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1.3 Réforme scale environnementale et double-dividende

1.3.3 Probabilité d'occurrence du double dividende

De la littérature prolique qui concerne la problématique des réformes scales envi- ronnementales, il semble impossible de tirer une conclusion absolue sur l'existence ou non d'un double-dividende. Les économistes ont plutôt recensé un vaste nombre d'hypothèses censées inuer sur la probabilité d'obtention du double-dividende, ces hypothèses allant de l'existence de salaires rigides, à la séparabilité de la consommation privée et des améni- tés environnementales dans l'utilité des ménages, en passant par la prise en compte de la qualité de l'environnement comme facteur de productivité.

L'existence d'un double dividende est fondamentalement liée aux rapports de force opposant deux principaux eets (Parry (1995, [57])) : l'eet de recyclage du revenu (qui permet de réduire les distorsions du système scal global) et l'eet d'interaction des taxes (qui peut au contraire exacerber ces distorsions). En eet, dans une économie présentant de multiples distorsions, il faut choisir avec soin laquelle distorsion. Dans certains cas, il est préférable de redistribuer les recettes de manière forfaitaire (neutre) plutôt que d'aggraver les écarts de prix relatifs entre facteurs ou biens.

De façon assez surprenante, l'ensemble des économistes se sont concentrés sur l'existence ou non de la forme forte du double dividende, reconnaissant implicitement la véracité d'un double dividende faible. Cependant, pour Babiker et. al. (2003, [9]), il s'agit d'un raccourci trompeur : en s'appuyant sur une maquette très stylisée d'une économie à deux biens, ils inrment l'hypothèse d'un double-dividende faible. Ils confrontent ensuite cette hypothèse aux données empiriques à l'aide du modèle du EPPA du MIT : en France un double- dividende faible se dégagerait si le recyclage choisi consistait à réduire les charges sur le travail, mais pas dans le cas d'une réduction de l'impôt sur le revenu.

Les premières études théoriques18 dans un cadre d'équilibre général ont réfuté l'exis-

tence d'un double-dividende fort. Selon ces études, c'est l'eet d'interaction des taxes qui prendrait le dessus. Ce courant de pensée fonde ses arguments dans l'étude de Bovenberg et De Mooij (1994, [18]). Leur étude s'appuie sur un modèle statique d'une petite économie ouverte présentant deux distorsions : une distorsion environnementale liée à la consomma- tion d'un facteur polluant (l'énergie) et une distorsion sur le marché du travail en raison d'une taxe sur le salaire. Les eets d'une réforme scale en termes de bien-être sont mesurés par la charge excédentaire générée par la modication de la scalité.

Le renforcement d'une taxe environnementale préexistante réduirait à la fois l'emploi et la production, selon la valeur de l'élasticité de l'ore de travail. En eet, une taxe carbone a pour eet de réduire le salaire réel net des ménages, en augmentant le prix des biens de consommation énergétiques. L'ore de travail des ménages diminue alors. Ainsi, l'érosion de l'assiette scale environnementale implique que pour une réforme à revenus inchangés,

individus (lorsque les coûts de production augmentent plus vite que les bénéces).

18. Bovenberg et De Mooij (1994a, [18], 1994b, [53], 1997b, [44]), Bovenberg et Van der Ploeg (1994a, [18], 1994b, [20], 1996, [19]), Parry (1995, [57]), Goulder (1995, [38]) et Bovenberg et Goulder (1996, [19]).

la diminution des charges sur le travail n'est pas susante pour compenser exactement l'eet généré par la taxe carbone. Les auteurs concluent que dans ce cadre il ne peut y avoir de double dividende.

Dans son article fondateur, Goulder (1995, [38]) revient sur les résultats de Bovenberg et De Mooij et sur les raisons de l'inexistence d'un double dividende dans ce type de modèles. Il identie alors deux conditions permettant d'augmenter la probabilité d'occurrence du double-dividende :

 un système scal initial fortement distordant.

 un impôt environnemental qui doit peser sur un bien ou input initialement peu touché par les distorsions, de sorte que la distorsion additionnelle soit la moins forte possible. Ainsi, pour obtenir un double dividende, il faut partir d'un état initial sous-optimal c'est-à-dire avec d'importantes distorsions scales, comme c'est majoritairement le cas dans les économies développées. Pour dégager le dividende économique le plus important possible, le recyclage des recettes devra s'eectuer via une réduction d'un impôt très dis- tordant : aux Etats-Unis il s'agit des charges sur le capital alors qu'en Europe et plus particulièrement en France il s'agira des charges sur le travail.

