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Lorsque je rencontre Sam Tshabalala dans son appartement parisien, je rencontre quelqu’un de très ouvert, souriant malgré l’histoire douloureuse qu’il me raconte . Son histoire commence en 1955 161

Extrait de l’entretien de Georges Lory consultable en annexe.

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Township : en Afrique du Sud, quartier pauvre, sous-équipé, réservé aux non-blancs. Beaucoup sont mis en

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place après l’instauration du Group Areas Act No. 41en 1950. Cette loi contraignait les différentes catégories de la population à vivre dans des zones d’habitations prédéfinies.

Voir l’entretien avec Sam Tshabalala en annexe.

dans une petite ville près de Pretoria nommée Hammanskral. A 17 ans, il déménage dans un Township de Pretoria nommé Mamelodi. Il grandit dans le système d’apartheid, ne côtoie que sa catégorie sociale et est entouré presque exclusivement de personnes noires. La musique l’accompagne depuis sa prime jeunesse à travers les chants traditionnels dont il est bercé. C’est son oncle qui l’a plus concrètement mené à la musique. Lui qui lui payait l’école a aussi été celui qui lui ramenait des disques et qui l’ouvrit à la musique au-delà des tubes qui passaient à la radio. Sam Tshabalala me dépeint son enfance sans s’en plaindre, alors que son histoire permet d’illustrer les déchirements que vivaient de nombreuses familles noires à cette époque. Sa mère était servante dans une famille blanche à Pretoria du temps où il vivait à Hammanskral. Il ne la voyait donc pas souvent. Parfois après trois ou quatre mois il prenait le bus direction Pretoria pour la voir seulement quelques minutes étant donné qu’il ne pouvait pas croiser les maîtres de maisons en raison de sa couleur de peau. Il me confie qu’à l’époque il ne se rendait pas compte de ce que ses parents enduraient, une vie de labeur sous un régime qui les opprimait quotidiennement. Ce n’est que vers 13 ou 14 ans qu’il commence à discuter avec d’autres sur les questions de race, de couleur, etc… Mais le régime d’apartheid n’offre que peu de moyens à un jeune de couleur de peau noire pour s’informer. Ainsi, la rumeur circule que peut être ailleurs, dans d’autres pays les choses sont différentes mais il n’en est pas sûr. L’éducation bantoue qui lui est dispensée empêche une partie de cette génération d’ouvrir les yeux. Voici ce que dit le Dr Voerwoerd, alors Ministre des affaires indigènes en 1953 lors du débat sur le décret de l’éducation pour les Bantous :

« Ces rapports ne peuvent pas s'améliorer si l'éducation donnée aux indigènes en fait un peuple frustré qui, du fait même de l'éducation reçue, placent leurs espoirs en des conditions de vie que la situation en Afrique du Sud ne permet pas de réaliser dans l'immédiat, ou si elle prépare des gens à des emplois auxquels ils n’ont pas accès. »

Dès le début de leur éducation, les non-blancs sont donc conditionnés à ne pas accéder à un travail valorisant. L’objectif est de les garder comme main d’oeuvre sans les associer à un quelconque rang décisionnaire. Le Dr. Voerwoerd pose dès son discours de 1953 les objectifs de sa Bantu education act qui prendra effet dès le 1er janvier 1954. Cette loi déterminera l’éducation des Noirs du pays. Une éducation leur apprenant les bases de l’anglais et de l’afrikaans, puis, essentiellement du travail manuel. Couture pour les filles, mais aussi plantation, travail du sol, etc… Une préparation à leur vie future dès le plus jeune âge. Le gouvernement sud-africain maintient la population noire sous contrôle grâce notamment à son école qui ne leur donne pas les outils pour chercher et se défendre

par eux même. De plus, l’Etat instille un climat de peur, de répression autour des questions de résistances. C’est un sujet qu’il ne faut pas aborder devant n’importe qui sous peine d’être arrêté. Sam Tshabalala rapporte qu’à l’école il n’a même pas appris où se situait l’Angola ou le Mozambique. Le propagande du gouvernement joue sur le fait que les Sud-africains connaissent mal le reste de l’Afrique, ils jouent la carte d’une Afrique malade où règne la famine et la pauvreté alors qu’en comparaison, l’Afrique du Sud est un pays prospère.

A 17 ans quand son oncle et sa mère décèdent, il part vivre à Pretoria. Pour la première fois il est réellement confronté à des Blancs. Il suit alors son cousin qui joue dans des mariages, il continue malgré tout à travailler à côté en faisant des petits boulots qui le confrontent de plus en plus à la ségrégation. Tout est prétexte pour rabaisser l’autre dans cette société sud-africaine. Sam se voit attribuer des surnoms par ses collègues blancs qui refusent de l’appeler par son prénom. Il doit appeler ces mêmes collègues blancs « baas » . Il subit toutes sortes d’humiliations au quotidien 162

comme le fait de ne pas pouvoir partager les même tasses que ses collègues blancs, être le préposé au café, gagner beaucoup moins bien que les Blancs à travail égal voir supérieur… Toutes ces humiliations semblent intégrées dans l’esprit de Sam. La société sud-africaine fait en sorte de rendre cette différence de traitement normale même au sein de la population noire. Mais à un moment de sa vie, Sam se rend compte qu’il peut lutter, même de façon de prime à bord peu significative. Alors qu’il faisait des livraisons avec son collègue blanc, un auto-stoppeur blanc attendait sur le bord de la route. Son collègue qui conduisait a alors dit à Sam de passer à l’arrière du van, dans la remorque alors qu’il faisait froid. Cette situation qui était logique dans l’ordre établi en Afrique du Sud, Sam ne l’a pas accepté et s’est alors rebellé. Il a alors pris conscience qu’il y avait des moyens de lutter même si c’était des petits gestes au quotidien. C’est aussi après cet épisode qu’il comprend quelle est sa place en Afrique du Sud, il comprend que la manière dont il est traité au travail mais aussi dans la vie courante n’est pas normale. Il se réfugie alors dans sa passion, la musique.

Sam Tshabalala forme son premier groupe de musique avec son cousin. Ils jouent alors dans des mariages. A l’arrêt de ce groupe, il réintègre un groupe avec différents musiciens et ils se demandent alors pourquoi ne pas jouer aussi des musiques sud-africaines et plus seulement des standards américains. Pour les Sud-africains non-blancs, l’oppression est constante. De l’école à leur vie active, ils sont conditionnés et enfermés dans un rôle de petites mains en Afrique du Sud. C’est un

Patron, généralement utilisé par les Noirs pour désigner leur supérieur blancs.

paradoxe pour son gouvernement qui souhaite alors se développer économiquement grâce à la population noire tout en l’excluant de ce développement.