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Section II: Problématique de l’implication des entreprises dans le développement durable : Corinne Gendron – Comme le faisant remarquer Klaus Eder il y a dix ans à peine,

1. La prise d’initiatives :

Le problème écologique est généralement envisagé de la manière globale : les dirigeants insistent sur le caractère transfrontalier de la pollution de l’air, parlent de la terre, de l’humanité ou de la planète : « On est en train de tuer cette planète ! » s’exclamait l’un d’eux. Mais lorsqu’ils sont interrogés de façon plus spécifique, les dirigeants citent des problèmes qui recouvrent une grande diversité de thématiques écologiques. Ces problèmes sont toutefois abordés de façon très générale, ce qui témoigne d’une connaissance relativement superficielle des phénomènes en causse.

Graphique 1 : Fréquence des problèmes environnementaux cités par les dirigeants

Comme on peut le constater, les problèmes les plus fréquemment cités sont ceux, très généraux, de l’air et de l’eau qui se déclinent chez certains dirigeants en problèmes plus spécifiques : automobile, couche d’ozone, changements climatiques et pluies acides en ce qui concerne l’air ; pollution des océans, eau potable et épuisement des ressources halieutiques en ce

65 - Un dirigeants affirme par exemple : « Moi, le problème majeur que je vois dans l’environnement, c’est bien plus ce

qui s’est passé dans les pays communistes à un moment donné, parce que les plus pollués ce sont la Russie, les pays communistes et la Chine, puis les océans »

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- En témoignent ces propos d’un dirigeant : « Quand on s’en va en Europe, ils sont également civilisés, mais un peu moins que nous ; ils n’ont pas encore un système antipollution. Ils ont des voitures, des édifices qui se désagrègent à vue d’œil et ça prend quelqu’un de solide pour prendre une gorgée d’eau dans la seine parce que … »

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qui concerne l’eau. Lorsqu’elles sont abordées conjointement, la question de l’air est jugée plus problématique que celle de l’eau « qui est plus facile à contrôler » ou pour laquelle il existe des solutions techniques, affirme-t-on67. Les autres thématiques spécifiques les plus citées sont la surpopulation, l’épuisement des ressources, les risques (industriels, chimiques et nucléaires, l’aménagement du territoire et la résurgence des maladies dans les pays du sud68. Les causes de la crise sont abordées selon trois perspectives radicalement différentes : l’une insiste sur le phénomène objectivé de la croissance démographique, la deuxième s’attaque aux déficiences de la gouvernance, tandis que la dernière soulève la question des valeurs. Pour plusieurs dirigeants, le problème écologique est d’abord et avant tout un problème de surpopulation.69

Selon certains dirigeants, ce phénomène pourrait même donner lieu à d’importants flux migratoires70. L’effet conjugué de la croissance démographique et de la consommation exacerbe le problème de l’environnement. Les dirigeants s’inquiètent tout spécialement de l’extension du parc automobile dans les pays très denses comme la Chine. Mais paradoxalement, c’est d’abord et avant tout la démographie, et non la consommation qui pose un véritable problème pour l’environnement.

Pour plusieurs dirigeants, par contre, les causes de la dégradation de l’environnement ne résident pas tant dans le phénomène de surpopulation et de ses conséquences en regard des ressources limitées de la planète que dans une déficience sérieuse au plan de la gouvernance. Cette déficience est envisagée selon plusieurs points de vue. Pour certains dirigeants, c’est la montée du

67 - Pour un dirigeant, c’est le fait que l’eau soit plus près de la vie quotidienne des gens que l’air ou la forêt qui a pour

effet de faciliter la prise de conscience, et donc la gestion du problème : « Pour moi, (le problème de l’eau) c’est plus facile à gérer parce qu’il est plus près du besoin des gens ; l’air, c’est un peu plus loin et la forêt, c’est la même affaire … » Un autre estime qu’en ce qui a trait à l’eau, nous avons déjà les solutions, alors que la question de l’air pose un véritable défi en raison de sa nature transfrontalière : « Ce problème-là (l’eau) au moins, on connait la solution ; maintiennent on découvre qu’on fait face à un autres problème de même envergure, encore plus complexe parce que c’est la pollution et l’air et transfrontalier. »

68 - Les dirigeants évoquent également la question des émanations, la gestion des forêts et la déforestation. Enfin,

certaines problématiques ne sont citées que par un ou deux dirigeants : les déchets, la désertification, la contamination des sols et la consommation.

