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La musique pour s’intégrer dans une nouvelle société

Quand Sam et le groupe arrivent en Europe, il me confie avoir été choqué par la différence de traitement en tant que Noir entre l’Afrique du Sud et la France. Son souvenir porte sur des choses qui peuvent paraitre symboliques mais qui sont significatives pour quelqu’un qui a vécu l’oppression depuis son plus jeune âge. Il se souvient par exemple être resté sous le choc après qu’un homme blanc l’ait appelé « monsieur » ou encore après qu’on lui ait dit « s’il vous plait ». Le fait de voir une femme blanche laver les vitres d’une boulangerie était étonnant à son arrivée, il eu

The Malopoets : Mining the seam of people’s music, Gwen Ansell, 11 février 2019. Disponible en ligne :

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https://www.newframe.com/malopoets-mining-seam-peoples-music/ Sun City, Artists United Against Apartheid, 1985.

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Auteur, compositeur, guitariste et producteur américain.

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Pour plus d‘informations sur cette chanson et sa production, voir le documentaire The Making of Sun City,

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du mal à se défaire de ses vieux réflexes lorsqu’il entendit une ambulance et commença à paniquer en pensant directement à la police… Au- delà de la vie de tous les jours, le changement a aussi été brutal dans sa vie d’artiste. Le fait de voir une foule multicolore, dansant et écoutant leur musique sans en comprendre les paroles était irréel pour un groupe censuré en Afrique du Sud. Comme André Brink ou Sam Tshabalala, de nombreux sud-africains prennent réellement conscience de l’absurdité du régime d’apartheid lorsqu’ils arrivent à l’étranger et notamment en France.

Quand le groupe arrive, ils n’ont pas dans l’idée de rester pour toujours. Sam m’avoue sa surprise alors qu’il croise d’autres musiciens sud-africains en Angleterre qui leur disent qu’ils sont ici depuis dix ou quinze ans. De nombreux artistes sont contraints de rester en exil, une artiste mondialement connue qui oeuvra beaucoup pour la libération de l’Afrique du Sud n’est autre que la célèbre Miriam Makeba. Surnommée « Mama Africa » , de son vrai nom Zenzile Makeba Qgwashu 173

Nguvama, elle commence sa carrière de musicienne en 1952. Après son passage dans le film Come back, Africa de Lionel Rogosin, elle se fait une notoriété et emménage à New York. En 1960 lors du massacre de Sharpeville, sa mère est tuée. Alors que Miriam Makeba essaye de revenir au pays pour les funérailles de sa mère, elle voit son passeport sud-africain annulé. Commence pour elle un exil forcé. Un exil qu’elle subira avec difficultés, elle déclarera : « On ne connait pas la peine de l’exil tant qu’on n’est pas en exil ». Elle qui avait toujours souhaité partir, n’imaginait pas une seconde qu’on l’empêcherait de revenir. Elle profite alors de cet exil pour critiquer ouvertement le régime sud-africain. Elle promeut sa culture en chantant en Xhosa, en sotho ou en zoulou. Son combat est d’autant plus brulant dans un pays comme les Etats-Unis où la ségrégation sévit toujours malgré l’abolition de l’esclavage. Durant les années 1970, en pleine période de décolonisation de l’Afrique, elle continue de chanter depuis la Guinée et s’engage auprès des mouvements de libération nationale. Ce n’est qu’en 1990 que Miriam Makeba rentrera en Afrique du Sud grâce à un passeport français après 31 ans d’exil.

Miriam Makeba est un exemple parmi tant d’autres artistes, moins connus qui ont dû rester exilés de nombreuses années. Pour elle, qui était mondialement connue, la vie n’a pas été facile, elle a dû notamment travailler en tant que garde d’enfant pour subvenir à ses besoins alors pour les artistes qui débutaient ou qui n’avaient pas la même réussite que Makeba, à la difficulté émotionnelle de l’exil s’ajoutait encore plus de difficultés économiques et sociales.

Miriam Makeba, les ailes de l’exil, Toute une vie, 14/03/2020, France Culture. En ligne : https://

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Etre un artiste sud-africain n’ouvrait pas toutes les portes et le boycott culturel était alors à double tranchant. En un sens, cette mesure renvoyait une image forte au monde entier, en refusant tous les produits sud-africains, on témoignait d’une intransigeance qui indiquait au pays qu’il n’y aurait pas de passe- droit. D’un autre côté cela bloquait aussi la diffusion de groupes sud-africains noirs qui essayaient d’exporter un message anti-apartheid. Lors de leur tournée aux Etats-Unis, les Malopoets arrivent à faire comprendre qu’ils défendent un message contre la ségrégation et réussissent donc à jouer. Quelquefois, ce boycott culturel est appliqué de manière intransigeante comme Maurice Cukierman me le racontait à propos de Dulcie September qui voulait faire interdire le concert de Johnny Clegg à Bourges.

La culture est un vecteur de transmission important. Par la musique, la peinture ou encore l’écriture on fait aussi passer des sentiments. Quelquefois les mots ne suffisent pas pour décrire un système qui fonctionne en tablant sur la peur de l’autre et la répression. C’est là que les arts-plastiques peuvent mettre en lumière les défauts de toute une société.