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tranchant. En un sens, cette mesure renvoyait une image forte au monde entier, en refusant tous les produits sud-africains, on témoignait d’une intransigeance qui indiquait au pays qu’il n’y aurait pas de passe- droit. D’un autre côté cela bloquait aussi la diffusion de groupes sud-africains noirs qui essayaient d’exporter un message anti-apartheid. Lors de leur tournée aux Etats-Unis, les Malopoets arrivent à faire comprendre qu’ils défendent un message contre la ségrégation et réussissent donc à jouer. Quelquefois, ce boycott culturel est appliqué de manière intransigeante comme Maurice Cukierman me le racontait à propos de Dulcie September qui voulait faire interdire le concert de Johnny Clegg à Bourges.

La culture est un vecteur de transmission important. Par la musique, la peinture ou encore l’écriture on fait aussi passer des sentiments. Quelquefois les mots ne suffisent pas pour décrire un système qui fonctionne en tablant sur la peur de l’autre et la répression. C’est là que les arts-plastiques peuvent mettre en lumière les défauts de toute une société.

Chapitre III. Bruce Clarke, l’artiste militant

Le dernier personnage représentatif d’une facette du militantisme anti-apartheid d’origine sud- africaine exilé en France est Bruce Clarke. Artiste plasticien, son enfance en Angleterre lui confère un autre champ de vision de la lutte. Nous allons étudier ses influences à travers son parcours en Angleterre. Ensuite, nous verrons en quoi son parcours est international et comment celui-ci affecte sa vie de militant. Enfin, ce portrait sera l'occasion de revenir sur la place de l'art plastique dans la lutte contre l'apartheid.

- Un Sud-africain anglais

Bruce Clarke illustre une autre facette de la résistance anti-apartheid. Quand je décidai de l’intégrer à mes trois portraits qui devaient représenter un tableau large des types de militants anti- apartheid exilés en France, je pensais alors qu’il avait vécu en Afrique du Sud. Il n’a en fait jamais habité là-bas. Comme il me l’explique dans l’entretien que j’ai effectué chez lui , ses parents 174

Entretien de Bruce Clarke disponible en annexe.

étaient sud-africains et se sont exilés à cause de la répression qui pesait sur eux en tant que communistes. Je n’ai eu accès qu’à peu de documents contenant des informations sur Bruce Clarke. Je dois donc fonder mes recherches sur l’entretien qu’il a bien voulu m’accorder et des biographies trouvées en ligne, souvent faites par des galeries d’art.

Bruce Clarke naît à Londres en 1959. Il suit une formation aux Beaux-arts de Leeds après avoir voyagé, il s’installe en France au début des années 1990, c’est à dire à la chute du régime d’apartheid. Il tient son engagement de ses années en Angleterre. Tout comme les Pays-Bas, l’Angleterre est un lieu d’exil ou de passage pour les Sud-africains. Du fait des activités militantes de ses parents, il en rencontre beaucoup, des exilés ou militants de passage. Il grandit avec ces histoires, ces revendications alors même qu’il ne vit pas en Afrique du Sud. Très jeune il est sensibilisé à ces question mais ce n’est qu’au lycée puis à la fac qu’il commence à militer. Pour lui, la situation à ce moment- là est une urgence. Il estime aujourd’hui que la lutte contre l’apartheid était : « l’une des dernières luttes qui était nette et claire » . Bien qu’il s’engage aussi pour 175

d’autres causes comme celle de la Palestine dans le conflit Israélo-palestinien, la lutte contre l’apartheid reste pour lui une cause où les mauvais étaient identifiés et où personne ne pouvait remettre en cause l’oppression des populations non-blanches. De ce fait, en tout cas en Angleterre, la pression sociale était en faveur de cette cause. Il y avait un champ des possibles étendu pour militer sans offenser untel ou

risquer d’être censuré par un autre. C’est ce que j’ai pu r e m a r q u e r e n r e n c o n t r a n t Christabel Gurney qui militait au Mouvement Anti-apartheid anglais et qui menait de nombreuses actions de boycotts d e p r o d u i t s a u p r è s d e supermarchés, de boycott de la

banque Barkleys, de démonstrations devant l’ambassade d’Afrique du Sud à Londres en faveur de militants emprisonnés, etc…

Ibid.