69 - Ce qu’illustrent les propos de plusieurs dirigeants : « Mais avant tout, mondialement, le problème en ce moment,

c’est la surpopulation. C’est impossible de maintenir une planète avec les écosystèmes qu’on connait, variés, si on oublie tout ce qu’on a tué jusqu’à date, ce qui reste, variétés, avec une population qui est en croissance aussi rapide. C’est impossible » ; « je crois que la terre ne supportera pas dix milliards d’habitants. C’est une progression exponentielle, c’est géométrique. Si on était deux milliards, on n’épuiserait pas la terre. On est en train de vider les océans de poissons, on a trop de monde ! On allonge les durées de vie … » ; « La terre étant ce qu’elle est, on ne peut pas la rendre plus grande. Alors il y a de plus en plus de monde qui y vit, il y a moins de guerres comme avant qui détruisent … En 50 ans, on a doublé la population de la terre (on vient d’arriver à 6 milliards). Imaginez ! Et ils prévoient le double en 2000 quelques chose » il importe toutefois de préciser qu’aucun dirigeants n’identifie le contrôle des naissances comme solution au problème de l’environnement.

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- C’est en ces termes que s’exprimait un dirigeant : « Ces gens-là, il va falloir qu’ils aillent quelque part, qu’ils soient en Afrique en ce moment, ou qu’ils soient en Asie, qu’ils soient n’importe où sur la terre, en Amérique du Sud, il va falloir que ces gens-là aillent quelque part. Ils ne pourront pas rester ou ils sont parce qu’ils ont quasiment fini d’utiliser les ressources qui peuvent exister »

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pouvoir des marchés financiers qui pose problème71. Pour d’autres, c’est du phénomène de concentration des entreprises qu’il faut s’inquiéter, dans la mesure où chacune de leurs décisions peut désormais avoir un impact considérable à grande échelle. Enfin, certains estiment que c’est l’organisation interne de la gestion publique qui exacerbe le problème de l’environnement.

La troisième perspective explique le problème de l’environnement par la place secondaire qu’il occupe dans le système de valeurs des consommateurs. Des dirigeants estiment par exemple que la piètre performance écologique des entreprises est la conséquence directe du choix des consommateurs pour qui l’environnement ne constitue malheureusement pas une priorité ;

« Le problème est qu’essentiellement, les consommateurs ne valorisent pas beaucoup les biens qui protègent l’environnement et on le voit, quand il y a des phénomènes de société ou les gens décident de dire : « Ca, on n’en mange plus, et ça, on en mange », ça a été immédiat, la production a changé… .

Donc, le problème de l’environnement, c’est surtout parce que ce n’est pas une valeur élevée »

Bien que confinée à un paradigme d’autorégulation marchande, cette réflexion rejoint les propos d’autres dirigeants qui dénoncent l’apathie des citoyens en regard de différentes causes sociales. Par ailleurs, des dirigeants rappellent que, jusqu’à très récemment, les problèmes environnementaux n’étaient pas connus et que par conséquent, personne ne pouvait prévoir ou gérer les conséquences écologiques qui donnent aujourd’hui lieu à des critiques virulentes.

A la lumière de ce qui précède, force est de constater que les dirigeants reconnaissent l’existence d’un problème dans le domaine de l’environnement et qu’ils sont même en mesure de le détailler : ils ont énoncé pas moins de vingt-quatre problématiques environnementales différentes. Même les dirigeants qui nient le problème admettent qu’il y a encore des segments qui sont mal gérés ». Ce sont principalement les pays du Sud qui, en laissant libre cours à la croissance démographique, portent la lourde responsabilité de l’épuisement des ressources naturelles. Mais les diverses facettes de la gouvernance sont aussi à blâmer, de même que les valeurs écologiques déficientes des consommateurs.

Interrogés directement sur le sujet, les dirigeants sont presque unanimes pour dire qu’il existe une tension entre l’économie et l’environnement. Mais, en même temps, ils sont d’avis qu’il n’y a pas de contradiction entre la croissance économique et la protection de l’environnement. La

71 - Un dirigeant affirme par exemple : « L’état … n’est plus maître chez lui parce que les vrais maîtres aujourd’hui,

c’est les marchés financiers, c’est clair … le premiers, le grand défi, c’est comment faire en sorte que les marchés financiers ne soient pas les nouveaux maîtres… je pense que c’est un des grands défis parce qu’il règle tous les autres ; il règle celui de l’environnement. Pourquoi il ne se fait rien sur ce plan ? C’est que les grandes entreprises disent au gouvernement américain : « Si vous pensez que vous allez nous obliger à faire toutes ces dépenses-là ! On ne sera plus compétitifs et là, on fait de grandes pressions économiques ».

