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CHAPITRE 2 : LES ORIENTATIONS CONCEPTUELLES

2.2. Les soins d’assistance

2.2.2. Les savoirs profanes

Les institutions de santé sont des lieux où se côtoient le care, les soins médicaux, les cultures organisationnelles et professionnelles spécifiques à chaque soignant (Fortin et Knotova 2013). Ils sont aussi des endroits « […] aux multiples logiques et temporalités de soins, un espace d’interactions entre soignants, soignantes et soignés et de négociation des savoirs » (Fortin et Knotova 2013 : 4). Au-delà des savoirs de la médecine, ce sont les savoirs profanes, des savoirs qui ne se rattachent pas à la science, qui permettent de réaliser le travail de care des préposées aux bénéficiaires (Arborio 1996; Arborio 2012; Aubry et Couturier 2014a). Dotées d’un savoir-soigner profane, les préposées ne sont pas formées médicalement comme les infirmières et les médecins, mais leurs savoirs se manifestent par la manière qu’elles ont d’être à l’écoute des personnes et de leurs besoins (Arborio 1996). Savoir s’ajuster, savoir approcher, savoir toucher et savoir écouter sont des savoirs relationnels

13 Au sein de la biomédecine, le care fait opposition au cure qui renvoie aux traitements, à la technique médicale et au corps biologique, tandis que le care fait référence aux liens sociaux, aux paroles et aux gestes entourant la mise en pratique des soins (Saillant et Gagnon 1999 : 6).

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profanes que les préposées aux bénéficiaires utilisent au quotidien pour donner leurs soins

(Arborio 1996; Arborio 2012; Aubry et Couturier 2014a). Le savoir-juger est également important dans les soins à prodiguer, car il permet aux préposées de repérer le manque d’appétit d’une personne ou encore d’identifier les signes d’un malaise éventuel (Arborio 1996). Ne s’appuyant pas sur la médecine, le jugement profane est une connaissance à laquelle on attribue un certain prestige entre pairs : « ce savoir-juger des besoins des malades que l’aide-soignant réfère à leur statut social est une sorte de savoir-lire le social » (Arborio 1996 : 92).

2.2.2.1. Le savoir relationnel comme savoir-être

Dans les savoirs profanes le savoir relationnel, ou compétence relationnelle selon certains auteurs, est davantage discuté dans la littérature scientifique (Arborio 1996; Aubry 2007; Aubry 2011). Ce savoir, qui fait référence à la manière d’entrer en relation avec les personnes, est un savoir qui serait socialement acquis, par exemple par la famille, ce qui permet de le qualifier de profane (Arborio 1996; Aubry 2007; Aubry 2011). Ce savoir ne s’apprend pas sur les bancs d’école : les préposées sont relationnelles ou elles ne le sont pas. Toutefois, au Québec, il est intéressant de souligner que la compétence relationnelle, qui serait naturellement acquise chez les préposées, est en train de faire sa marque au sein des formations professionnelles. Depuis quelques années, on enseigne aux préposées aux bénéficiaires une approche particulière qui s’intitule l’approche relationnelle de soins (Aubry et Couturier 2014b). Est-il encore possible de parler d’un savoir relationnel socialement acquis, alors qu’il est désormais « possible » de l’acquérir avec une formation ? Ce mémoire n’est pas en mesure de répondre à cette question, mais du moins, il est intéressant de constater que les organisations de santé font présentement la promotion du savoir relationnel.

Par ailleurs, tous les professionnels en santé se réclament l’exclusivité du savoir relationnel en affirmant être les seuls à accéder à la proximité des personnes malades (Arborio 1996). Les soignantes en assistance affirment avoir un plus grand espace que les infirmières pour créer une relation privilégiée avec les personnes : « […] une sorte de rhétorique de la valorisation de soi et de la distinction des métiers voisins » (Arborio 1996 :

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97). En raison de la non-spécialisation médicale de leur métier, le volet relationnel chez les préposées devient central en termes de valorisation professionnelle. Cette proximité de corps à corps dans les soins d’hygiène permet aux préposées de se sentir valorisées en raison du monopole qu’elles ont de cette relation affective (Arborio 1996 : 100). Cette affection est alors une source de satisfaction et de valorisation : elles se sentent privilégiées d’avoir ce degré d’intimité avec les personnes.

2.2.2.2. Les contraintes organisationnelles de la mise en pratique du savoir relationnel

Leur savoir relationnel ne peut toutefois pas être utilisé à son plein potentiel tel que mentionné dans plusieurs recherches sur les centres d’hébergement au Canada et en Europe (Aubry 2007; Aubry 2010; Aubry 2011; Aubry 2012; Aubry et Couturier 2014a). Le personnel d’assistance est confronté à plusieurs difficultés, dont le fait de donner des soins à des résidents qui sont aux prises avec des problèmes cognitifs et de santé mentale, ce qui accentue considérablement leur charge de travail. À cela s’ajoute une contrainte de temps, une diminution du temps passée avec chaque résident. En effet, l’organisation gériatrique est composée de deux logiques contradictoires : d’une part une logique domestique qui renvoie aux relations de proximité, à l’univers familial et à l’écoute, et d’autre part, une logique industrielle qui fait référence à l’efficacité et à la performance (Aubry 2011 : 50). Les préposées aux bénéficiaires font donc face à un double enjeu au niveau des rythmes de travail : « elles doivent réaliser un travail minimum de relationnel tout en rentrant dans les temps » (Aubry 2011 : 10). La maîtrise du savoir, du savoir-faire et du savoir-être relationnel avec les résidents est une compétence considérée comme primordiale pour effectuer le travail de préposé aux bénéficiaires, mais celles-ci ont peu de temps pour le mettre en pratique.

2.2.2.3. Le savoir relationnel, un prérequis pour faire partie de l’équipe des préposés

En centre d’hébergement, le savoir relationnel est primordial pour effectuer les soins auprès des résidents, mais il est tout aussi important pour intégrer le collectif des préposés aux bénéficiaires. Il fait d’ailleurs partie des principaux critères pour distinguer les bonnes préposées des mauvaises préposées lors des premières journées de travail. Pour réussir leur

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probation d’une durée de quarante-cinq jours, les nouvelles préposées sont sélectionnées en fonction de leur capacité à tenir leur savoir relationnel tout en travaillant rapidement (Aubry 2010; Aubry 2011; Aubry 2012). Deux critères sont donc essentiels pour que les nouvelles recrues soient acceptées au sein de l’équipe : la vitesse de travail et la capacité à s’adapter à la lenteur des résidents. Lors de la probation, les préposées expérimentées vont devoir rendre compte aux supérieurs de la compétence, ou non, des nouvelles recrues. Le supérieur devra décider en fonction de ce jugement de conserver ou non ces nouvelles recrues au sein de l’équipe. Devenir préposée aux bénéficiaires ne repose donc pas seulement sur la possession d’un diplôme d’études professionnelles, c’est aussi d’avoir un savoir-être relationnel, puis surtout d’être capable de s’intégrer à l’organisation, à un collectif où la préposée est jugée pour sa capacité à supporter le poids de la charge de travail (Aubry 2010; Aubry 2011; Aubry 2012).