et il n’y a pas personne pour te répondre, tout le monde est occupé.

(Répondante #05)

Être en probation, c’est apprendre à travailler avec une équipe, une équipe qui est surchargée par les tâches, où les nouveaux sont perçus comme un fardeau et non comme des collègues à part entière. Certains anciens peuvent même être cyniques lorsqu’ils apprennent l’arrivée d’un nouveau sur le plancher. Plusieurs participants ont témoigné avoir vécus des situations désagréables au cours de leur probation avec des anciens qui auraient abusé de leur d’autorité en tant qu’experts du milieu de travail.

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4.2.2.2.1. Le cas de Joséphine

Joséphine a beaucoup souffert lors de sa période de probation. Ses collègues, tous

natifs du Québec, exerçaient un certain pouvoir d’autorité sur elle. Ne connaissant pas encore

le fonctionnement du centre d’hébergement où elle faisait sa probation, Joséphine se fiait et se référait à ce que ses collègues lui disaient de faire. Ils ciblaient pour elle les tâches qu’elle devait effectuer et ceux-ci s’afféraient à d’autres tâches pendant ce temps. Un jour, ses collègues lui ont demandé d’aller donner le bain à un résident pendant que ceux-ci allaient s’occuper de faire le lit. Joséphine accepta. Elle croyait que ceux-ci voulaient l’aider, mais au contraire, le lit qu’ils ont fait était mal fait. Ce lit était attitré à Joséphine et l’infirmière lui donna une mauvaise note cette journée dans son cahier de probation. Elle n’avait pas vérifié après le bain si le lit était bien fait, elle faisait confiance à ses collègues. Joséphine s’est posée plusieurs questions : pourquoi m’ont-ils fait cela ? Ils ne m’aimaient pas et ils voulaient me voir partir ? Ils n’aiment pas les gens de couleur ? Joséphine n’a pas de réponse à ses questions. Elle ose croire qu’il s’agit d’une relation de pouvoir d’ancien à nouveau et non d’une position d’autorité interethnique. Depuis ce jour, Joséphine est très méfiante envers ses collègues et s’isole de son équipe, allant jusqu’à refuser de l’aide.

Plusieurs témoignages de ce type ont été recueillis lors de la collecte de données. Ils ont tous en commun d’avoir pour origine une relation de pouvoir particulière, mais il est impossible de déterminer s’il elle est hiérarchique ou ethnique. Certains répondants sont persuadés que leur ethnicité est en cause, alors que d’autres souhaitent que ce genre de problème soit plutôt lié à la mauvaise dynamique existant entre nouveaux et anciens.

4.2.2.2.2. Les difficultés liées à la maitrise de la langue française

Tous les participants rencontrés ont affirmé avoir eu des problèmes de communication lors de leur période de probation, même si ceux-ci sont en mesure de bien s’exprimer en français. L’accent et les expressions locales étaient les causes de l’incompréhension entre collègues et avec les résidents. Les préposés immigrants cherchent souvent leurs mots afin de trouver les bonnes expressions pour se faire comprendre par les résidents ou les collègues. C’est pour cette raison que les conversations se limitent souvent

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au minimum. Même avec les collègues pendant les pauses, ils ont une certaine gêne à prendre la parole :

Il y a de la gêne aussi. Quelqu’un qui vient de l’extérieur et qui commence, ils sont gênés de s’intégrer, d’aller voir la personne, d’aller poser des questions. Il dit : moi je commence dans le domaine, je ne sais pas comment elle va réagir. Ce n’est pas ma langue maternelle, comment je vais lui poser mes questions. (Répondant #10)

Plusieurs collègues natifs du Québec affirment ouvertement, sur le milieu de travail, que l’accent et le français de leurs collègues immigrants constituent des irritants. Ils ne supportent pas cette différence langagière, car elle engendre souvent une tâche supplémentaire pour eux : ils doivent servir d’interprète entre le résident et le préposé immigrant :

Bon va falloir que j’aille voir, ça d’l’air que le résident comprend rien de ce qu’il dit…

(Exprimé en soupirant)

Pourquoi on l’a engagé ? Personne ne comprend quand il ouvre la bouche. (Un préposé qui discute avec l’infirmière)