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tension entre l’économie et l’environnement s’explique tout d’abord par le fait que l’environnement constitue un coût pour l’entreprise, mais aussi en raison de la nature de l’économie et, enfin, de la confrontation des intérêts de l’entreprise avec d’autres intérêts. De façon générale, les dirigeants appréhendent la tension économie/environnement du point de vue de l’entreprise plutôt que du point de vue de l’environnement, ce qui s’explique aisément par le fait que les représentations se forment notamment à travers la pratique du sujet. On peut ajouter que, lorsqu’ils traitent d’environnement, les dirigeants situent l’entreprise au cœur d’un système où elle n’a guère de marge de manœuvre : elle doit absorber des coûts environnementaux en même temps qu’elle doit répondre aux exigences de la compétitivité et malgré sa bonne volonté, la disparité des régimes de protection rend le processus d’absorption des coûts difficile. L’entreprise est donc au milieu d’une tension qui découle de la nature même de l’activité économique, qui suppose à la fois une exploitation des ressources, la production de pollution et un fonctionnement autonome par rapport à son environnement.

D’après les dirigeants, cette tension entre l’économie et l’environnement ne se traduit cependant pas par une contradiction fondamentale entre la logique de la croissance économique ou l’extension de la consommation et les nécessités de la préservation écologique. Ces derniers rejettent presque à l’unanimité l’idée d’une telle contradiction, s’éloignant radicalement des thèses des économistes écologiques. Les plus informés envisagent d’ailleurs l’hypothèse de la dématérialisation de l’économie, que celle-ci se manifeste à travers une réorientation des activités ou une transformation des modes de production grâce à la technologie. La réglementation étatique et la sensibilisation occupent une place tout aussi importante, sinon plus, que le projet technologique.

Les solutions envisagées par les dirigeants s’insèrent d’abord et avant tout dans une perspective de gestion publique. Celle-ci pose un défi de taille en raison de l’échelle internationale des problèmes environnementale des pays industrialisés. Si bien qu’un régime de protection de l’environnement strict ne saurait être pensé et mis en œuvre qu’à l’échelle internationale. Cependant, ils semblent économiques des pays du Sud.

Le deuxième élément de solution semble être la sensibilisation, qui se traduit par des exigences écologiques soit de la part du citoyen à travers le processus démocratique et l’Etat, soit de la part du consommateur vis-à-vis des entreprises et de la production économique en général. La plupart des dirigeants notent d’ailleurs que celle-ci s’est grandement accrue au cours des dernières années, ce qu’ils perçoivent comme un progrès. Enfin, la technologie est explicitement évoquée comme solution par trois dirigeants, bien qu’on puisse déduire qu’elle est présente chez un plus grand nombre de dirigeants. Si le caractère problématique du développement technologique est généralement reconnu, ces derniers semblent néanmoins convaincus de son potentiel comme

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solution durable et définitive au problème de l’environnement. Le seul frein se situe là encore dans la disparité des régimes de protection environnementale à travers le monde, lequel empêche les entreprises d’investir dans les technologies dépolluantes en raison des exigences de compétitivité qui créent une pression à la baisse sur les coûts.

L’éveil des chefs d’entreprise à la problématique écologique se traduit par un discours environnemental qui leur est propre. Ceci vient confirmer les réflexions de Klaus Eder sur le fait que les écologistes n’ont plus le monopole de la problématique environnementale et que l’ère de la domination du discours écologiste par rapport aux problèmes environnementaux s’achève72. Cette tendance est notamment visible dans l’utilisation de plus en plus répandue d’un concept originellement écologiste : le développement durable. A l’heure actuelle, non seulement les écologistes mais les organisations non gouvernementales en générale, les institutions internationales, les gouvernements et même les entreprises font de plus en plus appel au concept de développement durable. Au-delà du discours simpliste de la récupération, nous avons voulu comprendre comment les dirigeants de notre échantillon se positionnement par rapport à ce concept.