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Breyten Breytenbach quitte le pays à 19 ans, il fait un long voyage en Europe en travaillant sur des bateaux. Il aboutit à Paris et rencontre sa future femme, Yolande, « française de passeport, vietnamienne d’origine » . Selon Georges Lory, c’est cette rencontre qui a fortement conforté 150

Breytenbach dans son engagement. Lui qui était déjà convaincu des méfaits de l’apartheid, il est alors touché lui-même de disgrâce quand qu’il veut rentrer au pays au bras de son épouse qui est considérée comme métisse. Leur union est tout simplement interdite sur le sol sud-africain qui condamne les mariages inter-raciaux. En 1967, le gouvernement sud-africain étend cette interdiction aux mariages contractés à l’étranger. C’est un amendement qui vise directement Breytenbach qui commence à être connu et qui pourrait renvoyer une mauvaise image au sein de la population afrikaner du pays. Un Afrikaner, plein de talent, qui est connu dans le pays entier, souillant ses origines en se mariant avec une métisse n’est pas acceptable pour le régime de Pretoria.

La police sud-africaine a fait de Breytenbach un ennemi de premier choix. Comme dit plus tôt, le basculement de Breytenbach de simple opposant moral au système d’apartheid à celui de militant se fait lorsqu’il essaye de retourner au pays avec sa femme. Ce retour n’étant pas possible, il commence sa vie d’exil. Il gravite autour du pays sans y rentrer, il présente notamment sa femme à sa famille au Swaziland, pays voisin de l’Afrique du Sud. En 1973 sa femme obtient malgré tout un visa de trois mois, ils circulent alors dans le pays durant cette période. Il ne retournera en Afrique du Sud qu’en 1975, et essayera d’y rentrer avec un faux passeport. Ce fut un échec car la police de sécurité sud-africaine l’avait déjà tracé depuis son départ de Paris. Il essaye de fuir mais se fait rattraper. Il explique son arrivée sur le sol sud-africain, ses années de prison et sa sortie dans un livre justement nommé « Confession véridique d’un terroriste albinos » . Ce livre est un excellent 151

Ibid.

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Breytenbach B,. Confession véridique d'un terroriste albinos. Paris, Stock, 1984.

document d’information sur la vie d’un prisonnier blanc en Afrique du Sud. Il y dépeint la pression constante exercée par les policiers, par les gardiens afin d’avoir des informations et de retourner la conscience de ces « traitres » qui se sont engagés contre leur famille afrikaner. Il est condamné à neuf ans de prison pour terrorisme, une sentence qui parait lourde aux yeux de Georges Lory :

« (…) ça n’a pas empêché qu’il soit condamné à neuf ans de prison, ce qui était quand même énorme pour le tarif de l’époque. En gros quand on était pris à faire une action anti-apartheid, par exemple le minimum pour une distribution de tracts c’était 5 ans (…)

Donc Breyten, pour l’usage de son faux passeport, c’était pas méchant en soit, il avait contacté du monde mais il n’y avait pas de lutte armée, il voulait monter son réseau (…) mais quand on se replonge, c’était du temps de la Guerre Froide, à l’époque, le gouvernement sud-africain n’était pas très loin du fascisme, c’était extrêmement dur et la justice a également eu l’influence du monde politique, très clairement, le premier ministre de l’époque, John Vorster, avait très mal pris un poème de Breyten qui s’appelait Lettre de l‘étranger au boucher, qui était pour Balthazar, Balthazar qui est l’un des prénoms de Vorster donc c’était vraiment contre lui, et il est intervenu semble t-il pour forcer la dose. »

Avec lui, des amis de Breytenbach à Londres, Paris et Amsterdam montent des comités, essayent de sensibiliser la population et les gouvernements. Breytenbach considère que ce soutien aura été déterminant pour accélérer sa libération. Dans son ouvrage , il mentionne ceux qui l’ont 152

aidé mais n’oublie pas ceux qui n’ont pas agi ou trop peu. Il cite notamment à ce propos Amnesty International mais aussi le MRAP qui auraient été tous deux influencés par le Parti communiste sud- africain avec qui il n’est pas forcement en sympathie. L’hostilité de Breytenbach à l’égard du Parti communiste m’a été rapporté par différents intervenants de la lutte que j’ai pu rencontrer au cours de ma recherche. Pour Georges Lory, sa libération est surtout dû à un marchandage entre plusieurs pays qui implique entre autre l’Affaire Albertini dont nous avons parlé plus tôt. Ce serait aussi dû à l’implication de la France qui en 1982 a fait savoir qu’elle s’engageait à accueillir Breytenbach une fois libéré car sa femme possédait la nationalité française. Il est donc libéré en décembre 1982.

Condamné à neuf ans de prison, il en passera plus de sept dans les geôles sud-africaines. Dans un entretien accordé au journal Le Monde en 1983 , à sa sortie de prison, il définit son ouvrage 153

Ibid.

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« Breyten Breytenbach, sept ans au mouroir », Le Monde, Nicole Zand, 14 octobre 1983.

comme un « roman qui n’aurait pas abouti » du fait de la difficulté de rédiger un roman en prison. Il pouvait alors écrire mais en étant contraint de donner au fur et à mesure ses pages à un officier de sécurité. Dans cet entretien, il définit l’usage du mot « No Man’s Land » qu’il utilise régulièrement dans son livre pour désigner l’Afrique du Sud. Pour lui, cette désignation signifie que le pays n’appartient à personne, une sorte de pied de nez aux Afrikaners qui disent que l’Afrique du Sud est la propriété des Blancs. Cet entretien se termine d’une manière qui le représente bien, par une dualité entre l’impossibilité de revenir en Afrique du Sud et une déclaration d’amour à l’afrikaans :

« C'est maintenant possible pour moi d'écrire en anglais. Je sais qu'il sera désormais impossible pour moi de vivre en Afrique du Sud, et je sais que je suis en France, pour y rester. Je suis devenu un métèque, un métèque parisien. Mais, pour la poésie, j'emploierai peut-être pour toujours l'afrikaans, ma langue la plus intime, la plus instinctive, la plus obscure… »

Ce qui le différencie des autres écrivains afrikaners qui ont lutté par la plume, c’est qu’il dépasse ce mode d’action en entrant dans un combat politique à travers l’organisation Okhela. C’est cet engagement et le fait qu’il ait voulu braver les lois de l’apartheid en revenant au pays au bras d’une femme vietnamienne qui le conduirons en prison.