Les conditions évoquées ci-dessus recouvre en réalité un eet important lié à la taxation environnementale, dénommé l'eet d'interaction des taxes, et sous-jacent aux résultats de Bovenberg et de Mooij (1994, [18]). En eet, l'impact total d'une réforme scale environ- nementale sur le bien-être peut se décomposer en un eet revenu et un eet d'interaction des taxes. L'eet revenu recouvre le gain d'utilité associé à la réduction des charges sur le travail comparé à une redistribution forfaitaire aux ménages. L'eet d'interaction des taxes mesure la perte d'ecacité liée à l'exacerbation de distorsions pré-existantes liée à une aug- mentation de la taxe environnementale. Dans le cas d'une économie avec une externalité et pas de distorsion initiale, le niveau de taxation optimale doit s'établir au niveau pigou- vien (dommage marginal de l'externalité générée). En revanche, en présence de distorsions initiales, générées en particulier par l'existence de taxes proportionnelles pré-existantes, le niveau optimal de la taxe environnementale s'écarte à la baisse du niveau pigouvien en raison des eets croisés qu'elle génère sur l'activité et en particulier sur les autres assiettes scales. Il est donc tout à fait possible qu'une réforme scale environnementale (hausse de la taxe carbone compensée par une baisse des charges sur le travail) aggrave les pertes sèches associées au système scal global plutôt que de les alléger. Dans le cas de Bovenberg et Goulder évoqué précédemment, l'étroitesse de la taxe carbone suggère que le niveau de taxe doit être susamment élevé pour permettre une diminution signicative des charges sur le travail. La distorsion importante générée par la taxe carbone touche alors le marché des biens intermédiaires, puis des biens naux aectant alors les marchés du travail et du capital. Cet eet d'interaction prend donc le pas sur l'eet revenu et l'hypothèse d'un double-dividende est alors rejetée.

Ligthart (1998, [45]) synthétise quelques résultats postérieurs à ceux de Bovenberg et De Mooij (1994 [18]) : puisque la hausse d'une taxation environnementale pèse in ne sur le travail, il est nécessaire de transférer la charge scale vers d'autres facteurs de production ou d'autres catégories de ménages pour obtenir un double-dividende au sens fort. Il distingue ainsi trois cibles nales du poids scal :

 un facteur de production xe, à savoir un facteur qui n'est pas susceptible d'évasion scale. Dans ce cas, illustré par Ligthart et Van der Ploeg (1996, [46]), il faut égale- ment que le travail soit un meilleur substitut aux ressources naturelles que ce facteur xe. En revanche, dans un cadre classique à deux facteurs de production que sont le

travail et le capital, si celui-ci est internationalement mobile (ce qui est le cas à long terme), le double-dividende disparait (Bovenberg et van der Ploeg (1996, [19])).  les ménages dont les revenus ne proviennent pas du travail ((Bovenberg et Van der

Ploeg (1996, [19])), Koskela and Schöb (1990, [42])). En particulier, dans un cadre de chômage involontaire (frictions sur le marché du travail), la mise en place d'une réforme scale peut générer un double-dividende. La hausse de la taxe carbone (ou proxy) se transmet au prix à la consommation qui touche les deux catégories d'agents (travailleurs et chômeurs), en revanche seuls les travailleurs voient leur perte de pouvoir d'achat compensée par la baisse des charges sur le travail. ((Bovenberg (1997, [17])), Koskela and Schöb (1990, [42])).

 les pays étrangers qui ne peuvent pas inuencer les termes d'échange19, si le pays

domestique est lui-même assez important (monopsone).

D'autres extensions du modèle de référence de Bovenberg et Goulder (1996, [19]) ont également été explorées, en se concentrant essentiellement sur le traitement de la qualité environnementale et son interaction avec le reste de l'économie. Alors que bien de consom- mation, permet également de dégager un double-dividende fort.

Les résultats théoriques obtenus sur l'occurrence ou non du double dividende ne sont globalement pas concluants : alors que dans les années 90 le consensus rejetait l'hypothèse du double dividende, cette position a depuis été revue par certains économistes pour les- quels sous certaines conditions spéciques l'hypothèse serait vériée. Du côté des études numériques, il est également dicile de trouver un accord sur le sujet, comme le résument Hourcade et Shukla (2001, [51]). Dans le cas des pays européens, les résultats dièrent au sein d'études pourtant réalisées à partir des mêmes types de modèles, à savoir des modèles d'Equilibre Général Calculable. Typiquement, Carraro et Soubeyran (1996, [22]) positionnent leurs résultats en faveur d'un double dividende fort en Europe, alors que Bernard et Vielle (1999, [13]) rejettent cette hypothèse.