Comme on peut le constater sur cette photo de Dulcie à Londres en 1979. Le lien entre l’Afrique 176

du Sud et l’Angleterre remonte à des siècles. C’est à la fin du XVIIIè siècle que la colonie du Cap tombe sous emprise Britannique. En 1822 l’anglais devient la seule langue administrative et religieuse officielle. Après de nombreuses batailles entre Boers et Anglais, ce n’est qu’en 1961 que l’Afrique du Sud coupe définitivement avec son passé britannique en quittant le Commonwealth . 177

Malgré tout, ce lien perdurera. Dans un document retrouvé aux archives diplomatiques situées à Nantes, datant du 28 février 1979, j’ai pu constater que le Royaume-Uni était de très loin le premier pays en terme d’immigration et d’émigration depuis l’Afrique du Sud . Pour l’année 1978 c’est 178

selon ce document 4734 personnes qui ont quitté l’Angleterre pour l’Afrique du Sud et 2080 qui ont fait le chemin inverse. Des chiffres très importants comparés à ceux concernant la Hollande où les valeurs d’arrivées et de départs ne sont respectivement que de 376 et 179. L’Afrique du Sud reste donc une terre d’immigration pour les Anglais mais l’inverse est aussi vrai. Une forte communauté sud-africaine est présente en Angleterre, notamment à Londres qui abrite de nombreux bureaux d’associations qui soutiennent la lutte contre l’apartheid. C’est le cas du Mouvement-Anti Apartheid que côtoient Bruce Clarke et Christabel Gurney mais aussi de l’International Defence And Aid Fund (IDAF) où Dulcie travaillera durant ses années d’exil à Londres . C’est d’ailleurs à 179 180

Londres que s’installera le bureau de l’ANC et Olivier Tambo en exil après le procès de Rivonia de 1964 qui démembrera le parti. Beaucoup de militants me confieront que la cause était beaucoup mieux connue en Angleterre qu’en France par exemple. Le travail de militant n’était donc pas le même en fonction du pays où l’on se trouvait. Bruce Clarke parle de ce décalage, de « milliers voir de dizaines de milliers de personnes qui luttaient » et de « centaines de milliers d’autres qui soutenaient la lutte » . Alors qu’en France, la situation de l’Afrique du Sud était ignorée par la 181

Photographie de Dulcie September militant devant l’ambassade sud-africaine à Londres en 1979. Archives

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du Mouvement Anti-apartheid anglais. Disponible en ligne : https://www.aamarchives.org/archive/ history/ 1970s/7901-release-women-political-prisoners/download.html

Organisation intergouvernementale composée de 54 Etats membres qui sont presque tous d’anciens

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territoires de l’Empire Britannique.

Archives diplomatiques de Nantes : dossier 551PO/B/34, documents de l’ambassade de France en Afrique

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du Sud à Pretoria.

Cette association a beaucoup oeuvrée dans l’aide aux combattants sud-africains. Elle existe de 1956 à 1991

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et permet d’envoyer des fonds pour la cause en Afrique du Sud. Ces fonds permettront notamment de payer des avocats lors du procès de Rivonia ou plus tard pour le meurtre de Steve Biko en 1977.

Voir l’entretien avec Christabel Gurney en annexe.

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Voir l’entretien avec Bruce Clarke en annexe.

majorité de la population, en dehors des milieux militants pour l’Afrique. Pour illustrer cette différence, il évoque une période des années 1970 où les campagnes de boycotts en Angleterre portaient leurs fruits. Des chaines de bijouteries mettaient alors des pancartes à leurs vitrines pour signifier qu’ils n’utilisaient pas d’or ou de diamants sud-africains. Bruce Clarke me confie alors qu’il imagine difficilement la même chose place Vendôme à Paris. Tout ça pour dire que l’opinion publique anglaise était pour beaucoup acquise à la cause de la libération sud-africaine et que cela se ressentait au quotidien en Angleterre.