Par ailleurs, il y a des équipes où l’humour est au rendez-vous et où certains participants peuvent se permettre de rigoler avec leurs collègues natifs du Québec lorsqu’un résident ne comprend pas ce qu’ils disent, mais ce contexte très amical de travail ne représente pas la majorité des témoignages reçus. En plus d’entendre régulièrement des commentaires négatifs sur leur français, les participants ont rapporté que leur prise de notes dans le plan de travail n’était pas souvent prise en considération en raison de leurs difficultés langagières. Que ce soit à l’oral ou à l’écrit, leurs remarques et leurs commentaires sur l’état de santé des résidents sont très peu écoutés. Leurs fautes de français et la structure parfois erronée de leurs phrases semblent mener à un jugement de la part de leurs collègues, qui, bien que n’ayant pas de difficulté à comprendre ce que les participants ont écrit, ont parfois tendance à ne pas prendre en considération leurs propos.

Ce chapitre répond à trois objectifs de ce mémoire. Afin de comprendre l’expérience globale de travail des préposés immigrants, l’identification des trajectoires migratoires et professionnelles des participants était requise afin de saisir le sens et les motifs de leur choix

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de carrière. Une description et une analyse de l’organisation du travail en centre d’hébergement et plus particulièrement sur le travail des préposés a été effectuée dans le but de dresser un portrait juste du contexte de travail et du fonctionnement de l’organisation gériatrique. Leur expérience comme nouveau préposé a aussi été documentée : leur arrivée dans ce métier a pu être décrite en documentant les premières journées de travail et la période de probation. Le prochain chapitre présentera l’analyse de leur expérience de travail en traitant plus spécifiquement de l’expérience de soin une fois leur probation complétée et réussie.

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Présentation des résultats

CHAPITRE 5 : L’EXPÉRIENCE DE TRAVAIL APRÈS LA

PROBATION : DESCRIPTION DE LA RELATION DE SOIN

Vécue comme une libération pour les participants, la réussite de la probation est un soulagement, une victoire où leurs efforts sont enfin récompensés. Ils ne sont plus que de simples apprentis, un statut parfois lourd à porter dans une équipe où les nouveaux sont perçus comme des fardeaux ralentissant le rythme de travail ; ils sont désormais des employés réguliers. Réussir la probation représente le passage d’un statut à un autre, un changement important grâce auquel les participants ne travailleront plus dans la peur de commettre des erreurs. Le cahier de probation peut enfin être mis de côté, ce qui symbolise une nouvelle étape dans leur processus professionnel. Afin de comprendre l’expérience de travail dans son ensemble, les données présentées dans ce mémoire ne peuvent pas se limiter à la période de probation. Ne décrivant que les quarante-cinq premiers jours dans le métier, les participants ont donc été questionnés sur leur vécu au travail après cette période. Comment se déroule le travail au quotidien une fois la période de probation complétée ? Les divers obstacles rencontrés lors de celle-ci sont-ils encore présents ? Les participants ne vivent plus d’angoisse liée au cahier de probation, mais qu’en est-il des difficultés rencontrées lors des soins destinés aux résidents ? Vivent-ils toujours des refus de soins de leur part ? Sont-ils encore perçus comme des fardeaux au sein de l’équipe ?

Le quatrième objectif de ce mémoire est de dresser un portrait de l’expérience de soin et de la relation entretenue avec les résidents après la période de probation. Lors de l’enquête de terrain, aucune définition préétablie du soin ou de la relation de soin n’a été proposée aux participants. Il leur a plutôt été demandé d’illustrer leur expérience de soin à partir de leur propre définition de ce que représentent le soin et l’accompagnement. Évitant d’imposer une définition, de lui donner a priori un sens et des fonctions, les résultats qui seront présentés exposent le sens, la vision et l’expérience des participants à partir des relations de soin qu’ils ont entretenues et qu’ils expérimentent toujours. À cela s’ajoute le thème de l’ethnicité, qui ne faisait pas d’entrée de jeu partie des questions posées, afin d’obtenir de manière spontanée,

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leur réflexion sur l’impact et la place qu’ils attribuent à leur origine ethnique dans l’expérience de soin29.

5.1. Mise en scène de la chorégraphie des soins : rencontre entre un